Fil d'Ariane
Les combats militaires ont déjà fait des milliers de morts et ont déplacé des millions de personnes au Soudan. Le conflit perdure depuis onze mois entre deux militaires rivaux pour le plus grand malheur des populations civiles. Quelles sont les conséquences humanitaires du conflit ? Risque-t-on une escalade régionale de cette guerre ? Réponses de Raphaëlle Chevrillon Guibert, politologue spécialiste du Soudan et chargée de recherche en sociologie politique à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Entretien.
Images du camp de Djabel au Tchad le 13 décembre 2023. Plus de 600 000 nouveaux réfugiés soudanais pourraient rejoindre le camp de réfugiés en 2024.
Depuis le 15 avril 2023, de violents affrontements ont éclaté au Soudan entre l’armée régulière et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR). Derrière ces forces, deux généraux militaires se disputent le pouvoir et la richesse de ce pays : Abdel Fattah al-Burhane, qui dirige le pays, et son adjoint Mohamed Hamdane Daglo, chef des FSR.
Le bilan humain est lourd : des milliers de morts, dont entre 10 000 et 15 000 dans une seule ville du Darfour, à l'ouest du pays. La confrontation entre l'armée et les paramilitaires a, par ailleurs, déplacé "près de 8 millions" de personnes, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays, selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
Le 7 février, les parties au conflit ont accepté de se réunir sous l’égide des Nations unies pour discuter de la situation humanitaire, a annoncé l’ONU. Jusque-là, tous les pourparlers pour la paix ont été voués à l'échec.
TV5MONDE : quelle était la situation politique au Soudan avant le début du conflit ?
Raphaëlle Chevrillon Guibert : En 2019, il y a eu un grand enthousiasme populaire autour du mouvement de contestation pacifique ayant mené à la chute du régime d’Omar el Béchir (1989-2019) après trente ans de règne autoritaire. Néanmoins, cette révolution a cessé d’être une réussite dès lors que les militaires se sont imposés pour mener la période de transition. Les civils ont été vite écartés.
L’appareil militaire, sous l’égide du général Abdel Fattah al-Burhane, a réussi son coup d’État en 2021. Une compétition est née entre deux branches dont les leaders, Abdel Fattah al-Burhane et Mohamed Hamdane Daglo, sont les principaux acteurs du conflit en cours.
TV5MONDE : Dans quel contexte la guerre actuelle a-t-elle éclatée ?
Les tensions sont montées progressivement entre les branches militaires à la tête du pays. Les causes sont multiples. Les deux militaires se posaient en rivaux pour diriger le pays et accéder à ses richesses dans un contexte de crise économique où les ressources sont déjà faibles. Celles-ci sont, pour la quasi-totalité, contrôlées par des acteurs proches du pouvoir.
Raphaëlle Chevrillon Guibert, spécialiste du Soudan.
Par ailleurs, pendant les négociations pour faire réintégrer les civils dans le processus de transition, sous la pression de la communauté internationale, l’organisation sécuritaire se réorganisait. L'armée régulière et les FRS sont devenus des challengers de plus en plus dangereux pour rester à la tête de l'appareil militaire du pays.
TV5MONDE : Pourquoi le conflit au Soudan passe sous les radars des opinions publiques internationales ?
L’actualité internationale n’est pas du tout favorable au Soudan qui a toujours été un pays méconnu. Bien qu’il soit le deuxième plus grand pays d’Afrique, le Soudan intéresse peu la scène médiatique occidentale.
On s’y intéresse de manière ponctuelle. L’Europe entretenait des liens que quand il s’agissait des accords pour contrôler le flux migratoire. Aujourd’hui, le Soudan n’est plus un interlocuteur privilégié pour cette problématique car, au contraire, il crée de (futurs) migrants.
Raphaëlle Chevrillon Guibert, spécialiste du Soudan.
TV5MONDE : Ce conflit pourrait-il augmenter le risque de déstabilisation de la région ?
L'escalade régionale est toujours au cœur des inquiétudes. Des milliers de Soudanais sont prêts à traverser les frontières dans une région sahélienne très instable. Ce conflit déstabilise tous les pays qui accueillent les flux de migrants. La guerre laisse la place aux informalités à l’instar de la circulation d’armes, de capitaux et aux réseaux de mafias.
TV5MONDE : Quid de la situation humanitaire ?
C’est une catastrophe humanitaire colossale pour une bataille entre deux généraux qui veulent le pouvoir. C’est très compliqué pour les organisations d’acheminer les aider et de redéployer leurs équipes. Pendant de nombreux mois, tout était bloqué. Quant aux dons, ils ne sont pas toujours à la hauteur des besoins. Il est crucial que les donateurs y répondent. Une guerre oubliée c’est une bombe à retardement.
TV5MONDE : Les parties au conflit ont accepté de se réunir sous l’égide des Nations unies pour discuter de la situation humanitaire. Dans quelle mesure c'est une bonne nouvelle ?
Pour ne pas être cynique, c’est une décision positive. Cela montre qu’il y’a au moins un intérêt minimum pour les populations civiles. Si les belligérants acceptent l’idée de cette aide cela veut dire qu'ils pourraient, à terme, laisser acheminer l’aide. En revanche, nous sommes assez loin pour parvenir à un accord.