Afrique

Soudan : la révolte du peuple

“Pour le droit à un changement pacifique“ dit cette banderole lors d'une manifestation d'avocats le jeudi 28 juin 2012, près de Khartoum. / Photo @SherySharky
“Pour le droit à un changement pacifique“ dit cette banderole lors d'une manifestation d'avocats le jeudi 28 juin 2012, près de Khartoum. / Photo @SherySharky

Selon une organisation de militants, près d'un millier de personnes ont été arrêtées  vendredi 29 juin 2012 lors des manifestations de Soudanais contre la hausse des prix et leur président Omar el-Béchir. Les étudiants en tête, cela fait 15 jours qu'ils sont des centaines à descendre dans les rues pour prostester.

Ras-le-bol ! C’est le sentiment d’une partie des Soudanais ces derniers jours. Via les réseaux sociaux, ils sont déjà des centaines à se mobiliser ainsi depuis le 16 juin 2012 contre la hausse des prix et plus généralement contre la politique du président Omar el-Béchir en place depuis 23 ans.
Initiée par des étudiantes sur leur campus de l’Université de Khartoum outrées par la hausse des prix de l’alimentation et des transports, la protestation s’est répandue dans la rue. Les étudiants ont entraîné dans leur mouvement une partie de la population soudanaise suite à l’annonce le 18 juin du plan d’austérité mis en place par le pouvoir. Il prévoit des coupes budgétaires drastiques. Mais les griefs contre le pouvoir sont multiples : « Les gens sont fatigués et ruinés. La hausse des prix est incontrôlable. Ils veulent que le régime change à cause de l’oppression, du manque de libertés, du conflit, de la corruption, de la mauvaise gestion économique du pays depuis plusieurs années. », raconte Yousif, économiste et jeune activiste soudanais. Ces Soudanais en colère ont été rejoints, hier, par une centaine d’avocats manifestant devant la cour suprême de justice de Khartoum pour soutenir la liberté d’expression dont sont privés certains journalistes dans le pays.
Le prix de l'essence a augmenté, suscitant la colère des Soudanais / Photo AFP
Le prix de l'essence a augmenté, suscitant la colère des Soudanais / Photo AFP
L'indépendance du Sud ne passe pas
Les chiffres confirment les réalités dénoncées par les Soudanais. Le niveau d’inflation a atteint 30% au mois de mai dernier. Quant aux revenus pétroliers, manne financière importante du Soudan, les trois quarts des ressources appartiennent désormais au Sud Soudan suite à la séparation des deux pays en juillet 2011. L'indépendance du Sud a entraîné depuis plusieurs mois des conflits à leur frontière dans la zone pétrolifère d’Heglig dont le partage n’a pas encore été tranché. « Le pays est en récession. Les gens n’en peuvent plus avec l’effondrement de la monnaie nationale, toutes les importations qui sont plus chères », explique Roland Marchal, spécialiste du Soudan au Centre d'études et de recherches internationales (CERI) à Science Politique Paris. « La hausse du prix du pétrole a un impact fort. Au-delà des transports, c’est aussi le coût de l’électricité qui augmente. Les inégalités sociales se sont accrues avec l’accroissement des revenus pétroliers. Beaucoup de gens sont très amers de la séparation avec le Sud Soudan
Révoltes soudanaises à Khartoum réprimées par les forces de l'ordre / Photo AFP
Révoltes soudanaises à Khartoum réprimées par les forces de l'ordre / Photo AFP
Violences et arrestations
Le Soudan n’en est pas à sa première révolte. Déjà en 1964, la révolte étudiante avait renversé la dictature militaire. En janvier 2011 aussi les Soudanais avait commencé à se soulever mais sans succès. « Nous étions préoccupés par l’histoire du Sud Soudan, confie Yousif, ce n’était pas le moment  pour nous soulever. » Cette année 2012 marquera peut-être un tournant.
Mais cette fois, la répression se fait plus violente avec l’usage de gaz lacrymogènes et de coups de bâtons par les forces de l’ordre. « L’année dernière, les manifestations étaient réprimées mais avec beaucoup plus de retenue qu’aujourd’hui, explique Roland Marchal, on était dans une période où le régime pensait obtenir un accord sur le partage des revenus du pétrole avec le Sud Soudan. Il n’était pas acculé comme il l’est aujourd’hui. Le régime retombe sur ses acquis sécuritaires les plus durs des années 1990-1992. C’est une clique militaire qui gère tout et qui ne laisse aucune place aux avancées sociales ou au débat politique », poursuit-il.
