Fil d'Ariane
— Macky SALL (@macky_sall) 16 février 2016
C’est d’ailleurs ce point là précisément qui agite le pays depuis plusieurs semaines. En effet, le 16 février dernier, Macky Sall a annoncé qu’après concertation avec le conseil constitutionnel, il ne réduirait finalement pas son mandat actuel de 7 à 5 ans. Et que, par conséquent, il gouvernerait le pays jusqu’en 2019. Pourtant, il en avait fait une promesse de campagne en 2012, qu’il a réitérée plusieurs fois depuis son élection.
« Macky Sall a fait comme les politiciens souvent : on promet quelque chose avant les élections mais une fois qu’on est au pouvoir on reconsidère sa promesse », explique Seidik Abba, journaliste, écrivain et rédacteur en chef de Mondafrique. « Il a mis trois ou quatre années pour arriver à ce rétropédalage donc on avait déjà des doutes, y compris dans son propre parti », poursuit le journaliste avant d’ajouter : « le pouvoir change les gens, il y a pris goût et je pense que son entourage aussi l’a influencé » dans sa décision.
Après cette annonce choc, des membres de la société civile ainsi que des partis d’opposition et des mouvements citoyens comme Y’en a marre ont donc décidé de former le "front du non", le 24 février dernier. Ils accusent notamment le président de précipiter le référendum sans laisser le temps suffisant à la société civile et à l'opposition de débattre, de discuter et d'échanger avec le pouvoir, et de vouloir promouvoir l'homosexualité via des formulations "floues" dans le texte.
Mais ce qu'ils lui reprochent par dessus tout, c'est de les avoir trahis en ne respectant pas sa promesse de réduction du mandat actuel. Ils ont d'ailleurs surnommé cela le "wax-waxeet", une expression née au temps d’Abdoulaye Wade et qui signifie "Je l'ai dit, je me dédis". Une chanson a même été écrite pour dénoncer cette "trahison".
#senegal | Référendum - Le Non s'affiche enfin: Jusqu'à présent il n'y en avait que pour... https://t.co/el7rRpl9Zt pic.twitter.com/YAWmGCowXN
— leralpointnet (@leralpointnet) 15 mars 2016
« Beaucoup de Sénégalais l’ont élu parce qu’il avait promis de réduire son propre mandat », assure Chimère, étudiant en gestion à Dakar.
Le 25 février dernier, devant son QG, Idrissa Seck le leader du parti d’opposition Rwemi avait également déclaré : « Face au reniement, au déshonneur qu’il s’est imprimé en revenant sur sa parole et en ne respectant pas son engagement, le président Macky Sall met chaque citoyen face à une responsabilité historique. Voter non à son référendum est le choix du parti Rwemi ».
Pour les partisans du "non", Macky Sall aurait dû aller jusqu’au bout de son engagement et ne pas écouter l’avis du Conseil constitutionnel. « Il ne s’agit pas d’une décision qui pourrait s’appliquer de manière formelle (…) Il s’agissait d’un avis consultatif », a souligné lors du débat africain sur RFI, Babacar Gaye, porte-parole du Parti Démocratique Sénégalais (PDS).
Certains pensent même qu’il aurait pu démissionner et organiser un autre scrutin présidentiel. « Tout le monde sait qu’il avait d’autres moyens juridiques de faire respecter sa parole », note pour sa part Fadel Barro, fondateur et coordinateur du mouvement citoyen Y’en a marre.
Les soutiens du président ne sont évidemment pas de cet avis : « Macky Sall a été le premier président dans l’Histoire à proposer la réduction de son mandat en cours », souligne Abdou Karim Fofana, directeur général de l’agence du patrimoine bâti et représentant de l’Alliance Pour la République (APR), le parti au pouvoir, dans le quartier de Fann-Point E-Amitié à Dakar. «Le conseil constitutionnel lui a dit que ce n’était pas possible. Donc entre sa promesse et son serment, il a choisi de respecter son serment. S’il avait voulu la facilité, il aurait passé cette réforme par l’Assemblée nationale ». Pour Abdoulaye Wilane, porte-parole et secrétaire national à la communication du Parti socialiste sénégalais (PS), interrogé par RFI, « le président, en républicain démocrate, en homme d’état soucieux de l’état de droits et de la séparation des pouvoirs a dit qu’il se conformait à l’avis du conseil constitutionnel ».
En écoutant l’avis du conseil et en renonçant à sa promesse de réduire son mandat actuel, Macky Sall a non seulement déçu une grande partie des citoyens sénégalais mais il a abîmé leur confiance. Beaucoup le soupçonnent désormais de vouloir briguer un troisième mandat en 2024. « Ils pensent qu’il va nous faire le coup de Wade en 2001 », assure Chimère.
En effet, après son élection en 2000, Abdoulaye Wade, l’ex-président sénégalais avait modifié la Constitution en réduisant le septennat à un quinquennat, renouvelable une fois. En 2007, il est réélu et décide de réviser un nouvelle fois la Constitution pour rétablir le septennat. Lors de l’élection présidentielle de 2012, alors que la majorité des Sénégalais pensent qu’il n’a pas le droit de briguer un troisième mandat, Abdoulaye Wade décide de se présenter à l’élection. A la surprise générale, sa candidature est validée par le Conseil constitutionnel qui considère que la Constitution de 2001 ne s’applique pas à son premier mandat, commencé en 2000. Cette décision provoque de graves heurts et la formation du Mouvement M23 juin, résistance active à la candidature de Wade.
