Soudan du Sud : 4 ans d'indépendance, un an et demi de guerre

Le Soudan du Sud fête ses quatre ans d’indépendance. Un triste anniversaire : le plus jeune Etat du monde est plongé dans une guerre civile depuis un an et demi. Violences, famine, épidémies…le pays s’enfonce dans le chaos et les espoirs de paix s'évaporent peu à peu. Etat des lieux de la situation.
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Sud Soudan
De nouveaux réfugiés soudanais s'enregistrent pour recevoir de la nourriture dans le camp de l'ONU à Bentiu (Soudan du Sud), le 29 juin 2015.
© AP Photo/Jason Patinkin
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C’est un anniversaire « noir » que fête le Soudan du Sud, ce jeudi 9 juillet, jour de son indépendance. Le pays est plongé depuis plus d’un an et demi dans un conflit, responsable d’une « des plus graves crises humanitaires au monde », selon Oxfam et la Commission européenne. Des milliers de personnes sont mortes, plus de 2 millions ont fui leurs foyers vers le Soudan, l’Ouganda ou l’Ethiopie et 3,8 millions de Soudanais souffrent de la faim. Ce chiffre pourrait passer à 4,6 millions d’ici la fin juillet, soit 40% de la population.

Le conflit est marqué par des exactions à grande échelle dans les deux camps. Et cela n'est pas prêt de s'arrêter. Jeudi 9 juillet, le président de la rébellion, Riek Machar a averti que la guerre ne connaîtrait pas de fin tant que le président Salva Kiir n'aurait pas démissionné. En mars dernier, le parlement avait prolongé de trois ans le mandat du président, réduisant à néant la perspective d'une élection, initialement prévue cette année.

Les combats opposent, depuis décembre 2013, les partisans du président sud-soudanais et ceux de son ex-vice président Riek Machar. Salva Kiir avait accusé l'actuel chef de la rébellion, de fomenter un coup d'Etat. Leur rivalité a rapidement dégénéré en conflit ethnique entre Dinka (ethnie du président) et Nuer.

Malgré les nombreuses tentatives de négociations entre les deux rivaux, aucun compromis n'a été trouvé. Ni les sanctions, ni les pressions de soutiens-clés comme les Etats-Unis ou même la Chine ne semblent avoir de prise sur les belligérants.


Interview. Amandine Desaunay est directrice adjointe d’Oxfam au Soudan du Sud.

Quelle est la situation politique du Soudan du Sud, quatre ans après son indépendance ?

Depuis que la guerre a explosé au mois de décembre 2013, il y a eu des efforts politiques pour essayer de régler ce conflit, mais malheureusement, les combats n’ont presque jamais cessé.

Depuis trois mois, c’est de pire en pire, surtout dans les régions du "Nil Supérieur" (ou "Upper Nile") et de "Unité". Les affrontements sont journaliers avec des villes qui sont prises et reprises, entraînant des conséquences humanitaires horribles pour la population.

Cette fête d’indépendance a donc un goût un peu aigre. Car pour l’instant, il n’y a aucun espoir que les deux parties arrivent à trouver une solution politique dans les semaines, les mois ou même les années à venir. Il n’y a aucun signe de cela sur le terrain.

Pourtant, de nombreuses sessions de pourparlers ont été organisée pour que Riek Machar et Salva Kiir trouvent un compromis, mais rien n’abouti. Pourquoi ?

Je pense que cela ne bloque pas forcément au niveau politique. Les deux parties ne sont pas encore épuisées de la guerre. Riek Machar et Salva Kiir croient encore que s’ils continuent, chacun pourra s'emparer du pouvoir de l'autre. C'est pour cela qu'ils ne parviennent pas à s’entendre durant les pourparlers. Et souvent, quelques semaines avant les négociations, les affrontements pour les villes cruciales concernant l’exploitation du pétrole, reprennent. Ils veulent montrer qu’ils sont en force dans certaines régions, avant de débuter les pourparlers.

Si les deux parties venaient à s’entendre, sur le terrain, les combats s’arrêteraient du jour au lendemain. Si la guerre s’arrêtait, on pourrait enfin commencer à réparer les dégâts parce que, pour le moment, cela est très difficile pour la communauté internationale et les besoins sont énormes.

Riek Machar
Le président sud soudanais Salva Kiir (à gauche) serre la main de son ancien vice-président et leader de la rebellion, Riek Machar, le 21 janvier 2015, à Arusha (Tanzanie).
© AP Photo

Quelle le rôle de la communauté internationale dans ce conflit ?

Si l’on parle du point de vue ONG, notre rôle est d’être les avocats de la souffrance des gens sur le terrain, et de faire comprendre à l’autre communauté internationale, celle qui aide financièrement, que malgré les pressions politiques, il ne faut surtout pas oublier la situation humanitaire. Selon moi, cette guerre va se régler au niveau interne, quand les parties en auront marre. Je pense que les pressions et les menaces d’embargo n’ont pas d’effet pour le moment.

Qu’est ce qui est le plus difficile pour vous sur le terrain ?

C’est de savoir que l’on aidait les gens dans un endroit et que du jour au lendemain, on ne peut plus y accéder à cause des affrontements. Ce qui est dur, c’est d’attendre que la situation se calme avant de pouvoir y retourner et de recommencer à zéro. Car souvent, ce qui a été fait a été détruit ou nous sommes obligés de déplacer les projets. La sécurité du personnel est également un combat sans relâche.

Oxfam est présente dans la région depuis 1983 dans la région du Soudan du Sud. Quelles évolutions avez-vous constaté depuis le début de cette guerre ?

Ce sont des changements dramatiques depuis cette dernière guerre civile qui a commencé en 2013. Le Soudan du Sud était un pays plein d’espoir, qui était en train de se construire, qui ouvrait les liens avec les pays limitrophes pour les échanges, le commerce… Et du jour au lendemain, ce conflit a replongé le pays plusieurs années en arrière. 2015 est vraiment l’année où les choses empirent.

L’économie est en train de s’effondrer complètement, l’inflation est incroyable. Même les gens qui ont un travail ne parviennent pas à subvenir à leurs besoins. De plus, en ce moment, nous faisons face, depuis plusieurs semaines, à une épidémie de choléra à Juba et dans d’autres villes. Il y a plus de 700 cas recensés et 30 morts pour le moment. A Juba, on a vite réagit et nous pensons que la maladie va être contenue.

Mais ce qui nous fait le plus peur, ce sont les villes plus éloignées où il y a énormément de mouvements de population. Par exemple, une épidémie s’est déclarée à Bor et nous savons bien qu’il y a des habitants de cette ville qui traversent la rivière pour aller dans le camp de réfugiés de Mingkaman. Nous devons y faire une distribution dans deux semaines et nous craignions que ces personnes amènent le choléra là-bas. Nous avons essayé de faire de la prévention et nous espérons éviter cela. Mais la maladie est tellement contagieuse que cela peut devenir une épidémie très grave.

Quelles peuvent être les conséquences si la situation ne s'améliore pas ?

Les conséquences ? Un taux de mortalité incroyable, pas seulement suite aux combats, mais des morts de faim, de maladie. Il y aura comme une pile de cadavres et bientôt, si cela continue ainsi, il ne restera plus de Soudanais...