Fil d'Ariane
Un blouson de cuir, des lunettes noires et un revolver. Au milieu d’un chaos indescriptible, l’homme avance, le pas sûr et il tire sur ceux qui lui font face. Nous sommes en décembre 2011 à Dakar. Le tireur s’appelle Barthélémy Dias. A 40 ans, il est le maire de Mermoz-Sacré-Coeur, l’une des 19 communes de la capitale sénégalaise. A quelques mois de la présidentielle, le climat social et politique est alors explosif. Grèves dans les transports, l’éducation et la santé. Le président Abdoulaye Wade achève un deuxième mandat et, à 85 ans, il s’apprête à se faire désigner candidat à sa succession par son parti, le PDS (Parti démocratique sénégalais).
L’opposition conteste cette candidature. Dakar bouillonne et à Mermoz-Sacré-Coeur, des "nervis" du parti au pouvoir marchent sur la mairie pour en découdre avec le jeune maire socialiste. "J’avais un permis de port d’armes et j’étais en état de légitime défense", se justifiera Barthélémy Dias. Ce 22 décembre 2011, un homme est tué par balle.
La mort du jeune lutteur Ndiaga Diouf vaudra à Barthélémy Dias cinq mois de détention provisoire puis une condamnation à deux ans de prison dont six mois ferme en 2017. Immédiatement libéré, Barth pourrait tourner la page. Mais il fait appel, réfutant toute responsabilité dans la mort de Ndiaga Diouf.
Dix ans après les faits, l'affaire s'est bruyamment invitée dans la campagne pour les élections municipales du 23 janvier 2022. Après de multiples reports, l'appel de Barthélémy Dias court toujours. Convoqué par le juge ce 10 novembre 2021, il a décidé de jouer l'épreuve de force, accusant le pouvoir d'instrumentaliser la justice et appelant ses partisans à descendre dans la rue pour le soutenir.
Se pencher sur les messages de Barthélémy Dias postés ces derniers jours sur les réseaux sociaux donne une idée assez précise du personnage public qu'il souhaite incarner. "Le dictateur ne comprend que le rapport de force et le langage de la rue", "Pitié pour les Mackystrats". Entre ironie grinçante et outrance, Dias entretient son image de jeune leader impétueux. Y compris lorsqu'il exhume une vidéo de Macky Sall lui apportant tout son soutien lors de l'épisode de la mairie de Mermoz-Sacré-Coeur.
Car à l'époque, Dias et le futur président appartiennent au même camp. Socialistes, ils s'opposent l'un et l'autre au vieux président Abdoulaye Wade.
Né en 1971, d'origine cap-verdienne, Dias a été élu en 2009 maire de Mermoz-Sacré-Coeur. Il est alors le plus jeune édile du Sénégal.
Le jeune homme a passé plusieurs années aux Etats-Unis où il a décroché un master MBA en transports, mais il a aussi -et surtout- profité de ces années outre-Atlantique pour forger sa réputation.
Jeune adhérent au Parti socialiste, il a choisi de s'exiler au moment de la défaite de son camp à la présidentielle de 2000, lors de l'élection d'Abdoulaye Wade et la fin de l'ère Abdou Diouf.
Paradoxalement, "c'est aux Etats-Unis qu'il va se faire connaître des Sénégalais", rapporte Ibrahima Kane, militant sénégalais des Droits de l'Homme au sein de la RADDHO et observateur attentif de la vie politique.
En Amérique, en effet, "il booste la section locale du Parti socialiste et surtout s'affirme comme quelqu'un qui n'a pas froid aux yeux, raconte Ibrahima Kane. Lors des visites du président Abdoulaye Wade, il n'hésite pas à aller à la charge, à dire au président que ce qu'il fait au Sénégal n'est pas bon. C'est aux Etats-Unis que beaucoup de jeunes vont commencer à apprécier ses talents d'orateur et son goût pour la bataille politique". Son mariage avec une Américaine octroie en outre à Barthélémy Dias une double-nationalité.
De retour au Sénégal, Barthélémy Dias s'attelle à remettre sur les rails le Parti socialiste alors emmené par Ousmane Tanor Dieng, incontournable figure du PS depuis de nombreuses années.