Si le conseil constitutionnel « permettait au président Macky Sall de se représenter en 2024, pour un troisième mandat, au motif que la révision de 2016 ne prend pas en compte le mandat obtenu en 2012, je ne serai pas surpris. Il faut s’attendre à tout », a confié Ababacar Guèye, spécialiste en droit constitutionnel dans un entretien au journal sénégalais Le Populaire.
Du côté de la présidence sénégalaise, on se défend. Sur son site Internet, elle propose même une page spéciale "Le vrai-faux du référendum" pour décrypter les informations. Concernant l’éventualité d’un troisième mandat, voici la réponse de la présidence : « le projet de réforme constitutionnelle ne contient aucun piège et ne permettra pas au Président Macky Sall de faire un éventuel troisième mandat à partir de 2024, peut-on lire sur le site de la présidence. Le mandat actuel du Président Macky Sall sera décompté dans le nombre de mandats successifs fixé à deux».
Pour la préservation de la démocratie#RéformeConstitutionnelle pic.twitter.com/FHNmXxNrGG
— Présidence Sénégal (@PR_Senegal) 5 mars 2016
Malgré les critiques et les soupçons d’une partie de la population, nombreux sont ceux qui reconnaissent l’avancée démocratique de ce projet de révision de la constitution. « Pour moi, tous les points de la Constitution sont importants car ils renforcent la démocratie », confie Chimère, étudiant à Dakar qui compte pourtant s’abstenir de voter. "Beaucoup de Sénégalais vont voter "non" pour sanctionner Macky Sall, mais c'est le piège, car il y a des points essentiels dans ce projet comme l'article 26 sur la durée du mandat", explique Serge, étudiant en marketing et gestion commerciale.
L’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye va justement voter "non" dimanche prochain mais il reconnaît que des « avancées louables » sont à noter dans le projet de révision de la Constitution. Il cite notamment le renforcement des droits de l’opposition et de son chef et la représentation des Sénégalais de l’Extérieur par des députés à eux dédiés. « C’est pour nous et pour les générations futures, donc on a besoin de ces 15 points », a déclaré à l’AFP Ibrahima Guye, client du grand marché de Médina à Dakar. De son côté, la coalition au pouvoir ne cesse de marteler que « le projet propose d'importantes innovations pour le renforcement de l'Etat de droit et l'octroi de nouveaux droits des citoyens », assure le site de la présidence sénégalaise.
Pour Babacar Guèye, professeur de droit public à l’université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar, interrogé par Jeune Afrique, « la proposition par le président de l’Assemblée nationale de 2 des 7 membres du Conseil constitutionnel » est une innovation « appréciable ». « Jusque-là, les sages étaient nommés de manière discrétionnaire par le seul président de la République ; désormais, le président de l’Assemblée proposera quatre noms au chef de l’État, qui en retiendra deux », a-t-il expliqué.
Autre point important selon Babacar Guèye, « l’élargissement des compétences du Conseil constitutionnel pour donner des avis et connaître des exceptions d’inconstitutionnalité soulevées devant la Cour d’Appel ». « Une possibilité pour les citoyens sénégalais de soulever l’inconstitutionnalité d’une loi à la faveur d’une procédure judiciaire, comme cela se pratique déjà au Bénin, au Niger ou au Gabon », explique Jeune Afrique.
« Qui n’a jamais voulu d’une participation des indépendants aux élections locales ?, interroge Abdou Karim Fofana. Qui ne veut pas aujourd’hui d’une répartition équitable et optimale des ressources naturelle découvert au Sénégal entre les populations et les sociétés exploratrices de pétrole ? La société civile et l’opposition l’avaient demandé, le président l’a fait », assure le représentant de l’APR. Abdou Karim Fofana insiste également sur le fait que le projet "a une histoire". Il découle selon lui des Assises nationales qui ont réunis, entre 2008 et 2009, des membres de la société civile, des partis politiques et des acteurs de la vie publique sénégalaise pour discuter des problèmes politiques, sociaux, économiques, éthiques et culturels du pays. « A l’issu de ces assises, un document a été présenté et celui-ci a été repris par le président Macky Sall à son arrivée au pouvoir en 2012 », rappelle Abdou Karim Fofana. Les 15 points du projet de révision sont donc, selon lui, l’aboutissement d’années de réflexion commune avec les différents acteurs de la démocratie.
Malgré les critiques, le projet de révision de la constitution est donc un pas de plus vers une démocratie "modèle" sur un continent où celle-ci est souvent bafouée. Reste à savoir désormais si les Sénégalais décideront de continuer à faire confiance à Macky Sall en soutenant cette réforme ou s’ils sanctionneront le "wax-waxeet" de leur président. Seydou Gueye a déclaré sur RFI qu’il était impossible que le non l’emporte au référendum. « Si le peuple ne vote pas cette constitution, et j’en doute fort car la tendance est très forte, c’est parce qu’il y aura eu une forte manipulation et un gros subjectivisme de la part de l’opposition », assure Abdoul Karim Fofana. Il semble qu'il l'ait plébiscitée.