Du 17 au 22 juillet se tient à Durban, en Afrique du Sud, la Conférence internationale sur le Sida. Au cœur de cette rencontre : l’accès aux thérapies dans les pays du sud. Un enjeu de taille car, si la gratuité existe, les médicaments ne sont pas à la portée de toute la population à cause des préjugés. Analyse avec quatre experts de l’Afrique francophone.
En 2014, la couverture mondiale des personnes bénéficiant d’une thérapie antirétrovirale était de 40%, selon ONUSIDA. Un pourcentage très encourageant par rapport aux chiffres des années 2000. Forts de ce progrès, des pays du monde entier
se sont engagés à doubler le nombre de personnes sous traitement contre le VIH d’ici 2020. Si les organismes internationaux sont enthousiastes, il y a fort à parier que cet objectif ne sera pas atteint sous toutes les latitudes.
Selon Médecin sans frontières, dans les pays en développement, chaque jour 4 000 personnes meurent encore du VIH/sida. Dans les pays d’Afrique centrale et de l’Ouest aux taux de VIH/sida moins élevés, comme la République démocratique du Congo (RDC) ou la Guinée, seul un tiers des personnes nécessitant un traitement ont accès à celui-ci.
La gratuité ne fait pas de miracles
Cet accès au traitement est certes conditionné par les finances du pays, les politiques d’Etat et la possibilité de distribuer les médicaments. Pourtant, dans des pays où la gratuité est garantie en grande partie grâce au Fonds mondial, une frange de la population reste à la marge. Depuis la Conférence internationale sur le Sida de Durbanb - où il y a 16 ans Nelson Mandela avait prononcé son vœu que tous les malades puissent avoir accès aux traitements antirétroviraux - des experts du Cameroun, du Sénégal, du Mali et du Maroc décrivent les obstacles que doit surmonter cette population.
« Au Cameroun l’accès aux soins s’est amélioré depuis quelques années [50 % des Camerounais nécessitant un traitement contre le VIH ont aujourd’hui accès à ces soins. Ils n’étaient que 1 % au début des années 2000, d’après
l’Institut de recherche pour le développement].
Dès qu’on est diagnostiqué positif on peut avoir accès aux traitements. Normalement tous ceux qui doivent l’être sont pris en charge », se félicite Yves Yomb, directeur de l’association Alternatives Cameroun qui regrette que les efforts
« ne soient faits que dans les grandes villes ».
« Quand on habite dans l’arrière pays c’est très compliqué. Il n’y a pas beaucoup d’unités de santé qui distribuent les traitements, du coup, les personnes qui y habitent doivent se rendre dans les grandes villes. Ce n’est pas pratique et cela représente des coûts », poursuit-il.
Ce sont les populations les plus vulnérables qui sont mises à l'écart
Yves Yomb
Si tous les examens qui mènent au dépistage ne sont pas pris en charge, les trithérapies sont gratuites depuis 2007 au Cameroun. Et pourtant « ce sont les populations les plus vulnérables qui sont mises à l’écart. Les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes, les usagers de drogues et les travailleurs, travailleuses du sexe doivent se rendre dans les mêmes centres que les autres. Mais c’est une expérience très difficile car ils y font face à une très grande discrimination. Les gens ne se sentent pas à l’aise, ils ont peur des regards désapprobateurs», explique Yves Yomb.
Pour le défenseur des droits des LGBT, l’extrême centralisation du système des soins n’aide en rien à résoudre ce problème : « La société civile a fait un plaidoyer auprès de l’Etat camerounais pour décentraliser l’accès aux médicaments, que les soins ne soient pas uniquement dispensés dans des hôpitaux mais que des centres de santé communautaires où l’on pourrait trouver plus simplement ces médicaments soient autorisés à le faire. Certaines organisations devraient être également autorisées à distribuer des médicaments ».
Yves Yomb fait un bilan mitigé du Cameroun, un des pays de l’Afrique de l’Ouest où le taux de prévalence reste le plus élevé.
Soit 4.5%. Ce taux représente le nombre de personnes atteintes par cette maladie à un instant donné.
« Ce n’est pas rose », dit-il.
Pour
Diadji Diouf d’AIDES Sénégal et porte-parole du réseau Africa Gay, la situation de son pays n’est pas rose non plus.
« Même si le pays a fait un travail extraordinaire dans la réponse au VIH, on a été pionniers », admet-il. Lui aussi dénonce une stigmatisation systématique des homosexuels, et du reste de la population à risque. Une stigmatisation entretenue par le personnel de santé : les médecins invoquent des raisons religieuses pour ne pas traiter les patients.
« Tous les médicaments sont disponibles mais il n’y a pas de mode d’accompagnement des populations à risque. Ces dispositifs ne servent pas à grand-chose si les médecins disent qu’ils ne touchent pas les patients parce qu’ils sont homosexuels. C’est tragique si les gens préfèrent rester chez eux, mourir ou quitter le pays plutôt que de subir ce genre de violences dans les centres sanitaires », s’indigne Diadji Diouf.
