Sénégal : quelle suite après la victoire décisive du parti présidentiel ?

Le président et le Premier ministre sénégalais se dirigent vers la majorité parlementaire écrasante. Ils la demandaient pour appliquer leur agenda de rupture et de justice sociale.

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Législatives au Sénégal

Une femme vote pour les élections législatives, dans un bureau de vote à Dakar, au Sénégal, le dimanche 17 novembre 2024.

©AP Photo/Annika Hammerschlag
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Que vont faire les chefs d'Etat et de gouvernement Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko de ce capital, alors que les électeurs, aux attentes fortes face au chômage et la cherté de la vie, font entendre que le moment est venu de mettre en œuvre la promesse de transformer le pays ?

L'horizon budgétaire

La nouvelle Assemblée nationale, où le Pastef pourrait détenir les trois quarts des sièges selon les projections de divers médias, devrait siéger très vite après la validation des résultats des législatives, attendue la semaine prochaine.

Le vote du budget 2025, retardé, est la mère des priorités.

Amadou Ba, éminent parlementaire du Pastef, le parti au pouvoir, tempère: la loi de finances portera "les prémices de la transformation", elle reflétera le grand engagement pris à combattre la corruption, dit-il. Mais "vous n'avez pas beaucoup de marge. Ce ne sera pas fondamentalement un budget de rupture totale". Il invoque la "dette colossale" laissée par l'administration précédente.

"La première rupture, c'est déjà la baisse du budget" par rapport à celui de l'année précédente après suppression de ressources de trésorerie indues, dit-il.

Le Fonds monétaire international a suspendu son programme d'aide après un audit des nouvelles autorités révélant selon elles que leurs devancières avaient manipulé les chiffres du déficit et de la dette. La loi de finances inclura des chiffres corrigés et visera à "rendre encore crédible la signature du Sénégal", dit Amadou Ba.

Les autorités se sont engagées à assainir les finances et ont dit qu'elles élargiraient l'assiette de l'impôt. "Les débuts vont être difficiles" pour les Sénégalais, augure l'enseignant chercheur El Hadji Mamadou Mbaye.

La Haute cour de justice

Les députés ont un mois pour élire les juges de cet organe susceptible de jouer un rôle prééminent. Le Premier ministre répète que les anciens dirigeants devront rendre des comptes pour les violences politiques de 2021-2024 et pour des faits présumés de corruption.

Or seule la Haute cour de justice peut juger l'ancien président, si les trois cinquièmes des députés votent pour sa mise en accusation. Elle peut aussi juger les anciens ministres.

Le député Ba nuance : certes l'Assemblée se conformera aux délais auxquels elle est tenue pour élire les juges, mais cela ne signifie pas que la Haute cour siégera rapidement. "Ce n'est pas la priorité de l'agenda".

L'amnistie

Autre sujet inflammable. M. Sonko a fait voeu d'abroger une loi d'amnistie adoptée à l'initiative de l'ancien président Macky Sall en mars. Elle était destinée à la décrispation dans un contexte de vive tension à l'approche de la présidentielle. Elle a fait sortir de prison des centaines de personnes écrouées au cours de trois années de confrontation, dont MM. Faye et Sonko eux-mêmes.

Nombre de Sénégalais l'ont toujours rejetée comme exonérant les responsables de violences qui ont fait des dizaines de morts entre 2021 et 2024. Mais la révoquer est une "aventure", juridiquement et politiquement, observe Maurice Soudieck Dione, professeur de science politique. "Abroger l'élément de dénouement de la crise politique (de début 2024) est-ce que ce n'est pas retourner à une situation de crise ?", demande-t-il.

Les grandes réformes

Les nouveaux gouvernants ont fait de nombreuses promesses, quitte à en nuancer certaines avec l'exercice des responsabilités : révision constitutionnelle avec réduction des pouvoirs du président, réforme des institutions, modification des codes du Travail, du foncier, refonte de la fiscalité ...

"Il y a tout à refaire, dit le député Ba. Tout est prioritaire". Mais, ajoute-t-il, il n'y a pas de calendrier. "Le Premier ministre et le président vont définir les priorités. L'Assemblée, de façon souveraine, va déterminer son calendrier en fonction des priorités du moment et ce sera déterminé en temps opportun".

L'enseignant chercheur Mbaye escompte "des actions fortes pour montrer aux populations qu'on s'inscrit dans la rupture".

Le pouvoir a indiqué avoir entamé une vaste revue des contrats et accords signés avec des partenaires étrangers dans différents secteurs. L'accord de pêche avec l'Union européenne vient d'expirer sans être renouvelé.

Le professeur Dione observe que la renégociation relève de l'exécutif. Le député Ba objecte que "l'Assemblée nationale peut demander à être éclairée sur les conditions de signature de tel ou tel accord". La nouvelle Assemblée entend employer la totalité des compétences qui lui sont dévolues mais qu'elle n'exerçait pas sous l'ancien président, dit-il.