Fil d'Ariane
Ce 31 juillet, les Sénégalais votent pour les élections législatives. Pour le pouvoir, elles font figure de test après les élections locales de mars. L’opposition a réussi à s’imposer dans plusieurs grandes villes du Sénégal. "On peut considérer ces législatives comme le premier tour de la présidentielle de 2024" affirme le chercheur et analyste politique Cheikh Guèye interrogé par l'AFP.
Macky Sall, élu président du Sénégal en 2012 pour 7 ans, puis réélu pour 5 ans en 2019, maintient le flou sur ses intentions pour 2024. Une défaite aux législatives pourrait contrarier ses projets. L’opposition veut contraindre le président à renoncer à toute velléité de candidature pour la prochaine présidentielle. "Si Macky Sall perds les législatives, il ne parlera plus de troisième mandat", assure Ousmane Sonko, figure de l’opposition. Il est arrivé troisième lors de l’élection présidentielle de 2019.
La campagne électorale pour les élections législatives s’achève ce 29 juillet. Pendant 21 jours, des rassemblements géants ont sillonné le pays, la plupart du temps dans le calme. Les bureaux de vote seront ouverts de 8h à 18 heures (TU) ce 31 juillet. 7 millions de Sénégalais sont appelés aux urnes. Pour ces élections, il n’y a qu’un seul tour.
L’objectif : renouveler pour cinq ans les 165 sièges du Parlement. Pour le moment, il est largement contrôlé par le camp du parti présidentiel. Les députés sont élus de deux manières. Soit par un mélange de scrutin proportionnel avec des listes nationales, pour 53 parlementaires. Ou par un scrutin majoritaire dans les départements pour 97 autres députés. Les 15 derniers sièges sont occupés par les députés de la diaspora.
Huit coalitions sont en lice pour ces élections. Parmi elles, celle de la majorité présidentielle de Macky Sall. L’ancienne Première ministre Aminata Touaré est la tête de liste nationale. Ensuite viennent plusieurs listes d’opposition. La principale, Yewwi Askan Wi ("Libérer le peuple" en wolof), formée autour d’Ousmane Sonko, s’est alliée à la coalition Wallu Sénégal ("Sauver le Sénégal" en wolof). Elle s’est alliée à l’ex-président Abdoulaye Wade.
Comme il n’y a pas de sondages, le principal indicateur des tendance de ces élections reste les élections locales du mois de janvier. Celles-ci avaient été marquées par une percée de l’opposition de Yewwi Askan Wi dans les villes de Zinguinchor, Thiès et Dakar. La majorité présidentielle avait quant à elle récolté la majorité des voix sur l’ensemble du pays.
Face à eux, la coalition AAR Sénégal, (Alternative pour une Assemblée de Rupture) tente de se faire entendre. Elle se qualifie d’opposition "modérée", tandis que Wallu Sénégal prends des positions plus radicales.
Par ailleurs, le scrutin se déroule dans un contexte de hausse des prix, notamment à cause des conséquences de la guerre en Ukraine. Ces arguments sont utilisés par l’opposition contre le pouvoir, qui met en avance les subventions des produits pétroliers et des denrées alimentaires ainsi que son programme de construction d’infrastructures.
L'intégration économique et sociale de la jeunesse est l'un des enjeux principaux de cette élection. Selon un rapport de 2019 de l'Agence nationale de la statistiques et de la démographie, "les personnes de la tranche d’âges 15-34 ans représentent près de 58,2% de la population en âge de travailler, ne constituent que 43,7% de la main-d’œuvre en emploi." En tant que figure principale de l'opposition, Ousmane Sonko jouit d’une certaine popularité auprès de cette classe d’âge.
Cependant, la candidature de la liste nationale de la coalition dirigée par Ousmane Sonko a été invalidée par le ministère de l’Intérieur. Cette invalidation a été ensuite confirmée par le Conseil constitutionnel. La raison : une de ses candidates ne serait pas éligible. Son nom figure à la fois parmi les titulaires et les suppléants. De ce fait, la liste ne respecte pas la loi sur la parité.
En raison de cette loi sur la parité, plusieurs figures de l’opposition ont été contraintes de renoncer à participer aux élections. Elles ont toutefois appelé leurs soutiens à protester contre ce qu’ils estimaient être un stratagème de Macky Sall pour écarter ses adversaires sous couvert de moyens légaux. Le rejet de la liste Yewwi Askan Wi a été à l’origine de deux manifestations. Celle du 17 juin a fait trois morts. Ce n'est pas la première fois qu'une affaire impliquant Ousmane Sonko provoque un soulèvement populaire. En mars 2021, il est arrêté par la justice dans une affaire de viols présumés. Cela provoque plusieurs jours d'émeutes et de destructions, au cours desquels une quinzaine de personnes perdent la vie.
Joint par TV5MONDE, le porte-parole de la présidence et ministre Seydou Guède plaide pour le respect de la loi et de l’État de droit. "Nous sommes dans une République, une démocrati avec des règles et un État de droit, analyse-t-il. On ne peut pas décider des règles en fonction de ses intérêts." Il rappelle aussi que "la liste qui soutient le président, Benno Bokk Yaakkar, a également vu sa liste de suppléants invalidée par le Conseil constitutionnel pour des questions de parité hommes-femmes."
Ousmane Sonko n'est pas le seul adversaire politique de Macky Sall à être absent de cette élection. L'ancien maire de Dakar Khalifa Sall et l'ancien ministre Karim Wade, fils de l'ex-président Abdoulaye Wade, ont vu leur trajectoire interrompue par les ennuis judiciaires. Le pouvoir se défend de toute instrumentalisation de l'appareil d'État. Le 29 juin, l'opposition acepte finalement de participer au scrutin, qu'elle menaçait jusqu'alors d'empêcher.