Depuis le début du libre-échange en janvier 2021, où en est la mise en place de la zone de libre-échange continentale africaine (Zlec) ? L’accord commercial est entré en vigueur le 30 mai 2019, après plus de cinq ans de négociations entre les membres de l’Union Africaine (UA).
Les dirigeants africains se réunissent les 18 et 19 février 2023 pour le sommet annuel de l’UA. Leur objectif est d’accélérer la mise en place de cette zone de libre-échange. Selon ses promoteurs, la Zlec doit favoriser le commerce au sein du continent et attirer les investisseurs. Selon la Banque mondiale, l’accord permettrait de créer 18 millions d’emplois supplémentaires et “pourrait contribuer à sortir jusqu’à 50 millions de personnes de l’extrême pauvreté” d’ici 2035.
Sur les 54 pays signataires de l’accord, 44 d’entre eux l’ont ratifié. Le Nigeria, premier marché d'Afrique avec près de 220 millions d'habitants, a ratifié le 11 novembre 2020 la Zlec. Pourtant, “la mise en place de la Zlec est très en retard”, explique Antoine Bouët, directeur du Centre d'Études Prospectives et d'Informations Internationales (CEPII). La ratification signifie que “l’État donne son consentement” à la mise en place de l’accord, poursuit-il. Par ailleurs, en plus de la pandémie de Covid-19, d’autres éléments ont retardé la mise en œuvre de la Zlec. “La guerre en Ukraine et la montée des prix agricoles mondiaux ont affaibli la sécurité alimentaire en Afrique”, analyse Antoine Bouët.
“L’objectif est de créer un marché unique, de réduire les barrières aux mouvements du capital et des travailleurs, enfin de mettre en place une union douanière avec un tarif extérieur commun sur les biens provenant du reste du monde”, énumère Antoine Bouët. Par ailleurs, même si d’autres zones de libre-échange existent déjà sur le continent africain, à l’instar de la Cédéao en Afrique de l’Ouest, de l’Union Douanière Sud-Africaine ou de la Communauté d’Afrique de l’Est, “la Zlec se démarque car elle a l’ambition de réunir tous les pays d’Afrique”, estime le directeur du CEPII.
Il y a de plus en plus d’intérêts politiques derrière la volonté d’intégration. Daniel Ouedraogo, économiste
En outre, le libre-échange peut avoir des effets positifs sur la valeur des économies locales. “Les économies africaines ont du mal à remonter les chaînes de valeur et à produire des biens semi-transformés ou transformés, constate l’économiste Daniel Ouedraogo. Sur ces biens la concurrence avec les pays riches n’est pas à leur avantage. En libéralisant le commerce entre eux, ils espèrent créer des chaînes de valeur régionales et produire davantage de biens transformés à plus haut contenu en valeur ajoutée.”
La mise en place de cette zone de libre-échange est-elle guidée uniquement par des intérêts économiques ? “Je pense qu’il y a de plus en plus d’intérêts politiques derrière la volonté d’intégration, réagit Daniel Ouedraogo. Si on regarde dans les espaces internationaux, on se rend compte que la voix des pays africains compte de moins en moins. L’une des solutions serait une union politique pour faire entendre sa voix.”
L'accord ne fait toutefois pas l'unanimité, ses détracteurs évoquent le manque de complémentarité des économies africaines et craignent que des importations bon marché ne portent préjudice aux petits producteurs agricoles et industriels. “Tout accord de libéralisation commerciale est difficile à être accepté par les opinions publiques car il faut ouvrir aux produits étrangers certains secteurs contre la promesse de bénéficier de l’ouverture de certains marchés à l’étranger”, reconnaît le directeur du CEPII Antoine Bouët.
Sur le continent africain, les pays ont d'importantes disparités économiques. “On peut rencontrer un problème d’hétérogénéité des économies, explique Daniel Ouedraogo. Pendant que certains pays sont en croissance, d’autres le sont dans une moindre mesure et d’autres encore sont en récession". Quel effet peut avoir une zone de libre-échange sur ces disparités ? "Si l’on est dans une zone hétérogène et que l’on veut mettre en place une politique commune, elle n’aura pas les mêmes effets selon les pays”, poursuit l'économiste.
Les situations de guerre sont un vrai problème car dans ces conditions il est très difficile de commercer.Antoine Bouët, directeur du CEPII
"Il y a des pays qui sont un peu hésitants sur certains points, notamment sur le protocole de libre circulation des personnes et des biens. Certains pays africains craignent que l'ouverture des frontières n'entraîne un afflux de personnes qu'ils ne peuvent pas contrôler", souligne Dorine Nininahazwe, directrice de l'ONG ONE pour l'Afrique de l'Est interrogée par l’AFP. Elle évoque également des questions de protectionnisme.
Par ailleurs, “il y a beaucoup de problèmes de sécurité et de guerre civile en Afrique de l’Ouest, avec le Mali et le Burkina Faso et l’est de la RDC, mais aussi en Afrique de l’Est en Éthiopie”, énumère Antoine Bouët. Selon lui, “les situations de guerre sont un vrai problème car dans ces conditions il est très difficile de commercer.” L’économiste Daniel Ouedraogo précise que “si les frontières avec un pays en guerre ne sont pas contrôlées, on peut imaginer des choses sur la circulation des armes, un développement de trafics en tous genres, etc.”
En Éthiopie, le conflit avec les rebelles tigréens n'est plus d'actualité depuis la signature d'un accord de paix le 2 novembre 2022 entre les deux parties. Si le continent retrouve la paix, la Zlec pourra-t-elle pleinement exister ?