Sénégal : à Toubakouta, une économie locale portée par les femmes

A quelques jours de la présidentielle, voici le dernier volet de notre série de reportages sur la société sénégalaise. Dans la région du Sine Saloum, 800 femmes sont regroupées en coopérative pour gérer l’économie locale. Elles cultivent notamment le Moringa, produit star dans la région, et génèrent des revenus fixes dans le respect de l’environnement.
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© Clara Losi
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A Toubakouta, il faut se lever tôt pour la cueillir les feuilles du Moringa. Dans cette petite commune du Sine Saloum, situé au-dessus de la frontière avec la Gambie, plusieurs femmes récoltent chaque jour les branches de cet arbre aux multiples vertus. Portant son enfant sur le dos, Ramatouay Sanko arrache un par un les feuillages d’un Moringa planté il y a quelques années devant sa maison. Un geste presque mécanique qu’elle effectue avec délicatesse malgré la chaleur écrasante du matin. « Ce matin j’ai rempli un sac de 10 kilos », montre-t-elle, le regard fixé sur une balance pendue à une branche. Comme elle, des dizaines de femmes récupèrent chaque jour les précieuses feuilles qui seront ensuite acheminées dans un atelier pour démarrer leur transformation.

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Ramatouay Sanko habite à Toubakouta, elle cueille les branches de Moringa dans son jardin à l’aube © Clara Losi

Cuisinée depuis toujours par une partie des Sénégalais pour agrémenter leurs plats, la culture et la transformation à grande échelle de cette plante est pourtant nouvelle dans la région. « Je suis contente de venir travailler tous les jours, et cela me permet surtout de gagner de l’argent », sourit Aissatou Jame, vêtue d’un uniforme jaune fluo qu’elle porte pour travailler à l’atelier. Avec trois autres femmes, elle s’occupe de trier, laver, sécher et broyer les feuilles de Moringa pour récupérer une poudre verte clair, qui sera ensuite vendue. Un travail qui rapporte à chacune entre 30.000 et 50.000 francs CFA par mois (entre 45 et 75 euros, NDLR), un revenu complémentaire important dans une région où une partie de la population vit de petits boulots journaliers.

Les femmes aux commandes d’une économie éco-responsable  

« Avant elles étaient dans leurs maisons à ne rien faire, mais maintenant elles viennent travailler, gagner quelque chose. Ça leur permet de mieux subvenir aux besoins du foyer et à l’éducation des enfants », explique la responsable de la coopérative Jappo Liggey dont les quatre femmes font partie. Avec 800 femmes de 16 villages entourant la forêt de Sangako, dont Toubakouta fait partie, elles s’organisent pour protéger et cultiver les ressources forestières et légumières de la région. Une activité qui génère des revenus qu’elles gèrent entre elles grâce à un système de microcrédit.

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La responsable de la coopérative Jappo Liggey fait le bilan mensuel de comptes avec les femmes de Toubakouta © Clara Losi

Créé en 2015 sous l’impulsion de la banque sénégalaise EcoBank, ce système permet aux femmes de chaque village d’emprunter 20.000 francs CFA par mois, avec promesse de remboursement sur six mois. « C’est une vraie réussite! », s’exclame Jean Goep, directeur l’ONG Nebeday, à l’origine du projet. « 100% des crédits ont été remboursés dès la première année, et en 2018 les bénéfices de la coopérative ont même atteint 3 millions de francs CFA », ajoute-t-il fièrement.

Nebeday, « l’arbre de vie »

Nebeday, qui est également l’autre nom du Moringa, vient de l’expression anglaise « Never Die ». Une référence à l’extraordinaire pouvoir de croissance de l’arbre en milieu aride qui lui vaut le surnom « d’arbre de vie ». Originaire d’Inde, il peut atteindre 4 à 5 mètres dès la première année, et contient surtout de nombreux minéraux, protéines et vitamines qui font de lui un excellent remède à la malnutrition. « Le nebeday soigne tout : la tête, le ventre, la tension, même le diabète », explique Fatou Kiam, salariée à la coopérative. « J’en donne aussi à mon mari pour qu’il travaille bien, surtout la nuit », s’esclaffe-t-elle, un peu gênée, faisant référence aux capacités aphrodisiaques qu’on prête aussi à cette plante aux mille vertus.

Réduit en poudre ou en sachet de feuilles séchées, le Moringa est ensuite vendu par l’ONG Nebeday, qui lui emprunte son nom. « Le Moringa ramène plus de bénéfice que nos autres produits, même si on a un stock énorme », explique Jean Goep, qui abrite à Toubakouta une réserve de 400 kilos de feuilles. « Dans les zones rurales le travail est bien fait, mais on galère un peu sur la partie marketing et communication », ajoute le directeur hyperactif de l’ONG, qui planche actuellement sur une solution pour son produit phare. Mais la concurrence est rude, et les vertus de l’arbre de vie sont de plus en plus demandées. « Au Dakar Farmers Market on est maintenant 20 à vendre des feuilles de Moringa ».

>> Cet article est publié en partenariat avec l'école de journalisme du Celsa - Paris Sorbonne et son projet "Carnets du Sénégal".