Fil d'Ariane
Mars 2006. Vladimir Poutine vient d’entamer son deuxième mandat à la tête de la Russie. La visite est courte, une journée, mais elle est fructueuse. Le président russe est en Algérie et signe des contrats mirobolants. Plus de six milliards de dollars d’armement qu’Alger s’engage à acheter en échange de l’annulation de sa dette évaluée à près de 5 milliards de dollars. Quatre mois plus tard, les géants gaziers russe et algérien, Gazprom et Sonatrach concluent un accord de prospection et d’extraction.
La Russie se propose également de remettre à neuf le réseau algérien de gazoducs . Cet épisode vieux de quinze ans préfigure ce que sera, au cours des années suivantes, le retour de la Russie sur le continent africain.
Dès 2001, Vladimir Poutine, déjà lui, avait envoyé le président de la chambre de commerce et d’industrie de Russie, l’ancien Premier ministre Evgueny Primakov, effectuer une tournée en Afrique du Sud, en Angola, en Namibie et en Tanzanie.
Au cours de cette même décennie 2000, le président russe tentera de reproduire -sans grand succès- avec la Libye de Mouammar Kadhafi les accords conclus avec Alger en 2006.
L’année 2013 sera ensuite marquée par d’énormes contrats d’armement entre Moscou et l’Egypte. La Russie se chargera aussi de construire près d’Alexandrie la première centrale nucléaire égyptienne, chantier estimé à près de 25 milliards de dollars sous la forme d’un prêt.
C’était du jamais vu. Les Soviétiques ont plié bagage du jour au lendemain.
Un diplomate ghanéen
Les relations entre la Russie et l’Afrique ont bien connu un trou d’air. Mais il fût assez bref. Une décennie environ. Le désengagement débute avec la fin de l’Union soviétique il y a une trentaine d’années.
La Perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev passe aussi par un abandon brutal du continent africain. “C’était du jamais vu. Les Soviétiques ont plié bagage du jour au lendemain et l’URSS a été rayée de la carte”, raconte un fonctionnaire ghanéen au chercheur Arnaud Kalika dans une note d'avril 2019 publiée par l'Institut français de relations internationales (IFRI), ajoutant que ce départ était “une aubaine pour les autres”.
Dans une note publiée par l’observatoire franco-russe, le chercheur Arnaud Dubien relate les propos du ministre russe des Affaires étrangères de Boris Eltsine, Andreï Kozyrev qui, dans les années 90, explique ce désengagement de manière assez abrupte : la priorité de la Russie est alors de “rejoindre la communauté des Etats civilisés”. Arnaud Dubien rapporte ainsi que “dès 1992 (sous la présidence Eltsine, NDLR), Moscou annonce la fermeture de neuf ambassades, de quatre consulats et de treize des vingt centres culturels dont elle disposait sur le continent (...) et les échanges commerciaux entre l’Afrique et la Russie ne représentent plus que 760 millions de dollars en 1993, soit moins de 2% du commerce extérieur du pays”.
Aujourd’hui, le volume des échanges entre la Russie et le continent représente 17 milliards de dollars (200 milliards avec la Chine et 275 avec l'Union européenne), dont 12 milliards pour la seule Afrique du nord, et “nous sommes en train de préparer et de réaliser des projets d'investissement avec des participations russes qui se comptent en milliards de dollars”, a dit Vladimir Poutine ce lundi 21 octobre dans un entretien avec l’agence de presse Tass.
Moscou a finalement plus besoin de l’Afrique (...) que l’Afrique n’a besoin de la Russie.
Arnaud Kalika, chercheur
Ce départ soudain et sans sommation mettra fin à près d’un siècle d’implication russe en Afrique marquée notamment par le quatrième congrès du Kommintern, l’Internationale communiste, qui, en 1922, se penche sur la “question africaine”, voyant là un bon moyen de “marquer des points dans la compétition qui les opposait au camp capitaliste”, explique Arnaud Kalika.
Manifestation concrète, notamment, de cette coopération : des générations de jeunes africains partiront étudier en Russie. Une grande partie des élites du continent aujourd’hui est passée par Moscou ou Saint-Pétersbourg du temps de l’Union soviétique. Parmi cette élite, reste un seul chef d’Etat, l’Angolais João Lourenço.
Aujourd’hui, s’il ne s’agit donc pas à proprement parler d’un retour sur le continent africain, la Russie reste à la traîne. Son départ brutal et sa décennie d’absence ont laissé des traces. Certes, le drapeau du Mozambique est toujours orné de la Kalachnikov emblématique de la Russie, mais si l’implication des Russes en République centrafricaine ces deux dernières années a été largement analysée, notamment en France, comme une volonté d’impérialisme poutinien, la réalité est nettement plus prosaïque. Selon le chercheur Arnaud Kalika, il s’agit essentiellement pour Moscou de répondre à un besoin en ressources naturelles et de pallier les sanctions économiques occidentales qui frappent la Russie depuis l’épisode ukrainien de 2014.
Et le chercheur de conclure : “Nain économique du continent, Moscou a finalement plus besoin de l’Afrique (...) que l’Afrique n’a besoin de la Russie”.