Sur le continent africain, une "guerre juridique" contre les personnes LGBTQIA+

Les députés ghanéens ont adopté le 28 février un projet de loi contre l'homosexualité. Mais ce texte a peu de chances d'être promulgué par le président Akufo-Addo. Le gouvernement craint que la Banque mondiale cesse d'aider le pays si cette loi entre en vigueur. Trente et un pays africains criminalisent les personnes homosexuelles. Et ces dernières années, les lois contre les personnes LGBTQIA+ se sont encore durcies sur le continent allant jusqu'à la peine de mort. 

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Deux mois à trois ans de prison "pour des relations homosexuelles". La sanction peut grimper jusqu'à 10 ans d'emprisonnement si il s'agit "de campagnes LGBT+ à destination des enfants'". Ce texte voté par le parlement a été parrainé par une coalition composée de chrétiens, de musulmans et de chefs traditionnels ghanéens. Il a bénéficié d'un important soutien des députés. Le texte avait été déposé en 2021. Mais son vote avait toujours été différé.

Au Ghana, pays à majorité chrétienne, les relations entre personnes de même sexe sont interdites depuis une loi qui date de l'ère coloniale. Mais celle-ci était rarement appliquée. Cependant, les personnes queer (dont l'orientation sexuelle ou l'identité de genre ne correspond pas aux modèles dominants) y sont régulièrement la cible de discriminations selon Amnesty International. 

Des textes contraires au droit de l'Union africaine

Les réactions internationales ont été immédiates après le vote du parlement ghanéen. Le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Volker Türk, a estimé que l'adoption de cette loi par le Parlement ghanéen est "profondément perturbante". Les États-Unis se sont également dits "profondément troublés" par cette loi, qui "menace les libertés d'expression, de presse et de réunion de tous les Ghanéens".

La Banque mondiale pourrait retirer son aide au Ghana

"Restreindre les droits d'un groupe dans une société, c'est porter atteinte aux droits de tous", a affirmé le porte-parole du département d’État, Matthew Miller. Le ministère ghanéen des Finances a déconseillé au président Nana Akufo-Addo d'approuver un projet de loi anti-LGBT+, mettant en garde contre d'éventuelles retombées financières, notamment la perte de milliards de dollars provenant de la Banque mondiale. 

"Au total, le Ghana devrait perdre 3,8 milliards de dollars de financement de la Banque mondiale au cours des cinq à six prochaines années. Pour 2024, le Ghana perdra 600 millions de dollars pour le soutien budgétaire et 250 millions de dollars pour le Fonds de stabilité financière", indique la note du ministre au président.

Nous sommes confrontés sur le continent à une guerre juridique homophobe. 

Tigere Chagutah, directeur régional pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnesty International

Les arguments du ministre semblent avoir fait mouche pour l'instant. Le président Nana Akufo-Addo a repoussé la promulgation de la loi. Il doit également quitter la présidence en décembre prochain et ne veut pas laisser une image négative auprès de la communauté internationale. Cette hésitation du pouvoir central est rare sur ce sujet en Afrique.

Président du Ghana

Le président du Ghana Nana Akufo-Addo lors du 75ème anniversaire de l'Unesco à Paris ce 12 novembre 2021. 

Julien de Rosa/ AP

L'heure est en effet au durcissement des législations homophobe sur le continent. En Afrique, 31 pays continuent de criminaliser les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe. Ceci est "en violation flagrante des normes relatives aux droits humains établies au niveau de l’Union africaine et du monde", constate Amnesty International. 

"Les arrestations et détentions arbitraires se sont multipliées, le simple fait d’être soi-même étant considéré comme une infraction pénale. Dans certains endroits, la peine de mort plane tel un spectre terrifiant – un châtiment injuste et brutal qui sanctionne le fait d’être qui ils sont. Nous sommes confrontés à ce qui constitue assurément une crise croissante d’une guerre juridique homophobe", insiste Tigere Chagutah, directeur régional pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnesty International.

31 pays africains criminalisent les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe.

En Tanzanie, les relations entre personnes du même sexe sont punies d'une peine minimale de 30 ans qui peut aller jusqu'à la perpétuité. En Zambie, Sierra Leone et Gambie, la peine peut aussi aller jusqu'à la perpétuité. En Somalie c'est la peine de mort.

L'Ouganda en mai 2023 a voté une loi "anti-homosexualité". Le texte prévoit de lourdes peines pour les personnes ayant des relations homosexuelles et faisant la "promotion" de l'homosexualité. Un délit d'"homosexualité aggravé" est passible de la peine de mort. 

Les difficultés auxquelles sont confrontées les personnes LGBTQIA+ en Afrique dépassent le cadre de la légalité et englobent une lutte sourde pour les cœurs et les esprits des sociétés. 

Samira Daoud, directrice régionale pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale d'Amnesty International.

La Banque mondiale a annoncé en août 2023 qu'elle suspendait tout nouveau prêt au pays en raison de cette législation "fondamentalement contraire" à ses valeurs. Mais cette loi a reçu un large soutien dans le pays. 

Ce que Amnesty International nomme une "guerre juridique homophobe" s'accompagne de discours de haine et de campagnes contre les personnes LGBTQIA+. Le cadre juridique favorise ce type de discours constate Amnesty International.  "Il importe de reconnaître que ces difficultés auxquelles sont confrontées les personnes LGBTQIA+ en Afrique dépassent le cadre de la légalité et englobent une lutte sourde pour les cœurs et les esprits des sociétés", explique Samira Daoud, directrice régionale pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale à Amnesty International dans une note de l'ONG sur la défense des droits humains des personnes LGBTQIA + sur le continent.

Discours de haine, appels au meurtre

C'est ainsi que le président du Burundi Evariste Ndayishimiye a proféré des appels au meurtre en décembre 2023. "Personnellement, je pense que si on voit ce genre d'individus au Burundi, on devrait les mettre dans un stade et les lapider avec des pierres. Et ce ne serait pas un péché pour ceux qui le feront !"

Au Sénégal en octobre 2023, dans la ville de Kaolack à 200 kilomètres de Dakar, des hommes ont exhumé une dépouille d'un défunt supposément homosexuel pour la brûler devant une foule. Plusieurs ONG  de la socité civile avaient condamné cet acte de barbarie et demandé l'ouverture d'une enquête. 

Les relations sexuelles entre personnes du même sexe n'ont été dépénalisées que dans une poignée de pays : le Cap-Vert, le Gabon, la Guinée-Bissau, le Lesotho, le Mozambique et les Seychelles. L'Afrique du Sud est le seul pays du continent africain à autoriser le mariage homosexuel, qu'elle a légalisé en 2006.