Fil d'Ariane
Secoué par les tensions qui entourent le procès ultra-médiatisé d’Ousmane Sonko, le Sénégal s’apprête à entamer un processus de dialogue national le 31 mai. Mais entre rejet de l’opposition et incertitudes sur la teneur des débats, la portée réelle de ce dialogue national pose question.
Au Sénégal, l'éventualité d'un troisième mandat du président Macky Sall cristallise toutes les tensions à la veille du lancement d'un dialogue national boudé par l'opposition.
C’est un moment qui se veut fédérateur : le dialogue national qui doit s’ouvrir demain, mercredi 31 mai, à Dakar, devrait rassembler, à l’invitation du président Macky Sall des “représentants des acteurs politiques, économiques, sociaux, culturels, des chefs religieux et coutumiers, des jeunes et des femmes, afin d’échanger et de bâtir des consensus sur des questions majeures relatives à la vie nationale et à l’avenir du pays” selon le gouvernement.
Un programme prometteur mais qui se heurte à plusieurs obstacles de taille selon Babacar Ndiaye, directeur de la Recherche et des Publications du centre de réflexion WATHI. « On ne sait pas vraiment de quoi on va parler » explique-t-il. « On sait seulement que cela doit durer une quinzaine de jours, que cela s’ouvre à partir de demain à Dakar, mais on n’a pas vraiment d’informations sur les tenants et les aboutissants de ce dialogue ».
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Le gouvernement n’a en effet pas donné de précision sur le contenu des débats. Mais même sans annonce officielle, les « questions majeures relatives à la vie nationale et à l’avenir du pays » sont dans tous les esprits. En premier lieu, la question d’une possible candidature de Macky Sall à la prochaine présidentielle, la perspective pour un troisième mandat cristallise les tensions avec l'opposition.
Cette dernière juge que la Constitution le lui interdit. Le camp présidentiel estime que le premier mandat de sept ans de Macky Sall en 2012 n'est pas concerné par la réforme constitutionnelle de 2016 qui limite à deux mandats de cinq ans consécutifs.
« Certaines personnes de son camp ont affirmé que non, cette question [du troisième mandat ndlr] ne ferait pas partie des débats », explique Babacar Ndiaye, avant de s’interroger : « Peut-on éluder une question aussi importante ? ». Pour l’opposition, la réponse est non. Et puisque le camp présidentiel ne semble pas prêt à aborder ce sujet, l’opposition, elle n’est pas prête à s’asseoir à la table des négociations.
« La question c’est aussi de savoir qui sera autour de la table », estime Babacar Ndiaye. « La majorité des coalitions en vue au Sénégal ont indiqué qu’elles ne feraient pas partie de ce dialogue ». Ainsi, le Pastef d’Ousmane Sonko, le MIM 2024, créé par l’ancienne Première ministre Aminata Touré ou encore l’Alternative pour une Assemblée de rupture (AAR Sénégal) ont décliné l’invitation du chef de l’État.
Le Taxawu Sénégal, la plateforme de l'ex-maire de Dakar Khalifa Sall a donné son accord après avoit consulté sa base selon un communiqué rendu public le 30 mai.
« Depuis deux ans la situation est très tendue entre le pouvoir et l’opposition. On a l’impression que les deux camps n’arrivent pas à se réunir et à échanger sur l’avenir du pays », résume Babacar Ndiaye. Le bras de fer entre le pouvoir et l’opposition est tel que la toute jeune coalition des forces vives de la Nation (F24), qui rassemble plus d’une centaine de partis d’opposition et d’organisations de la société civile, a annoncé le lancement d’un « dialogue du peuple » qui doit débuter… le 31 mai. C’est à ce contre dialogue qu’Ousmane Sonko aurait choisi de participer.
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Reste que le Taxawu maintient ses positions solidaires avec l'opposition qui souhaite voir certains sujets clés abordés, notamment l’inéligibilité de certains responsables politiques condamnés par la justice. Parmi les concernés par cette inéligibilité, on peut citer Khalifa Sall, leader du Taxawu et Karim Wade, fils de l'ancien président Abdoulaye Wade et secrétaire général national du PDS.
Et Ousmane Sonko, principal leader de l’opposition, pourrait bientôt lui aussi être sous le coup d’une mesure d’inéligibilité s’il est condamné au terme de son procès pour viol, dont le verdict est attendu ce jeudi 1er juin. Une décision de justice dont l’ombre plane sur le dialogue national. Pour Babacar Ndiaye, « ce qui va plutôt cristalliser l’attention des Sénégalais et les débats, ce ne sera pas ce dialogue mais plutôt le verdict du 1er juin ».
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De son côté, Ousmane Sonko a été interpellé et ramené de force à Dakar le 28 mai alors qu'il prenait la tête d'une "caravane de la liberté" partie de Ziguinchor en direction de la capitale. Il affirmait dans la nuit du 29 au 30 mai sur ses réseaux sociaux être « séquestré » chez lui et appelait « tous les Sénégalais à sortir massivement », pour manifester.
« En tant qu’analyste politique, j’ai du mal à voir la portée et le poids de ce dialogue, à un jour du verdict du procès pour viol d’Ousmane Sonko », regrette Babacar Ndiaye. « Je ne sais pas si on est vraiment dans le bon momentum pour dialoguer tellement il y a de tensions et de zones de divergences entre ceux qui doivent dialoguer ».
D’autres points importants, comme la demande de suppression du système de parrainage imposé depuis 2019 et qui a empêché de nombreux candidats de se présenter aux dernières élections législatives, ou encore la libération des personnes arrêtées lors des manifestations des deux dernières années sont aussi au cœur des préoccupations de l'opposition. Mais là encore, il n’y a aucune certitude que ces sujets seront abordés.
Et quand bien même : « pour qu’un dialogue soit utile, il faut que ceux qui ont un poids électoral soient autour de la table » rappelle Babacar Ndiaye. Au delà de l'ouverture du dialogue nationale, le verdict du procès Sonko, le 1er juin, pourrait rebattre les cartes du jeu politique au Sénégal.