Washington a d’ailleurs condamné dans un communiqué les violences perpétrées à l’encontre des manifestants. Des journalistes ont été arrêtés de quelques heures à plusieurs jours. Salma El Wardany, journaliste égyptienne de l’agence de presse internationale Bloomberg, a été détenue 5 heures le 21 juin puis expulsée du pays pour avoir couvert une manifestation estudiantine. La veille, le correspondant britannique de l'Agence France-Presse, Simon Martelli avait été détenu quelques heures pour les mêmes raisons.
Du côté des activistes, les membres du groupe Girifna ont été la cible d’arrestation à leur domicile tout comme le journaliste citoyen Usamah Mohamad (@simsimt) ou la bloggeuse et militante des droits de l’homme Mimz,@MimzicalMimz.Dans un communiqué, l’organisation Human rights Watch a appelé le Soudan à « mettre un terme à sa répression des manifestations pacifiques, libérer les personnes arrêtées et autoriser les journalistes à couvrir librement les événements ».
Président soudanais Omar el-Béchir / Photo AFP
Président soudanais Omar el-Béchir / Photo AFP
Nouvel épisode du "Printemps arabe" ?
Peut-on pour autant parler de ces manifestations successives comme d'une nouvelle étape du Printemps Arabe ? Seuls les médias usent réellement de ce qualificatif. Le président soudanais Omar el-Béchir, recherché par la Cour pénale internationale (CPI) (lire notre article sur la CPI) pour des crimes contre l'humanité au Darfour, a minimisé l’impact de ces révoltes dans une déclaration dimanche dernier : « Les gens qui brûlent les pneus ne sont pas nombreux et ils cherchent juste la bagarre".
Pour les activistes, tous les espoirs de changement sont permis à certaines conditions : « Aujourd’hui est une date clé pour nous [Samedi 30 juin marque les 23 ans au pouvoir d'Omar el-Béchir, ndlr]. Si la mobilisation est importante, il n’y a pas de retour en arrière possible. Si elle est minime et attaquée violemment, alors le mouvement pour un changement de régime a des chances de mourir, du moins pour le moment », confie Yousif, économiste et jeune activiste soudanais. La mobilisation pourrait donc amorcer un tournant dans la lutte du peuple contre un régime coercitif qui laisse une économie exsangue. Seul bémol si jamais la révolte est un succès : la suite à donner au mouvement. « La liaison est imparfaite pour l’instant entre cette opposition civile et les groupes armés comme le SPLM [Mouvement de libération du peuple soudanais, ndlr] ou les Darfouriens qui militairement tous regroupés ne représentent pas une menace pour le régime », souligne Roland Marchal. Les manifestants Soudanais, eux, sont encore enthousiastes. 

La révolte sur Internet

Depuis plusieurs jours, les réseaux sociaux se font l'écho des revendications économiques et politiques des Soudanais. Sur Twitter : le hastag #SudanRevolts permet de suivre l'évolution de la situation sur place. Les internautes postent aussi de nombreuses photos et vidéos des manifestations. Les appels à la mobilisation se font entendre comme dans ce tweet de Yousif Elmahdi (@Usiful_ME): "Keep protesting, keep documenting, keep talking to media, keep tweeting, keep up the momentum, this revolution is coming ?#sudanrevolts" Sur Facebook : des internautes se prennent en photo avec un message de soutien au peuple soudanais. Grâce à un recoupement d'information, une carte interactive permet de suivre en direct les lieux d'arrestations, de manifestation au Soudan. Pour suivre la progression de la situation, le site internet en anglais d'AlJazeera a créé un blog reprenant les tweets d'internautes soudanais. Le groupe de pirates informatique Anonymoussoutient la révolte populaire et aurait déjà attaqué à plusieurs reprises des sites gouvernementaux soudanais.