Fil d'Ariane
Les combats à l’arme lourde se poursuivent au Soudan. Depuis le 15 avril, les tensions se sont intensifiées entre le chef de l'armée, le général Abdel Fattah al-Burhane, dirigeant de facto du pays, et son numéro deux, le général Mohamed Hamdane Daglo, dit "Hemedti", à la tête des Forces de soutien rapide (FSR), qui avaient évincé ensemble les civils du pouvoir lors du putsch d'octobre 2021. Plus de 270 morts sont à déplorer.
"Aucun camp ne semble l'emporter pour le moment et vu l'intensité des combats, le niveau de violence, les choses peuvent encore empirer avant que les deux généraux ne s'assoient à la table des négociations", prévient Clément Deshayes, enseignant à l'université Paris 1. Pour cela, "il faudrait que leurs partenaires régionaux fassent pression et pour l'instant les déclarations ne vont pas dans ce sens", ajoute ce spécialiste du Soudan.
La dégradation de la situation sécuritaire au Soudan fait réagir sur le continent africain. Le Kenya a été le premier pays du continent à se positionner pour tenter de jouer le rôle de médiateur dans la crise que traverse le Soudan. Dès le début des combats, le président kényan William Ruto a appelé à la paix. Il invoquait son inquiétude à propos des effets de ce conflit sur la population de la région.
L’Igad, autorité est-africaine pour le développement, a organisé en urgence une réunion le 16 avril. Les présidents de l’Ouganda, de Djibouti, du Sud-Soudan et du Kenya étaient présents par vidéo-conférence. De son côté, Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine, a également exprimé sa volonté de se rendre au Soudan pour tenter une médiation.
L’Égypte, voisin direct du Soudan, multiplie quant à elle les initiatives pour “un retour à la table des négociations.” Le pays a appelé les deux généraux et le président Abdel Fattah al-Sissi a convoqué un conseil de défense inhabituel le 17 avril. "Si j'avais un message à délivrer, et je l'ai dit au président Salva Kiir (du Sud-Soudan), nous sommes tous deux prêts à jouer un rôle de médiation entre nos frères du Soudan afin de parvenir à une trêve entre ces frères, déclare le président Égyptien. Il s'agit, encore une fois, de parvenir à des négociations qui conduisent au rétablissement de la stabilité."
Le président de transition tchadien Mahamat Idriss Déby Itno appelle à un cessez-le-feu et à privilégier le dialogue. Il s’est entretenu par téléphone avec les chefs des parties en conflit. “J’ai appelé les deux parties à cesser le feu et à privilégier la voie du dialogue afin de trouver une solution pacifique et d’épargner à la population des souffrances inutiles”, écrit-il sur son compte Twitter. Mahamat Idriss Déby Itno, tout comme son père Idriss Déby Itno président de 1987 à sa mort en 2021, sont des Zagawa ou Béri, un peuple établi majoritairement dans le nord-ouest du Soudan et le nord-est du Tchad. Les militaires du Conseil de la transition sont majoritairement des Zagawa dont les familles vivent entre le Soudan et le Tchad.
أجريت اتصالان هاتفيان بعد ظهر اليوم مع كل من رئيس مجلس السيادة الانتقالي في السودان الفريق أول ركن عبد الفتاح البرهان عبد الرحمن ونائب الرئيس الفريق أول محمد حمدان دقلو. وقد أستنكرت ما يجري منذ يوم أمس في هذا البلد الشقيق والمجاور …1/2 #السودان pic.twitter.com/oSYhXlwA3a
— Mahamat Idriss Deby Itno (@GmahamatIdi) April 16, 2023
Comment expliquer que la situation au Soudan attise autant de craintes ? Mirette Mabrouk, chercheuse au Middle East Institute, rappelle que l’Égypte partage "1 200 km de frontière, les eaux du Nil et des questions de sécurité" avec le Soudan. Elle accueille aussi sur son sol "entre trois et six millions de Soudanais". Surtout, Le Caire subit déjà les "ramifications" des combats au Soudan, rappelle-t-elle. Plusieurs de ses soldats, des "formateurs" selon Abdel Fattah Siss, ont été "capturés par les FSR" et "elle négocie leur retour".
Les Égyptiens ne veulent pas que le Soudan innove politiquement dans la région.Roland Marchal, chercheur au CERI
De son côté, le chercheur au Centre de recherches internationales (CERI) Roland Marchal est plus sceptique quant aux intentions égyptiennes. “L’Égypte, c’est des pousse au crime dans cette histoire, selon lui. Quand tout l’intérêt pour ce qui se passe maintenant au Soudan va retomber, on se rendra compte qu’il y a eu des acteurs majeurs qui ont été des pousse au crime.” Le chercheur, interrogé par TV5MONDE, estime que “les Égyptiens ne veulent pas que le Soudan innove politiquement dans la région.” Il rappelle qu'“ils ont toujours voulu soutenir les processus militaires. Ils ont des intérêts avec les militaires soudanais par ailleurs, et surtout ils ne veulent pas entendre parler de démocratie.” Le maréchal Abdel Fattah al-Sissi est arrivé au pouvoir en 2013 suite à un coup d'État de l'armée contre le président élu démocratiquement Mohamed Morsi.
Évidemment, les deux disent oui à toutes les médiations et concrètement les refusent.Roland Marchal, chercheur au CERI
Selon Roland Marchal, ces combats ne sont “pas une guerre civile. Ce sont deux corps armés qui se combattent au milieu des civils, qui eux sont fortement touchés.” Pour l’issue de ce conflit, deux scénarios peuvent être imaginés selon le chercheur. “Soit l’un gagne sur l’autre, soit il y a un cessez-le-feu.” Pour la seconde option, “je pense que fondamentalement rien ne sera réglé et ces questions seront remises sur le tapis la prochaine fois.” Et pour la première option, “il faut se demander quelle forme prendra la défaite.” À l’heure actuelle, “chacune des deux parties pense encore pouvoir gagner, analyse Roland Marchal. Évidemment, les deux disent oui à toutes les médiations et concrètement les refusent.” De ce fait, le chercheur considère qu’il est “est hélas un peu tôt pour une médiation.”
“À terme, il y aura des possibilités”, poursuit-il. Quels pays ou institutions seraient le mieux positionnés pour assumer un rôle de médiateur ? “L’Union africaine s’est un peu carbonisée car depuis 2019, ses représentants pour le Soudan ont été très en faveur de Burhan, analyse Roland Marchal. Il y aura une certaine méfiance d’Hemedti.” Selon le chercheur, une médiation de la part de l’Arabie Saoudite ou des Émirats Arabes Unis serait pertinente. Pour lui, ces deux pays peuvent “parler à tout le monde.” “Mais il faut mettre ça en musique diplomatiquement donc ce n’est pas aussi facile que ça en a l’air”, conclut-il.
Ce mercredi 19 avril, des milliers de femmes et d'enfants ont pris la route vers les provinces qui bordent Khartoum. Les combats en sont à leur cinquième jour.