Fil d'Ariane
Le 11 avril 2019, le président soudanais Omar el-Béchir est destitué par l’armée, après près de 30 ans au pouvoir. Le régime était alors confronté à la plus importante contestation de son histoire - 4 mois de manifestations quotidiennes contre la vie chère et contre le régime. Sous la pression de la rue, l’armée lâche l’homme fort du pays, l’arrête et l'incarcère dans la célèbre prison de Kober, à Khartoum, la capitale.
Trois ans plus tard, la jeunesse continue de manifester dans le pays contre la vie chère et la junte au pouvoir, malgré la répression féroce des autorités militaires. Malgré la fin du régime du dictateur Omar el-Béchir, le pays est toujours confronté à une grave crise politique et économique. Depuis le coup d’Etat du 25 octobre dernier et la fin de la transition démocratique qui avait succédé, en 2019, aux trois décennies de régime dictatorial d’Omar el-Béchir, le pays n’a toujours pas de gouvernement.
(Re)voir : "Soudan : la mobilisation ne faiblit pas"
A ce jour, excepté quelques partis islamistes, la junte au pouvoir à Khartoum ne parvient pas à trouver de nouveaux partenaires susceptibles de l’aider à former un gouvernement de transition. D’après nos confrères d'ONU Info, à la fin du mois de février, l’ONU s’est dite préoccupée par le nombre massif de violations des droits des enfants directement liées aux récentes manifestations. Au cours d’une réunion du Conseil des droits de l’homme des Nations unies sur la situation au Soudan, Michelle Bachelet, Haute-Commissaire aux droits de l’homme a déclaré : « Des sources médicales crédibles rapportent que 85 personnes, dont une femme et 11 enfants, ont été tuées, selon un décompte établi le 3 mars »
(Re)voir : "Soudan : 7 manifestants tués"
Les mêmes sources onusiennes indiquent qu’à la fin du mois de février, plus de 200 violations avaient été constatées, dont au moins une dizaine d’enfants tués et des dizaines d’autres blessés. En février dernier, Adama Dieng, expert indépendant des Nations unies a passé quatre jours dans le pays au terme desquels il a exhorté les forces soudanaises à cesser de tirer à balles réelles et de lancer des gaz lacrymogènes sur les manifestants. Il s’est aussi dit très préoccupé par les violences sexuelles subies majoritairement par les femmes. Plus globalement, Adama Dieng s’est dit inquiet de « l’extension des pouvoirs de maintien de l’ordre aux forces de sécurité générales pendant l’état d’urgence et à l’immunité temporaire de poursuites accordée à ces forces ».
Le 25 octobre dernier, le chef de la junte au pouvoir, le général Abdel Fattah al-Burhane, a dissous le gouvernement intérimaire et le Conseil souverain de la transition. Dans la foulée, il a placé en résidence surveillée le premier ministre civil Abdallah Hamdok.
Il a également pris un certains nombres de mesures d’exception telles que : l’état d’urgence et surtout, la suspension de la charte constitutionnelle qui, depuis la chute d’Omar el-Béchir en avril 2019, organise le partage du pouvoir entre civils et militaires jusqu’aux élections prévues, en principe, en 2024. Après près d’un mois de manifestations populaires, un nouvel accord sur la transition a été conclu en novembre 2021, et le chef de la junte a réinstallé à son poste le premier ministre Abdallah Hamdok.
(Re)voir : "Soudan : un anniversaire des luttes populaires"
Cette fois-ci, Abdallah Hamdok avait pour principale mission la formation d’un gouvernement de technocrates avant les élections prévues en juillet 2023. Malheureusement, les manifestations se sont poursuivies, la rue reprochant au premier ministre d’avoir pactisé avec l’armée, le gouvernement civil n’étant qu’un habillage destiné à répondre aux exigences de la communauté internationale. D’ailleurs, les Etats-Unis comme les organismes multilatéraux tels que le FMI, le Fonds monétaire international, ont immédiatement marqué leur approbation, mais en conditionnant la reprise de leur aide financière.
(Re)voir : "Soudan : les déplacés du Darfour dans une situation difficile"
Et parmi ces conditions, il y a notamment la constitution d’un gouvernement de civils, la libération des personnes détenues depuis le 25 octobre, la levée de l’état d’urgence, ainsi que la fin des violences contre les manifestants pacifiques. Dans un contexte marqué par la poursuite des manifestations, une crise économique grave et une division persistante entre les différentes forces de la société civile, le premier ministre Abdallah Hamdok a fini par démissionner le 2 janvier 2022. Depuis, la junte peine à former un nouveau gouvernement acceptable par toutes les parties. En effet, les Forces de la liberté et du changement, ainsi que les comités de résistance populaire, fers de lance de la révolution de 2019, exigent le retrait des militaires de la vie politique.
µA côté de cette crise politique persistante, le Soudan connaît également d’importantes difficultés économiques. D’après une note de synthèse de la COFACE, la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur, « la stabilisation de l’économie est intimement liée à l’assistance financière des partenaires étrangers (Etats-Unis, FMI, Banque mondiale, France, Etats-Unis, Arabie saoudite, Emirats arabes unis, Egypte), elle-même fonction de leur acceptation des nouveaux arrangements institutionnels. »
Et toujours selon la COFACE, même si ces conditions venaient à être remplies, la consommation des ménages restera contrainte par le niveau élevé du chômage, la violence et bien entendu l’insécurité.
Depuis le coup d’État d’octobre 2021, la devise soudanaise a perdu un quart de sa valeur, et l’inflation est officiellement à 260%. Et d’après le PAM, le Programme alimentaire mondial, près de neuf millions de soudanais, sur une population totale d’un peu plus de 44 millions d’habitants, souffrent de faim aigüe. D'ailleurs d'après l'ONU, plus de 18 millions de Soudanais, soit près de la moitié de la population locale, pourraient faire face à une famine sévère d'ici cet automne.
Dans la note de synthèse de la COFACE, il est dit que : « Les ménages resteront confrontés à l’hyperinflation, entretenue par la monétisation du déficit, mais surtout les ruptures d’approvisionnement en produits alimentaires et carburant dues aux manifestations qui touchent aussi les villes portuaires sur la mer Rouge, ainsi qu’à la faible productivité agricole. »
Quel sort pour Omar el-Béchir ?
Accusé de génocide, de crime de guerre et crime contre l’humanité au Darfour, il était question, sous le gouvernement civil de l’ancien premier ministre Abdallah Hamdok, de livrer l’ex-dictateur Omar el-Béchir à la CPI, la Cour pénale internationale. Malheureusement, les négociations politiques autour de son transfert n’ont pas abouties, parce que le conseil souverain dirigé par le général Abdel Fattah al-Burhane a traîné des pieds. Le coup d’état d’octobre 2021 a définitivement enterré toute initiative en ce sens. D’ailleurs, Omar el-Béchir a depuis lors été déplacé vers un hôpital spécialisé de Khartoum avec plusieurs hauts cadres de son ancien parti. Il y a quelques jours, c’est une vingtaine de responsables de l’ancien régime qui ont été blanchis par la justice et relâchés.