Soudan du Sud : ils étaient des rebelles, ils sont devenus des soldats

Dans ce petit pays qui est aussi le plus jeune au monde, une nouvelle guerre civile fait rage depuis 2013. Le Festival international du film des droits de l’Homme à Paris, qui se tient du 5 au 19 avril, n’a pas oublié ce conflit. Avec le documentaire We were rebels, Katharina Von Schroeder et Florian Schewe retracent le parcours d’un ancien enfant soldat. La vie d’Agel est à l’image des tribulations de cette nation naissante.
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We were rebels
Agel était enfant soldat. Quand il l'a pu, il s'est exilé en Australie. A l'indépendance de son pays, il a voulu rentrer pour le "construire".
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Nous sommes en 2011. Après deux décennies d’affrontements sanglants, le Soudan du Sud vient de fêter son indépendance du Soudan. Le retour de la paix galvanise les foules. Tout comme le défi de construire un pays prospère qui se doit d’avoir une équipe de basket-ball. A la tête de cette équipe : Agel.
 
Avec les moyens du bord, il dirige les entraînements de ses co-équipiers, convaincu qu’une première victoire face à l’Ethiopie est possible. Le jour de la rencontre, les joueurs ne savent pas où donner la tête. Les directeurs techniques se multiplient et donnent des ordres contradictoires. La toute jeune équipe perd par une poignée de points.

Cette séquence du documentaire, We were rebels, des Allemands, Katharina Von Schroeder et Florian Schewe, est la métaphore des dirigeants qui n’ont pas su exploiter le potentiel de cette jeune nation. A peine deux ans après l’indépendance, le pays sombre dans une nouvelle guerre sanglante entre les partisans du président Salva Kiir et ceux du vice-président Riek Machar. Une guerre civile à caractère ethnique où s’affrontent Dinkas et Nuer, pour être schématique.
 
Si Agel voulait y croire, il n’était pas dupe. Il savait déjà que son pays pouvait basculer à tout moment. Les luttes de pouvoir et les tensions tribales - sur un fond de grave crise économique liée à l’arrêt temporaire de la production de pétrole dont son pays est riche mais dépend de l’ennemi du nord pour l’exploiter - représentent un terreau fertile pour l’instabilité. « Nous avons des généraux aux pouvoir et les généraux font la guerre », dit-il à plusieurs reprises.
 
La guerre, il la connaît bien. Ancien enfant soldat il a grandi (trop vite) avec une kalach en bandoulière. Dès l’âge de quatre ans, il a été plongé dans les combats. Quand il l’a pu, il s’est exilé en Australie où un brillant avenir l’attendait. Mais il a préféré « rentrer et construire son pays ».
We were rebels photo 2
"Construire un pays", peut-on lire sur le maillot officiel de la toute nouvelle équipe de basket-ball sud-soudanaise.
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Une obsession pour ce colosse rêvant de voir des routes goudronnées et des centres se santé opérationnels. Après sa courte carrière de capitaine d’équipe, il se moue en directeur d’ONG afin de forer des puits d’eau dans les coins les plus reculés. « Nous faisons ce que l’Etat ne peut pas faire », résume le père de famille.
 
"Avant, on se battait pour notre indépendance"
Peu à peu, la situation s’envenime. Le président Salva Kiir limoge son gouvernement. Son vice-président Riek Machar prend la tête d’une rébellion. On retrouve Agel sur le perron de sa porte, en uniforme. L’enfant rebelle est redevenu soldat. Lucide comme à son habitude il soupire : « Avant, on se battait pour notre indépendance, on rêvait d’avoir un pays. Aujourd’hui, on combat nos frères ».
 
Depuis que les réalisateurs ont quitté Juba, le pays a connu de nombreux soubresauts. En octobre 2015, Salva Kiir a été reconduit jusqu’en 2018 sans passer par les urnes, des dizaines de milliers de personnes ont péri et 2,3 millions d’autres ont été chassées de chez elles. Machar, de son côté, s'est exilé. Mais rentrera ce 18 avril dans le but de «former avec le président Kiir un gouvernement transitoire d’union nationale et participer au conseil des ministres national transitoire ».  La démarche résulte d’un accord de paix signé en août 2015.

Une organisation politique en conflit avec l'organisation tribale

Les réalisateurs du long métrage n’ont pas documenté la période post-2013. Mais ils « posent tous les problèmes de ce pays de 12 millions d’habitants », estime Christian Delmet, ethnologue et spécialiste du Soudan qui a également apprécié l’image de l’équipe de basket. « Ce personnage fait une analyse pertinente. La pacification est effectivement difficile car l’organisation politique qu’on a voulu mettre en place ne correspond en rien à l’organisation sociale. Il est difficile de construire un pays avec des tribus qui ont besoin d’une liberté très étendue où les chefs ne sont pas permanents », ajoute-t-il.
 
De son côté Raphaëlle Chevrillon-Guibert, chercheure à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD) affirme que l’élite politique n’a pas su trouver une stratégie. Dès 2005, le pays a commencé à recevoir de l’aide financière internationale « qui a été détournée». Très vite, cette manne s’est tarie, et « maintenant cette élite politique est en train d’hypothéquer toutes les ressources ».

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Le Soudan du Sud est en pleine guerre civile. Mais avant son indépendance, deux guerres internes avaient déjà secoué ce territoire. Les armes continuent d'y circuler sans frein.
Entre-temps, « la violence politisée », selon les termes de la chercheure, se poursuit. Le viol est utilisé comme arme de guerre et des crimes contre l’humanité sont dénoncés. Pourquoi un tel immobilisme de la part des institutions internationales ?
 
« C’est un conflit qui déstabilise la région. Et en même temps, personne ne va vouloir se mouiller pour ce pays », répond l'universitaire. « Avec la chute du prix du pétrole, ce n’est pas très intéressant », renchérit l’ethnologue. Effectivement, le Soudan du sud vend son pétrole à perte.

Et pourtant, cela reste le nerf de la guerre. D’autant que Juba et et le Soudan ont signé un accord de principe au mois de février pour normaliser leur relation. C’est un texte qui porte sur le montant de la redevance que le Soudan du Sud doit payer au Soudan pour l'utilisation  de ses oléoducs. Il s’agit d’une indexation sur le prix du baril de pétrole. « Elle ne sera donc plus fixe, comme l’exigeait Khartoum. Une victoire du jeune Etat de cinq ans », écrit RFI.
We were rebels (2014), de Katharina Von Schroeder, Florian Schewe en compétition officielle du Festival international du film des droits de l’Homme à Paris.