Sous les tirs de grenades lacrymogènes, des centaines de Soudanais ont encore manifesté le 1er juillet dernier à Khartoum contre le pouvoir militaire. Le 30 juin a été une des journées les plus sanglantes de l’année avec au moins neuf morts. L'ONU réclame une enquête indépendante.
"Nous sommes sortis dans la rue spontanément en réaction aux violences d'hier", explique à l'AFP Chawqi Abdelazim, qui manifeste dans la capitale soudanaise.
Le 30 juin, les forces de sécurité ont tué à Khartoum, selon des médecins, neuf manifestants qui réclamaient le retour des civils au pouvoir dans un pays quasiment toujours sous la coupe des généraux depuis son indépendance en 1956.
(RE)voir : Soudan : une manifestation pour réclamer justice pour les morts d'il y a trois ans à Khartoum
Une "enquête indépendante"
La haute-commissaire aux droits de l'Homme de l'ONU Michelle Bachelet réclame une "enquête indépendante".
"Je demande aux autorités de mener une enquête indépendante, transparente, approfondie et impartiale sur la réponse des forces de sécurité, conformément aux normes internationales en vigueur", a-t-elle déclaré dans un communiqué, insistant sur le fait que "les victimes, les survivants et leurs familles ont droit à la vérité, à la justice et à réparation."
La plupart des personnes tuées ont reçu des balles dans la poitrine, la tête et le dos.
Michelle Bachelet, haute-commissaire aux droits de l'Homme de l'ONU
Michelle Bachelet s'est dite
"alarmée" par la mort de neuf personnes, dont un jeune de 15 ans, alors que la police avait annoncé
"qu'elle n'utiliserait pas la force meurtrière pour disperser les manifestants". "Jusqu'à présent, personne n'a été tenu pour responsable de ces décès", a-t-elle rajouté, citant des rapports indiquant que lors des manifestations du 30 juin,
"les forces de sécurité conjointes ont utilisé des balles réelles, ainsi que des gaz lacrymogènes et des canons à eau contre les manifestants. Selon des sources médicales, la plupart des personnes tuées ont reçu des balles dans la poitrine, la tête et le dos."
La responsable de l'ONU a également dénoncé l'arrestation d'au moins 355 manifestants à travers le pays, dont 39 femmes et "un nombre considérable d'enfants."
"Vengeance"
Les protestataires avaient crié par dizaines de milliers
"Le peuple veut la chute de Burhane" dans la capitale, mais aussi dans d’autres villes du pays.
Le 1er juillet, pour le deuxième jour consécutif, dans le centre de Khartoum et dans sa banlieue nord-est, la foule maintenait la pression sur le général Abdel Fattah al-Burhane, le chef de l'armée auteur d'un putsch le 25 octobre dernier qui a plongé le pays dans la crise politique et économique.
Plusieurs centaines de manifestants ont scandé
"vengeance" en brandissant des photos des victimes de la répression qui a fait, depuis ce coup d'État, 113 morts et des milliers de blessés, selon des médecins pro-démocratie.
(RE)voir : Soudan : soigner les blessures invisibles de la répression
Le 30 juin était une journée symbolique au Soudan car elle marquait l'anniversaire du coup d'État ayant porté au pouvoir le dictateur Omar el-Béchir et d'un sit-in ayant forcé l'armée à partager le pouvoir avec les civils après son éviction en 2019.
Balles réelles et "impunité"
La plupart des victimes du 30 juin, dont un mineur, ont été mortellement touchées par balles, ce qui a provoqué les condamnations de la communauté internationale qui depuis huit mois ne parvient ni à convaincre les généraux de cesser de tirer sur la foule ni à faire venir les civils à la table de négociations avec ces mêmes militaires.
L'ambassade américaine a dit avoir
"le cœur brisé par ces morts tragiques", tandis que l'ONU et l'Union africaine (UA) ont condamné
"l'usage excessif de la force par les forces de sécurité et l'impunité" dont elles bénéficient.
L'ambassade de Norvège, à la manœuvre au Soudan avec Washington et l'ancienne puissance coloniale britannique, a condamné
"des tortures, des violences sexuelles et des traitements inhumains" notamment des manifestants et militants détenus par dizaines.
"L'impunité doit cesser", a-t-elle martelé, alors qu'aucun membre des forces de l'ordre n'a jusqu'ici dû répondre d'aucune mort --ni celles des manifestants anti-putsch ni même celles des plus de 250 morts de la
"révolution" qui a mis fin en 2019 à 30 ans de dictature d'Omar el-Béchir.
(Re)lire : Soudan : le pays s'enfonce dans la crise politique et économique, trois ans après la chute de Omar El-BéchirUne condamnation reprise par l'ambassade de Suède qui fait référence au communiqué du Parlement européen.
Josep Borrell, président du Parlement a condamné
"les violences perpétrées par les forces de sécurité soudanaises contre des manifestants pacifistes. Elles ont conduit à des morts dont celle d'un enfant, et faist plusieurs centaines de blessés." Après le règne sans partage de ce général soutenu par les islamistes, l'armée avait été forcée d'accepter de partager le pouvoir avec des civils. Mais le 25 octobre 2021, le général Burhane, a brutalement mis fin à cette transition en faisant arrêter ses partenaires civils, libérés depuis.
Sanctions internationales
En rétorsion, la communauté internationale a coupé son aide qui représentait 40% du budget du Soudan. Ces sanctions n'ont pas fait plier les militaires - quasiment toujours aux commandes depuis l'indépendance en 1956 - mais ont fait plonger l'économie avec l'effondrement de la livre soudanaise et une inflation dépassant tous les mois les 200%.
La police soudanaise a commenté le 1er juillet les évènements de la veille, accusant les protestataires de violences et d'incendies et faisant état de plus de 200 blessés dans les rangs des forces de l'ordre.
Vendredi 1er juillet malgré tout, dans la banlieue nord-est de Khartoum, les manifestants ont érigé des barricades et barré des routes avec des pneus enflammés, tandis que d'autres ont convergé vers le palais présidentiel sous les grenades lacrymogènes, point de ralliement des anti-putsch, ont rapporté des journalistes de l'AFP.