L'Afrique, continent de tous les défis, est un terreau fertile pour les esprits ingénieux et audacieux. Trouver de nouveaux circuits de production et de distribution afin de réduire les coûts des médicaments, de l'énergie ou de différentes technologies pour les rendre accessibles au pays du Sud - un même objectif anime des centaines d'innovateurs africains. Ce jeudi 5 décembre, ils étaient 21 réunis à Paris à l'initiative de l'
Agence française pour le développement pour présenter leur démarche et leur projet devant les financeurs, les chercheurs et les ONG. TV5MONDE y était. Rencontre avec cinq porteurs de projets africains.
Au Togo, Gaffan Ayéwodé Amoussou met la médecine traditionnelle au goût du jour... et à la portée des pays du Sud
Si les Africains se soignent si souvent par les plantes et la médecine traditionnelle, c'est pour des motifs structurels, mais aussi financiers. Gaffan Ayéwodé Amoussou, un ingénieur biologiste formé au Maroc, a créé Global Biotek, une entreprise spécialisée dans la recherche sur les molécules bioactives des plantes et la commercialisation de médicaments traditionnels améliorés (MTA), car testés en laboratoire et judicieusement dosés. Rendre les médicaments abordables pour les populations des pays à faible revenu, contribuer à la reconnaissance des savoirs ancestraux, valoriser des milliers de plantes en voie de disparition et contribuer à leur conservation - tels sont les objectifs de ce projet.
"Jusqu'à 18 ans, j'ai vécu dans un environnement purement traditionnel. Il y avait toujours des décoctions à la maison, surtout contre le paludisme, et j'ai vu que ça marchait. Quand j'ai fini mes études de biotechnologie, je me suis demandé comment améliorer les produits pour parvenir à une qualité commercialisable. En commençant par des produits d'utilisation quotidienne, contre les maux de tête, par exemple, j'ai découvert les plantes utilisées en ethnobotanique. Puis je me suis attaqué aux maladies tropicales et, maintenant, j'essaie d'adapter les traitements au marché local." "Je travaille avec un 'grand frère' médecin spécialisé dans les maladies tropicales. Il m'a aidé à monter un laboratoire d'analyse et de recherche biomédicale. Aujourd'hui, plusieurs autres laboratoires privés nous ont ouvert leur porte. Parallèlement, nous sensibilisons les praticiens et les formons pour que les produits soient bien dosés et optimisés. L'objectif, maintenant, est de distribuer nos produits en pharmacie et de diffuser nos connaissances dans les pays voisins."
Au Botswana, Modesta Nyirenda-Zabula rend les appareils auditifs accessibles aux malentendants du Sud
Solar Ear est le premier équipement auditif générique. Adapté à 80 % des cas, il est dix fois moins cher que le modèle classique. Autre atout, son budget de fonctionnement, puisque le kit Solar Ear comporte un chargeur solaire. Entreprise sociale, Solar Ear est principalement dirigée par des personnes malentendantes et en emploie un grand nombre dans ses centres de production au Botswana, en Afrique du Sud et au Brésil. Elle réinvestit ses profits dans des programmes éducatifs ou de santé, dans la formation professionnelle des jeunes sourds, notamment des femmes. Enfin, l’entreprise privilégie le transfert de technologies du Sud vers le Sud : du Botswana vers le Brésil, le Mexique, l’Inde…
"L'un des principaux problèmes des handicapés, c'est l'éducation. S'ils pouvaient accéder à l'enseignement supérieur, leur vie changerait. Il existe bien des programmes de détection des enfants sourds, dans plusieurs pays d'Afrique, mais ils interviennent trop tard dans le développement de l'enfant. Condamné à l'enfermement - parfois même au sens propre, chez lui - l'enfant malentendant est voué à une vie de pauvreté, alors qu'un test auditif ne prendrait pas plus de trois secondes." Modesta Nyirenda-Zabula a choisi de ne pas faire breveter son innovation : "D'abord, cela coûterait 500 000 dollars américains et il y a tant d'autres choses à faire avec tout cet argent. Ensuite, notre invention reste ainsi publique, c'est-à-dire que tout le monde peut venir l'enrichir et l'améliorer. Enfin le transfert de technologies, qui est l'une de nos priorités, est plus facile ainsi. Entre l'Afrique et l'Amérique du Sud, par exemple, il y a tant de point commun - jusqu'à la forme de nos continents..."
