L’Union africaine vient de rendre public un rapport accablant sur le conflit au Soudan du Sud, qui a éclaté fin 2013. Si l’UA estime qu’il n’y a pas eu génocide, celle-ci fait état d’un affrontement à caractère ethnique. Dans son rapport, l’organisation africaine dénonce des violations flagrantes et extrêmement violentes des droits de l’Homme.
Rédigé par la commission d’enquête, dirigée par l’ancien président nigérian Ulusegun Obasanjo,
le rapport était prêt depuis près d’un an. Mais de nombreux reports avaient rendu impossible la publication des 340 pages faisant état des violences inouïes commises à l’encontre de la population civile par les deux camps belligérants. Ce document détaille les origines du conflit et fournit de nombreuses recommandations afin de reconstruire le pays et réconcilier ses habitants.
Une réconciliation indispensable car le pays est le théâtre depuis décembre 2013
d’une guerre opposant l’armée régulière fidèle au
président Salva Kiir, à une rébellion dirigée par son ancien vice-président et rival Riek Machar. Et ce malgré la signature d'un accord devant mettre fin à la guerre civile, le 26 août dernier.
La rivalité entre les deux camps a fait resurgir d’anciennes dissensions entre les différents clans du Mouvement populaire de libération du Soudan. L’ancienne rébellion menant le pays à l’indépendance en 2011. Dans ces dissensions ce sont des conflits ethniques qui se cristallisent, selon l'UA : d’un côté les Dinkas et de l’autre les Nuer.
Une des raisons de la guerre est donc l’opposition de ces deux ethnies. Pourtant, même si
d’après les Nations unies, la guerre civile a déjà fait près de 50 000 morts et 2,5 millions de déplacés, on ne peut pas parler de génocide comme dans le cas du Rwanda.
« La commission estime qu’il n’y pas de motifs raisonnables de croire que le crime de génocide a eu lieu », peut-on lire.
Une cruauté inouïe
Pour autant, la commission ne manque pas de motifs pour dénoncer des crimes contre l’humanité. Les enquêteurs ont inspecté des casernes, des hôpitaux universitaires, des sites militaires, des sites d’enfouissement. Ils ont également visité des villes particulièrement touchées comme
Bor (centre) où ils ont recueilli des témoignages accablants. Des camps de réfugiés en Ethiopie, le Soudan et Ouganda ont également été l’objet de leur enquête.
Les survivants et les témoins des crimes évoquent la cruauté extrême des deux camps, se souviennent de la mutilation des corps et racontent le drainage de sang humain des personnes qui viennent d’être tuées. Les enquêteurs parlent de cannibalisme forcé puisque des civils ont été forcés à boire le sang ou à manger de la chair humaine brûlée d’un membre d’une autre communauté ethnique.
« Des témoins des crimes ont également fourni des preuves de meurtres brutaux et de mutilations cruelles de cadavres », écrivent les rapporteurs.
La violence sexuelle comme arme de guerre
Ainsi,
« la commission relève des cas de violences sexuelles et sexistes commis par les deux parties contre les femmes ». La ville de Malakal (nord-est) est un cas d’école. On y déplore des dizaines d’enlèvements et de disparitions systématiques de femmes
« dans les hôpitaux ou communautés où elles avaient cherché refuge pendant les hostilités ». Toujours à Malakal, des dizaines de femmes ont été violées à l’église catholique de la localité entre le 18 et le 27 février 2014.
Des violences sexuelles ont également été constatées dans le comté de Leer (nord). A Bentiu, (nord toujours) la Commission a entendu des témoignages décrivant la nature violente des attaques ciblant les femmes et des filles :
« dans certains cas celles-ci impliquaient la mutilation et démembrement du corps ».
La plupart des atrocités ont été commises contre les populations civiles qui ne participaient pas directement aux hostilités.
Si les femmes et les enfants (des témoignages font état d’une éventuelle conscription d’enfant de moins de 15 ans) sont les plus vulnérables, les experts de la Commission s’accordent à dire que
« la plupart des atrocités ont été commises contre les populations civiles qui ne participaient pas directement aux hostilités ». Les lieux de prière ont été constamment pris d'assaut et l’aide humanitaire a été entravée. Le rapport tient à souligner que les deux parties sont tout aussi responsables des violences et des homicides.
« La commission a identifié les auteurs présumés possibles qui pourraient porter la plus grande responsabilité ». Une liste hautement confidentielle portant les noms des possibles bourreaux a été transmise au Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine.
Les femmes au cœur de la construction de l’Etat
Dans ce contexte, les enquêteurs mettent les femmes au cœur de la construction de cet Etat. Le rapport met l’accent sur l’éducation des femmes et sur la féminisation des institutions, notamment de la police.
« Bien qu’il y ait des femmes du Soudan du Sud dans les rangs de la police, il est nécessaire de mettre délibérément en œuvre des politiques de renforcement des capacités et du développement destinées aux femmes qui joueront un rôle plus actif ». Et d’ajouter :
«les officiers de police de sexe féminin ont été formés pour enquêter dans les cas d’exploitation sexuelle et d’autres violences mais ont peu d’occasions d’utiliser cette formation ». Plus globalement, les enquêteurs recommandent une approche de genre dans les politiques de l’Etat.
Le pétrole, le nerf de la guerre
Au-delà de l’affrontement ethnique, le rapport explore les différentes causes économiques, sociales et politiques de la violence à commencer par une société hautement militarisée et polarisée. A cela s’ajoute la corruption, le népotisme et bien sûr les disputes concernant le contrôle des ressources naturelles comme le pétrole
. L’or noir était déjà au centre de la querelle entre le Soudan et le Soudan du Sud :
« 80% du pétrole est situé sur le territoire du Sud-soudan et le reste est au nord ou dans des zones qui sont encore contestées », explique Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS et chercheur au
GREMMO (Groupe de recherche et d'enseignement sur la Méditerranée et le Moyen-Orient). Aujourd’hui c’est toujours le pétrole qui est l'objet de toutes les convoitises dans le plus jeune pays au monde.
Différentes tribus et membres de la diaspora
« sont frustrés cars ils ne peuvent pas bénéficier des dividendes de l’indépendance ». Pour apaiser les esprits, la Commission recommande une
« augmentation de la part des revenus du pétrole retenue par les États producteurs de ressources, en particulier en faveur des communautés affectées ». C'est-à-dire, une augmentation des impôts.
L’Union africaine demande aux décideurs du pays de prêter une attention toute particulière à l’alphabétisation , à la mise en place de programmes d’insertion des jeunes militaires démobilisés, à la construction d’un système judiciaire solide en collaboration avec les tribunaux coutumiers. Et conseille le Sud Soudan d'encourager une véritable indépendance des institutions vis-à-vis du pouvoir. Vaste programme dans un pays
où 30 000 personnes risquent de mourir de faim.