Fil d'Ariane
Explosions et tirs ont continué jeudi 20 avril à déchirer Khartoum, au sixième jour des combats entre l'armée soudanaise et les paramilitaires, menés par les deux généraux rivaux. Les appels à la trève sont ignorés dansles deux camps.
"L'odeur de la mort et des cadavres règne dans certains quartiers du centre", témoigne un habitant de la capitale en route vers un quartier plus calme. L'Organisation mondiale de la Santé (OMS) dénombre "plus de 330 morts et 3.200 blessés".
Dans la ville de plus de cinq millions d'habitants, les familles se pressent sur les routes pour fuir les raids aériens et les combats de rue. Selon l'ONU, entre 10.000 à 20.000 personnes auraient fui vers le Tchad.
"À 4h30 du matin, on a été réveillés par les bruits des raids aériens. On a fermé toutes les portes et les fenêtres parce qu'on a peur qu'une balle perdue passe", raconte un autre habitant de Khartoum, Nazek Abdallah, 38 ans.
À quelques dizaines de kilomètres de là, la vie suit son cours et les maisons s'ouvrent pour accueillir les déplacés. Traumatisés, ils ont roulé ou marché des heures durant, car désormais le litre d'essence s'échange à 10 dollars dans l'un des pays les plus pauvres du monde.
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Pour arriver à l'abri, ils ont dû subir les questions ou les fouilles des hommes postés aux check-points des Forces de soutien rapide (FSR), les paramilitaires du général Mohamed Hamdane Daglo, dit Hemedti, et de l'armée du général Abdel Fattah al-Burhane, chef de facto du Soudan depuis le putsch mené par les deux hommes en 2021.
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Surtout, ils ont dû progresser au milieu des cadavres qui jonchent les bords de route, les blindés et les pick-ups calcinés, et éviter les zones les plus dangereuses, repérables aux colonnes de fumée noire qui s'en échappent.
Depuis que la lutte de pouvoir, latente depuis des semaines entre les deux généraux, s'est transformée en bataille rangée le 15 avril, la confusion est totale pour les 45 millions de Soudanais et les trêves annoncées par les deux camps ne sont jamais tenues.
Comme à Khartoum, les combats font rage au Darfour, dans l'ouest du Soudan, et des explosions ont retenti jeudi dans la ville d'El-Obeid, à 350 kilomètres au sud de la capitale.
Les patrons de l'ONU, de l'Union africaine, de la Ligue arabe et d'autres organisations régionales doivent se réunir jeudi 20 avril pour réclamer une nouvelle fois un cessez-le-feu, alors que les musulmans à travers le monde s'apprêtent à fêter l'Aïd el-Fitr, la fin du ramadan, vendredi ou samedi.
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Mais Tagrid Abdine, une architecte de 49 ans à Khartoum, n'est "pas optimiste à propos du cessez-le-feu". "Ça fait trois ou quatre fois que c'est annoncé, mais les deux camps ne l'ont jamais respecté", dit-elle.
Dans les rues jonchées de débris, il est impossible de savoir qui tient les principales institutions du pays.
Des deux côtés, pleuvent les annonces de victoire et les accusations mutuelles, impossibles à vérifier sur le terrain tant le danger est permanent.
L'armée de l'air, qui vise les bases et les positions des FSR disséminées dans les zones habitées, n'hésite pas à larguer des bombes, parfois au-dessus d'hôpitaux, ont témoigné des médecins.
En cinq jours, "70% des 74 hôpitaux de Khartoum et des zones touchées par les combats ont été mis hors d'usage", selon leur syndicat: bombardés, ils n'ont plus aucun stock pour opérer ou bien des combattants en ont pris le contrôle, chassant médecins et blessés.
Les organisations humanitaires ont pour la plupart été forcées de suspendre leur aide, cruciale dans un pays où plus d'un habitant sur trois souffre de la faim en temps normal.
Trois employés du Programme alimentaire mondial (PAM) ont été tués au Darfour au début des combats. L'ONU ne compte plus "les pillages et les attaques" sur ses stocks et son personnel, et dénonce "des violences sexuelles contre des humanitaires".
À Khartoum, de nombreuses familles ont épuisé leurs dernières victuailles et doivent désormais choisir entre deux maux : rester dans une ville où électricité et eau courante ont disparu, à la merci des balles perdues. Ou partir sous les tirs croisés et imaginer leur maison pillée.
Car les Soudanais n'ont pas oublié les atrocités qui ont valu au dictateur Omar el-Béchir, déchu en 2019, deux mandats d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour "crimes de guerre", "crimes contre l'humanité" et "génocide" au Darfour.
Pendant la guerre au Darfour qui a éclaté en 2003, il avait délégué la politique de la terre brûlée au général Daglo, et le général Burhane était l'un des commandants de son armée.
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Les FSR, créées en 2013, regroupent des milliers d'anciens Janjawids, des miliciens arabes recrutés par Omar el-Béchir pour mener cette guerre contre des minorités ethniques.
Au milieu du chaos général, l'Egypte est parvenue, via une médiation des Emirats arabes unis, à évacuer "177 de ses soldats" stationnés sur une base aérienne du nord du Soudan, selon les deux pays.
Mais 27 autres, capturés par les paramilitaires puis remis à la Croix-Rouge, attendent toujours de quitter le pays à l'ambassade à Khartoum, selon l'armée égyptienne.