Les paramilitaires au Soudan assurent avoir pris le contrôle de l'aéroport international et du palais présidentiel à Khartoum. La ville est secouée depuis le matin par des tirs et explosions, dans l'épisode le plus violent de la rivalité entre les deux généraux aux commandes depuis le putsch de 2021. Trois civils ont été tués, selon le syndicat officiel des médecins.
"Deux civils ont été tués à l'aéroport de Khartoum et un civil a été tué à El-Obeid, capitale de l'Etat du Kordofan Nord", a annoncé sur Twitter ce syndicat, précisant que neuf autres ont été blessés et un officier tué à Omdourman, banlieue de Khartoum.
Les Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo, dit "Hemedti", appellent l'ensemble de la population soudanaise, comme les soldats eux-mêmes, à la sédition contre l'armée.
En face, l'armée, dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane, dirigeant de facto du Soudan depuis le coup d'État du 25 octobre 2021, dénonce des "
mensonges" et la "
trahison" d'une force qui a récemment déployé blindés et hommes à travers le pays sans la consulter. Elle a dit que son aviation menait des "
opérations" contre l'"
ennemi", et a affirmé avoir frappé plusieurs bases tenues par des paramilitaires.
À Khartoum, des journalistes de l'AFP ont entendu des survols au-dessus de bases des FSR alors que l'armée postait, sur son compte Facebook, la photo de l'une d'elles en feu dans le sud de Khartoum. Les deux camps s'affrontent également aux abords du siège des médias d'État, rapportent des témoins à l'AFP.
Lors du putsch, Hemedti et Burhane avaient fait front commun pour évincer les civils du pouvoir. Mais au fil du temps, Hemedti n'a cessé de dénoncer le coup d'État, de se ranger du côté des civils - donc contre l'armée dans les négociations politiques. C'est désormais son différend avec le général Burhane qui empêche toute solution de sortie de crise au Soudan.
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Une rivalité qui dégénère en guérilla
Les paramilitaires "ne s'arrêteront pas avant d'avoir pris le contrôle de l'ensemble des bases militaires", a menacé, parlant vite et fort au téléphone sur la chaîne al-Jazeera, leur commandant, le général Mohamed Hamdane Daglo.
Le chef de l'armée, le général Abdel Fattah al-Burhane, lui, assure avoir été "surpris à neuf heures du matin" par une attaque de son QG par les FSR, son ancien meilleur allié que l'armée qualifie désormais de "milice soutenue par l'étranger" pour mener sa "trahison".
Des deux côtés, finies les négociations feutrées sous l'égide de diplomates et autres discussions policées, l'armée a mobilisé ses avions pour frapper --et "détruire", dit-elle-- des bases des FSR à Khartoum. Hemedti, lui, a agoni sur Al-Jazeera son rival d'insultes: c'est un "criminel" qui a "détruit le pays", a-t-il lancé.
Les 45 millions de Soudanais, eux, se sont brutalement réveillés en plein coeur du jeûne de ramadan et sous un soleil de plomb, au son des tirs à l'arme lourde et des explosions à Khartoum et dans plusieurs autres villes.
Les deux camps s'affrontent désormais pour le contrôle du siège des médias d'Etat, selon des témoins, alors que le signal de la télévision, un temps faible, semble avoir cessé.
Dans la même banlieue d'Omdourman, un journaliste de la BBC en arabe a été "frappé par un soldat" alors qu'il tentait d'expliquer qu'il se rendait à son travail, selon sa chaîne.
Appel à la population
Depuis des jours, la rue bruissait de rumeurs sur une guérilla imminente entre les deux camps. Samedi 15 avril au matin, Khartoum s'est réveillée au son des tirs à l'arme lourde et légère et des explosions quasi-ininterrompues.
En quelques heures, les FSR ont annoncé avoir pris l'aéroport international de Khartoum, puis le palais présidentiel où siège habituellement le général Burhane, ainsi que le palais réservé aux hôtes de l'État, un aéroport du nord du pays et "
d'autres bases dans différentes provinces".
L'armée dément la prise de l'aéroport mais assure que les FSR s'y sont "
infiltrées et ont incendié des avions civils, dont un de la Saudi Airlines". Elle assure en outre avoir toujours le contrôle du QG de son état-major.
Dans un communiqué, les FSR appellent donc la population à "
se rallier à elles". Elles affirment aux militaires qu'elles ne "
les visent pas eux, mais leur état-major qui les utilise pour rester sur son trône, quitte à mettre la stabilité du pays en péril".
Les habitants, eux, sont cloîtrés chez eux. "
Comme tous les Soudanais, je reste à l'abri", a tweeté l'ambassadeur américain John Godfrey. "
L'escalade des tensions entre militaires jusqu'à l'affrontement direct est extrêmement dangereuse. J'appelle les hauts commandants militaires à cesser immédiatement de se battre".
Chancelleries et forces politiques affirment s'activer à des médiations depuis plusieurs jours, jusqu'ici sans succès. L'émissaire de l'ONU au Soudan, Volker Perthes, a appelé militaires et paramilitaires à cesser "immédiatement" leurs combats à Khartoum et ailleurs dans le pays.
"Volker Perthes a contacté les deux parties pour leur demander une cessation immédiate des hostilités pour la sécurité du peuple soudanais et épargner au pays plus de violence", indique un communiqué de la mission de l'ONU au Soudan.
Des versions opposées
L'armée, en face, dénonce des "
mensonges" et accuse les FSR d'avoir déclenché les hostilités. Le porte-parole de l'armée, le général Nabil Abdallah, a affirmé à l'AFP que "
les combats" avaient commencé quand les FSR avaient attaqué des bases de l'armée "
à Khartoum et ailleurs au Soudan". L'armée, elle, "
accomplit son devoir pour protéger la patrie", a-t-il ajouté.
Côté FSR, on raconte l'inverse. Elles expliquent avoir été "
surprises au matin par l'arrivée d'un important contingent de l'armée qui a assiégé leur camp de Soba", dans le sud de Khartoum, et les a "
attaquées avec toutes sortes d'armes lourdes et légères".
Jeudi 13, l'armée dénonçait déjà un déploiement "
dangereux" des paramilitaires à Khartoum et dans d'autres villes du Soudan "
sans l'approbation ni la moindre coordination avec le commandement des forces armées". Elle tirait alors "
la sonnette d'alarme" face à un développement "
dangereux".
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Car depuis des jours, alors que les civils devaient accepter
un nouveau report de la signature d'un accord politique censé sortir le pays de l'impasse - à cause des divergences entre les deux généraux -, des vidéos ne cessaient de montrer l'arrivée de très nombreux blindés et d'hommes dans différentes villes, dont Khartoum.
Les divergences portent essentiellement sur l'avenir des paramilitaires : le retour à la transition démocratique est suspendu à leur intégration au sein des troupes régulières.
Si l'armée ne la refuse pas, elle veut malgré tout imposer ses conditions d'admission et limiter dans le temps leur incorporation. Le général Daglo, lui, réclame une inclusion large et, surtout, sa place au sein de l'état-major.
C'est ce différend qui bloque toujours le retour à la transition exigée par la communauté internationale pour reprendre son aide au Soudan, l'un des pays les plus pauvres au monde.
(Re)voir : Soudan : Des manifestants pro-démocratie toujours déterminés