C'est à cette époque qu'il se rapproche encore davantage de Khalifa Sall, futur maire de Dakar, et lui aussi futur adversaire politique du président Macky Sall.
De son père Jean-Paul Dias, Barth a hérité une certaine intransigeance dans les relations humaines.
Personnalité politique sénégalaise, Jean-Paul Dias a été compagnon de route d'Abdoulaye Wade avant d'être exclu du PDS en 1993 puis de se rallier à Macky Sall lors de la présidentielle de 2012. "Son père était à cheval sur ses principes et n'aimait pas se faire marcher sur les pieds, rappelle Ibrahima Kane. Je pense que ses problèmes avec Abdoulaye Wade sont davantage liés au comportement de Wade avec son entourage qu'à des désaccords politiques. Le père et le fils ont le même genre de caractères".
J'ai appris avec cet homme beaucoup de choses. Des choses qu’on doit faire et des choses qu’on doit éviter de faire.
Barthélémy Dias lors du décès d'Ousmane Tanor Dieng.
Curiosité des articles de presse consacrés à Barthélémy Dias, et nous n'y dérogeons pas, son nom est systématiquement accompagné d'un adjectif. Charismatique, turbulent, énergique, bouillonnant... "Il est tout cela sans aucun doute ! reconnait Ibrahima Kane. Même s'il en fait parfois un peu trop, je pense que c'est sans doute pour montrer à la jeunesse sénégalaise qu'on n'obtient jamais rien en se comportant comme un vieillard !"
Son hommage à un ancien mentor politique, Ousmane Tanor Dieng, lors de son décès en 2019 en dit long : "J’ai appris avec cet homme beaucoup de choses. Des choses qu’on doit faire et des choses qu’on doit éviter de faire".
OTD, importante personnalité socialiste au delà des frontières sénégalaises, avait fait les frais quelques semaines plus tôt de l'intransigeance politique du jeune Barthélémy Dias lorsqu'il avait appelé à la réunification du Parti socialiste. "Je voudrais dire que cet appel pour la réunification de la famille socialiste lancé par mon père et oncle Ousmane Tanor Dieng souffre de trois entorses : de crédibilité, de légitimité et d’objectivité. L’homme qui a lancé cet appel a un sérieux problème de crédibilité de par sa posture, ses choix de conviction ou pseudo-convictions".
Au moment de cet échange peu amical, le Parti socialiste est déchiré. Ousmane Tanor Dieng est resté proche du président Macky Sall. Dias, lui, est indéfectiblement proche du maire déchu de Dakar, Khalifa Sall.
Impossible pour le maire de Mermoz-Sacré-Coeur de transiger avec le président. "Macky Sall est arrivé au pouvoir en 2012 porté par une coalition et un certain nombre de promesses, explique Ibrahima Kane. Mais à peine élu, il a annoncé qu'il tournait le dos à l'un de ses engagements, l'application des recommandations des Assises nationales". Ces vastes consultations s'étaient tenues entre 2008 et 2009 pour trouver des réponses à un certain nombre de crises que traversait le pays alors présidé par Abdoulaye Wade. Ce que Barthélémy Dias considère comme une trahison, ajouté au sort réservé quelques années plus tard au maire de Dakar, Khalifa Sall : aucun rapprochement ne semble aujourd'hui possible.
Au soir de sa convocation devant la justice et les manifestations qui l'ont accompagnée le 10 novembre, Barthélémy Dias n'a pas manqué de partager les photos de son "arrestation" aux côtés d'une autre jeune figure de la vie politique sénégalaise, Ousmane Sonko.
Dans le fourgon de la police avec Gakou et Sonko. En route vers "L'ESSENTIEL" pic.twitter.com/SRqTYXoXMF
— Barthélémy Dias (@BarthelemyDias1) November 10, 2021
Outre leur caractère impétueux, voire tempétueux, les deux hommes ont pour point commun des démêlés avec la justice.
En mars 2021, Ousmane Sonko -arrivé en troisième position à la présidentielle de 2019- est accusé de viol et menaces de mort avec arme par une employée d'un "salon de beauté". Arrêté et placé en garde à vue, Sonko dénonce une "tentative de liquidation politique". Son arrestation donne lieu à des manifestations violentes à Dakar puis à travers le Sénégal pendant plusieurs semaines.