Sommet Afrique-France : où en est la FrançAfrique ?
Afrique-France, quels enjeux ? La question se pose presque tous les deux ans, à l’occasion de la tenue du traditionnel sommet des chefs d’États africains et français. C'est en novembre 1973, que ce rendez-vous fut instauré pour renouveler le dialogue entre la France et l'Afrique francophone, et consolider les échanges qui les lient depuis la fin de la colonisation. Des relations qui intriguent encore, 50 ans après les indépendances. La France doit-elle maintenir ce lien privilégié, voire fusionnel, qu’elle entretient avec ses anciennes colonies sur le continent ? Historiens, journaliste et homme politique, de part et d'autre de la Méditerranée, répondent à ces questions.
(De G à D) le président du Cameroun Paul Biya, du Malawi Bingu wa Mutharika, le président français Nicolas Sarkozy, les président d'Afrique du Sud et d'Ethiopie Jacob Zuma et Meles Zenawi, le 1er juin 2010 à Nice - Photo AFP
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“Les Africains peuvent se défaire de la Françafrique“
Élikia M'Bokolo, historien et directeur d’études à l’EHESS (Paris), RDC
La question du maintien des relations privilégiées entre Paris et ses anciennes colonies se pose encore aussi bien du côté français que du côté des pays africains. Mais il existe encore de part et d’autre des relations financières, monétaires et même militaires privilégiés. Si on considère ce sommet comme l’un des rassemblements importants à côté d’autres forums comme par exemple l’ONU, la Conférence islamique, les Non-Alignés et l’Opep, alors il est important mais il n’est pas le seul sommet auquel les pays africains participent aux côtés de la France. Je pense que le lien existe, et je dirai un peu plus du côté de la France que de l’Afrique. Il y a d’abord la Francophonie… J’écoutais encore récemment un discours de Sédar Senghor de 1959 dans lequel le président sénégalais aujourd’hui disparu déclarait que « la grandeur de la France ce n’est ni l'économie, ni la monnaie, ni l’armée, ou la bombe atomique… La grandeur de la France c’est sa culture. » Aujourd’hui, il est claire que face au développement de la langue anglaise, de la culture anglo-américaine, de la montée en puissance des pays arabes, de la Chine bientôt et peut être aussi de la lusophonie avec le Brésil, le lien culturel me semble être important.
"Une page est en train de se tourner" , Élikia M'bokolo, 0'41
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C’est à la France de voir si elle préfère une intégration délibérée et radicale en Europe, mais dans une Europe où elle a des concurrents et partenaires sérieux qui sont l’Allemagne et la Grande Bretagne. Je pense que malgré les imprécations sur le fait qu’il faut laisser tomber l’Afrique, la France s’accroche quand même à ces sommets qui restent la face visible et protocolaires de ces relations.Je pense que les Africains peuvent se défaire de la Françafrique. Si un président africain démocratiquement élu peut librement négocier sa politique financière avec les bailleurs de fonds comme le Brésil, l’Inde et la Chine, je pense que les Africains peuvent sortir de ce carcan et amorcer quelque chose d’autre. Il y a la Françafrique, mais il y a aussi l’Union Africaine qui a justement besoin de la force des Africains.
Les points de vue du secrétaire d'État français à la Coopération et de l'ex-première dame du Mali
Alain Joyandet, ministre
"Les choses sont différentes depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy à l‘Élysée"
Cinquante ans après les indépendances, l’intérêt est surtout d’essayer de regarder vers l’avenir, et de construire le nouveau partenariat stratégique entre la France et l’Afrique souhaité par Nicolas Sarkozy. Les grands thèmes développés lors de ce forum entre l’Afrique et la France correspondent d’ailleurs bien à la stratégie qui est celle du président de la République française.
Adame Konaré, historienne
"Le débat sur l’utilité de la Françafrique ne doit pas rester au niveau des incantations"
Je ne vois pas un grand intérêt à ces rencontres, je pense que c’est un rituel qui ne marque même plus les opinions publiques ni en Afrique, ni en France. C’est une foire où des leaders se rencontrent pour prononcer de beaux discours et où la France se comporte en grand manitou [...]. Je pense que l’Afrique unie est plus notre avenir.
“Les Français sont attaqués sur le continent africain, dans le domaine commercial.“
Zyad Limam, journaliste et directeur d'Afrique Magazine
L’intérêt de cette rencontre est qu’elle tombe à un moment particulier qui est celui du cinquantenaire des indépendances. Ce sera probablement l’occasion de revisiter globalement cette relation franco-africaine dont on a dit beaucoup de choses au fil des années (pré-carré, discours de Dakar, arrivée de Nicolas Sarkozy, fermeture des bases militaires françaises en Afrique…). C’est un sommet qui, sur le plan symbolique, sera assez intéressant. Entre l’Afrique francophone et la France, il y a clairement un lien spécial. Mais entre la France et les autres pays d’Afrique, c’est un peu plus complexe et lointain. Je pense que l’une des rares chances de la France à exister en tant que puissance intermédiaire dans le monde d’aujourd’hui, est de développer sa relation au Sud et en particulier à la Méditerranée et à l’Afrique noire. La France dispose d'une présence culturelle et économique forte en Afrique et dans le bassin méditerranéen. Elle devrait encore chercher la croissance, les marchés et fortifier son influence dans cette zone.
"Le clan francophone est privilégié dans cet ensemble", Zyad Limam, 0'33
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La Françafrique est un concept flou. C’est clair que l’ancien président français Jacques Chirac avait des relations fortes sur le continent africain. Son prédécesseur socialiste François Mitterrand portait un regard plus complexe sur l’Afrique et il restera dans l’histoire comme l’auteur du discours de la Baule sur la fin de l’ère des partis uniques. Avec Nicolas Sarkozy, on cherche une définition à ce concept. Le fait que lui-même n’a pas de relation très personnelle avec le leadership africain en est peut être l’explication. On voit bien que cinquante ans après les indépendances, les Français sont dans le domaine commercial attaqués sur le continent africain, les entreprises de l’Hexagone n’ont plus totalement la maîtrise du marché. Mais c’est une question d’ambition. Si l’État français décide d’encourager les entrepreneurs, de soutenir les projets, tout cela reprendra.
Le cinquantenaire des indépendances africaines est célébré tout au long de l'année 2010. Cette date anniversaire est aussi l'occasion de faire le point, en vidéo, sur les relations longtemps jugées exclusives entre Paris et ses anciennes colonies. Le reportage de Guillaume Couderc, Marina Poole , Anthony Krizic - JT - TV5Monde 5 avril 2010 - 2'10
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Élikia Mbokolo, le livre
Méditations africaines, paru aux éditions L'Archipel en juin 2008