Fil d'Ariane
"Maintenant que cette crise est derrière nous, nous pourrons reprendre des relations normales avec le pays frère qu'est le Mali, qui a besoin de nous et dont nous avons besoin également". Dimanche 8 janvier à Abidjan, en célébrant le retour de ses 46 soldats tout juste libérés par les autorités maliennes, le président ivoirien donne le ton. La crise diplomatique était une parenthèse. Elle est refermée.
Selon Jeune Afrique, la reprise des “relations normales” pourrait donc prendre la forme d’une visite officielle. Celle du chef de la junte malienne en Côte d’Ivoire. Joint par nos soins mercredi 11 janvier, un porte-parole du ministère malien des Affaires étrangères affirme “ne pas être au courant de cette information”. Silence radio également du côté d’Abidjan.
Selon Jeune Afrique, cette invitation aurait été lancée par le président ivoirien “il y a deux semaines”. En clair, le coup de téléphone aurait eu lieu avant que la grâce ne soit accordée aux 46 soldats condamnés à 20 ans de prison et aux trois autres -des femmes- condamnées à mort par contumace. Cette peine très lourde avait été prononcée fin décembre.
La crise a débuté en juillet 2022 avec l’arrestation de 49 soldats ivoiriens sur le sol malien.
Pour Bamako, il s’agissait de mercenaires. Accusation rejetée à Abidjan où l’on affirmait alors qu’ils étaient en mission pour l’ONU, dans le cadre de la Minusma.
Pendant six mois, la crise a littéralement pourri les relations entre la Côte d’Ivoire et le Mali, la présidence ivoirienne allant jusqu’à évoquer “une prise d’otages qui ne restera pas sans conséquences”, lors de l’inculpation des 49 “mercenaires” à la fin du mois d’août.
La décrispation viendra finalement le 22 décembre avec la venue à Bamako d’une délégation ivoirienne accompagnée de la médiation togolaise, chacun saluant le climat amical de cette rencontre qui se conclura par la signature d’un memorandum tout à fait capital dans le dénouement de la crise. Même la sévère condamnation des soldats ivoiriens quelques jours plus tard ne parviendra pas à gâcher cette entente retrouvée.
Si 48 heures après la publication des informations de Jeune Afrique, personne ne les a encore confirmées ou infirmées, les observateurs partagent néanmoins une analyse : Abidjan et Bamako sont condamnés à s’entendre.
L’essentiel du commerce malien transite par le port d’Abidjan ce qui permet des devises pour les deux pays.
Arthur Banga, chercheur à l'Université d'Abidjan.
Sur TV5MONDE, mercredi 11 janvier, le politologue Sylvain Nguessan considère qu’il y a, à Abidjan, “une volonté affichée de tourner la page et de reprendre des relations cordiales avec le peuple frère du Mali”. À Abidjan toujours, le chercheur Arthur Banga ajoute : “Cette invitation est dans la logique du memorandum de reprendre des relations normales entre les deux pays”, ajoutant que “le Mali est un partenaire stratégique de la Côte d’Ivoire”.
À plus d’un titre en effet. Le politologue Arthur Banga, chercheur à l'université d'Abidjan, rappelle que “sur le plan sécuritaire, la menace terroriste est actuellement très forte sur la Côte d’Ivoire à partir du Mali et du Burkina Faso”. Les attentats de Grand Bassam en mars 2016 avaient d’ailleurs été préparés depuis le sol malien.
Sur le plan économique, Abidjan et Bamako ont aussi tout intérêt à s’entendre : “L’essentiel du commerce malien transite par le port d’Abidjan, souligne Arthur Banga, ce qui permet des devises pour les deux pays”.
Il est également un aspect humain incontournable.
“La Côte d’Ivoire et le Mali ont sensiblement les mêmes peuples”, pointe le politologue Sylvain Nguessan. Le chercheur Arthur Banga va dans le même sens, rappelant que “de part et d’autre des frontières dessinées par la colonisation, il y a des peuples qui vivent ensemble depuis des siècles et des siècles. Il y a, en outre, officiellement 1,2 million de Maliens en Côte d’Ivoire. D’ailleurs, même pendant la crise, les relations entre les peuples des deux pays est restée bonne !”.
Les raisons de la Côte d’Ivoire de bien s’entendre avec le Mali sont valables pour toute l’Afrique de l’Ouest.
Arthur Banga, chercheur à l'Université d'Abidjan.
Ce retour à la plus grande cordialité entre Bamako et Abidjan est-elle annonciateur d’une normalisation plus vaste des relations entre la junte malienne et la Communauté ouest-africaine ?
Dans un communiqué publié peu après avoir prononcé la grâce des soldats, le numéro un malien, Assimi Goïta a de nouveau fustigé "les sanctions illégales, illégitimes et inhumaines de la CEDEAO et de l’UEMOA contre le Mali”, épinglant au passage “l’attitude partiale de certains responsables”, contre le Mali, et de citer “le cas le plus récent est la position agressive du Président en exercice de la CEDEAO, SE M. Umaro Sissoco Embalo”.
Arthur Banga estime pourtant que l’organisation ouest-africaine a fait preuve de “tolérance” à l’égard du Mali en se contentant de lui demander de tenir son engagement des 18 mois de transition.
Le chercheur considère, là encore, que les intérêts des uns et des autres sont “énormes”. Si le Mali a beaucoup à perdre en étant isolé, justifie Arthur Banga, “les raisons de la Côte d’Ivoire de bien s’entendre avec le Mali sont valables pour toute l’Afrique de l’Ouest. Je ne pense pas qu’il y ait à la Cédéao, une volonté d’en découdre avec le régime malien."