Au Togo, Boèvi-Kougl Laxson-Body donne du poids aux syndicats d'Afrique
Face à la prolifération et à l’émiettement des syndicats en Afrique, Boèvi-Kougl Laxson-Body, économiste au sein de la
CSI-Afrique, cherche à organiser en réseau les différents mouvements ouest-africains. 25 syndicats participent dans 7 pays - Bénin, Burkina Faso, Guinée, Mali, Niger, Sénégal et Togo - étant représenté par un comité d'analyse et de recherche qui rédige rapports et analyses, mobilise, informe, plaide et crée d'une dynamique intersyndicale. Objectif : donner aux syndicats les moyens d’une implication réelle dans la définition et la mise en oeuvre des politiques économiques et sociales de leurs pays, et auprès des instances panafricaines.
"Quand j'étais étudiant, j'ai été membre du premier syndicat universitaire du Togo. Depuis, j'ai toujours été convaincu qu'il faut renforcer la force de proposition des syndicats pour améliorer la condition des gens. Or avec plusieurs centaines de syndicats, ce n'était pas possible. Il faut une dynamique commune. Et une fois que les défis et les enjeux sont compris, les divergences entre pays et orientations ne sont pas si difficiles à surmonter." "Au Togo, Sénégal et en Guinée, nous avons amené les gouvernements à plus de transparence : comment les fond publics sont-ils utilisés ? Aujourd'hui, notre objectif numéro un reste une couverture sociale décente pour les travailleurs. Tout passe par la mobilisation, la sensibilisation, le dialogue et la parité homme-femme, jamais par le bras-de-fer. Notre schéma n'est ni français, ni allemand, ni anglo-saxon, mais vraiment panafricain."
En Mauritanie, Bebana Ould Mouhamed Lemine transforme un roseau envahissant en charbon
En 1986, la construction d'un barrage antisel sur le fleuve Sénégal favorise la propagation de Typha australis, une plante de la famille des roseaux. Au-delà de la frontière, en Mauritanie, cette colonisation a des conséquences catastrophiques sur les activités humaines et l’écosystème : disparition des zones de pêche, développement de maladies hydriques, envahissement des surfaces agricoles, obstruction des canaux d’irrigation… Parallèlement, la production illégale de charbon de bois accentue la déforestation. Pour endiguer l’expansion du Typha, Bebana Ould Mouhamed Lemine, un jeune ingénieur en génie mécanique, a développé un processus de fabrication de charbon à partir de la plante.
"L'idée m'est venue quand j'ai été recruté à l'
Institut de Rosso, près du site où le Thypha a envahi toutes les zones agricoles, de pêche, d'accès à l'eau... Pour aider la population, il fallait deux choses : des machines simples et économiques à fabriquer, entretenir et utiliser pour transformer ces plantes en charbon, et proposer un charbon de qualité, ce qui suppose maîtriser les techniques de coupe, séchage, compactage..." "Ce qui m'a motivé, ce sont les critiques des autres. Les gens me prenaient pour un chercheur fondamental. Ils ne me croyaient pas capable d'inventer des processus et des mécanismes concrets. Aujourd'hui, nous disposons d'une énergie renouvelable à profusion, puisqu'il est impossible d'éradiquer le Typha. Nous produisons suffisamment de charbon de qualité pour alimenter le marché de Rosso et bien au-delà, tout en libérant de vastes zones de pêche."
Au Maroc, Lahoussine El Boudrari équipe les marchands de poisson ambulants de triporteurs réfrigérés
"Il est frais mon poisson !" peuvent désormais assurer le millier de vendeurs ambulants déjà équipés de triporteurs à caisson isotherme. Eviter au consommateur les intoxications alimentaires et aux marchands ambulants la précarité en modernisant leur activité, tel est l'objectif du projet du Lahoussine El Boudrari. Car au Maroc, les conditions de commercialisation du poisson par les marchands ambulants défient encore souvent les normes d’hygiène et de conditionnement préconisées par le ministère de la Santé...
"Je suis issu d'un milieu modeste et j'ai commencé ma carrière comme chercheur spécialisé dans la pêche artisanale. Ma culture familiale, aussi, m'a appris qu'il ne faut pas hésiter à aller vers les autres. J'adore me confronter aux problèmes, les comprendre et faire valoir les solutions auprès de ceux qui sont concernés. Quand je croise un triporteur dans la rue, je l'arrête pour discuter et savoir comment les choses se passent." "Ce projet ne nécessite pas de moyens, et pourtant, il est essentiel pour que les gens aient l'espoir de ne pas rester toute leur vie coincés dans une situation précaire. C'est aussi toute ce qui va avec : l'organisation, la dynamique, la prise de conscience, l'implication des bénéficiaires, la manière de gérer les difficultés."