Avec
l’appui du Fonds mondial [financement à hauteur de 80%), les soins sont gratuits pour l’ensemble des personnes vivant au Sénégal.
« On essaye de pousser cela plus loin, raconte l’activiste.
On voudrait que dès que les gens sont testés positifs, ils soient immédiatement soumis à un traitement (test and treat). Le défi est de créer un environnement permettant à tout le monde d’aller se soigner. »Contrairement à d’autres pays de la région confrontés exactement aux mêmes difficultés, le Sénégal a mis en place un plan stratégique pour travailler avec les populations clés.
« Mais pour l’instant cela reste lettre morte, rappelle l'activiste.
Ces engagements doivent être une réalité. »Le cas de la Guinée
Présentation : Dominique Laresche / Commentaires : Marie Vallerey. © TV5MONDE
Le Mali face au problème du dépistage
Le docteur Aliou Sylla – un des premiers practiciens à reconnaître l’impact du Sida au Mali - note que le taux de prévalence est faible dans l’ensemble du pays (
environ 1,1% en 2014). Mais celui-ci explose quand on observe de près l’épidémie chez les homosexuels, les travailleurs du sexe, les usagers de drogues :
« Notre plus grand problème c’est le dépistage. A peine 10% de la population infectée connaît son statut. A cause du contexte socioculturel, les plus fragiles sont très difficiles à atteindre ».
Aliou Sylla s’exprime en toute connaissance de cause. Au début des années 90, il a fondé à Bamako le Centre de soins, d'animation et de conseils pour les personnes atteintes du VIH/SIDA (le CESAC). Un centre devenu un modèle en Afrique.
Comme le Camerounais Yves Yomb, le docteur Sylla préconise un développement du réseau pour arriver jusqu’aux localités les plus lointaines : « On doit développer l’expertise communautaire pour aller vers cette population et la dépister. Mieux, il faudrait arriver à faire du multi-dépistage. La même personne formée pour faire un test du VIH devrait pouvoir dépister le paludisme, faire un test de grossesse, profiter des campagnes de vaccination pour ratisser très large ».
On a un problème de culture médicale
Aliou Sylla
Au Mali, les soins sont également gratuits, une fois de plus grâce au Fonds Mondial. « Mais que ce soit ici ou dans d’autres pays africains on a un problème de culture médicale. Tout le monde ne va pas automatiquement voir le médecin. Il faudrait que d’autres acteurs de la santé interviennent, ainsi que reconnaître l’expertise communautaire. Ainsi, la charge de travail des médecins serait diminuée », propose-t-il.
Le médecin souligne la fragilité du système mis en place au Mali puisque celui-ci dépend de fonds internationaux qui peuvent être fluctuants et des ONG.
Le Maroc, lui, a des problèmes de « riche » tout en faisant face aux mêmes difficultés que les autres pays mentionnés.
« Les personnes sont traitées tout de suite dès qu’elles sont dépistées. Mais 65% des personnes qui vivent avec le VIH ne sont pas dépistées. C’est notre plus gros obstacle », rappelle Morgane Ahmar chargée de plaidoyer à
l'Association de lutte contre le Sida.
« Les médicaments sont gratuits pour toutes les personnes. Mais ce n’est pas pour autant qu’on est tiré d’affaires. En tant que ‘pays intermédiaire’ on a des problèmes de propriété intellectuelle qui entrave l’accès aux médicaments», rappelle-t-elle.
Ce n’est que cette année qu’une ONG
a remporté une importante victoire. La Coalition internationale de préparation au traitement a poussé un laboratoire à modifier sa licence pour le Dolutegravir, un nouveau médicament efficace. Désormais, celui-ci pourra être produit ou acquis en générique au Maroc.
« En raison de son coût, seuls les pays riches pouvaient l’acquérir »,
écrit Médias 24. Le médicament devrait être disponible dès 2017.
Comme le Dolutegravir, d’autres molécules sont protégées par un brevet : « On a une loi sur la propriété intellectuelle qui représente un vrai obstacle à l’accès aux médicaments génériques ».
A cela s’ajoute la violence sociale. Comme au Mali, on enregistre un faible taux de prévalence au niveau national mais c’est tout le contraire quand il s’agit, une fois de plus, des homosexuels, des travailleurs du sexe et des usagers de drogues.
Dans un contexte conservateur, ils sont punis par la loi. Morgane Ahmar dénonce l’hypocrisie des politiques de l’Etat : « D’un côté, on met en place une campagne pour promouvoir l’usage du préservatif et de l’autre, la police arrête tous ceux qui en ont sur eux car c’est un flagrant délit de prostitution ».
L’éradication du Sida passe par la lutte contre la discrimination
La violence n’est pas seulement policière. La violence verbale et la stigmatisation dans les centres de santé font partie du quotidien de cette population à risque. Les quatre activistes mettent donc les bouchées doubles pour vaincre ces préjugés. Car ils sont convaincus que « l’éradication du Sida passe par la lutte contre la discrimination et par la prise en compte des droits humains de tous ». D’autant que les nouvelles ne sont pas bonnes.