Fil d'Ariane
Ce vendredi 23 avril, le chef de l’État français Emmanuel Macron assistait aux funérailles du défunt président tchadien, Idriss Déby Itno, mort de ses blessures au front contre des rebelles mardi dernier, selon l’armée. La présence du seul président occidental, au côté du fils du défunt Mahamat Déby Itno, reconnu en tant que successeur, est lourde de sens. Décryptage avec Roland Marchal, chercheur au CERI - SciencesPo/CNRS.
"La France perd un ami courageux". C’est en ces termes que l’Élysée a réagi, ce mardi, à l’annonce de la mort du président tchadien, d’Idriss Déby Itno. Des mots forts, qui révèlent un lien tout particulier avec celui qui est resté près de 31 ans au pouvoir et qui était réélu pour un sixième mandat. Des paroles, ponctuées par des actes et tout particulièrement la venue d’Emmanuel Macron, à N’Djamena, à l’occasion des obsèques d’Idriss Déby. Une visite, dans le calme, en apparence, alors que le pays est en pleine ébullition.
Avant d’être avec la famille Déby, les liens sont d’abord avec le Tchad, pays que la France n’a jamais vraiment quitté, depuis son indépendance, en 1960 : "l’armée française qui est revenue en 1969 n’a, depuis, plus quitté le Tchad, notamment avec une installation, non pas via une base militaire, mais au titre d’un accord de coopération. Les militaires français ont été présents au Tchad très longtemps pour contenir les ambitions libyennes et depuis 1986 avec l’opération Épervier, qui veillait au respect de la souveraineté tchadienne et à empêcher des intrusions libyennes" affirme Roland Marchal, spécialiste de l’Afrique subsaharienne. Une présence qui s’est poursuivie jusqu’en 2014 et son remplacement par l’opération Barkhane.
C’est donc, avant tout, avec un objectif sécuritaire que la France est présente au Tchad et qu’elle a noué des liens si étroits avec le pays, et avec la famille Déby notamment. Pour Roland Marchal, cette présence militaire sur place a alimenté "le storytelling militaire sur le Tchad, qui décrivait cette armée comme la meilleure d’Afrique avec des français qui, historiquement, ont eu tendance à minimiser les problèmes de fonctionnement de cette armée et les nombreuses violations des droits de l’Homme qu’elle a commis".
Historiquement, les liens entre la France et la famille Déby n’ont pas toujours été très chaleureux, mais les présidents français l'ont toujours soutenu et ce, malgré son exercice autocratique du pouvoir : "C’est surtout avec les services de renseignements français et la DGSE qu’Idriss Déby avait d’étroites relations, notamment sous Mitterrand", selon Roland Marchal. Si les relations étaient plus froides, notamment sous la présidence de François Hollande, Idriss Déby était tout de même un "partenaire indispensable, notamment dans le cadre des opération Serval puis Barkhane, avec des militaires français qui ont clamé la nécessité d’un appui tchadien", ajoute le spécialiste.
Sous la présidence d’Emmanuel Macron, la donne est toute autre : "Idriss Déby a prouvé son importance dans les opérations militaires au Sahel et surtout, la France, en difficulté, avait besoin du Tchad et ce, plus que jamais. Il ne faut pas négliger la posture de Déby, président qui n’hésite pas à être franc, à dire les choses de façon directe, indépendamment du protocole et des bons usages de la démocratie". Une façon d’être et d’agir qui "plaît" tout particulièrement à l’actuel président français, selon Roland Marchal.
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Peu importe la tournure que prendront les événements, que ce soit le fils d’Idriss Déby, les gens au pouvoir ou l’opposition, selon Roland Marchal, "tous ces acteurs ont intérêt à s’inscrire dans une continuité d’appui de la France, car ils pensent tous que si les Français ne sont pas contents, ils finiront par avoir des problèmes. Que l’on soit d’accord ou pas, c’est ce qui s’est passé dans le cas de l’ancien président tchadien, Hissène Habré, que la France a lâché et qui a été renversé avec l’aide française, mais aussi libyenne", menant à la prise de pouvoir d’Idriss Déby.
"Les gens se concentrent sur la personnalité de Mahamat Idriss Déby Itno, mais il faut prendre conscience qu’au pouvoir, plus qu’un homme, c’est l’entourage d’Idriss Déby qui est au pouvoir, ne respectant pas, au passage la structure démographique du pays", ajoute le spécialiste.
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Pour Roland Marchal, "il est scandaleux de voir comment l’on parle du Tchad, ami de la France depuis quelques jours et de voir comment l’on oublie la situation sur place. 42% de la population vit sous le seuil de pauvreté, ça n’est quand même pas satisfaisant pour un régime qui a bénéficié d’une aide internationale qui n’a cessé de croître depuis 10 ans, d’une rente pétrolière et dont les dirigeants sont très riches, quand la population est très pauvre".
"Les Français ferment les yeux sur l’inquiétude et sur la protestation de la société civile, mais aussi des autres membres de l’armée. Pourtant, ce scénario risque de produire des dissonances" ajoute-t-il. L’inquiétude des Français est de voir des dissidences de nature armées débuter à N’Djamena.
Pour Roland Marchal, "la France est en train de parier sur un coup d’état militaire. Les intellectuels africains sont d’ailleurs scandalisés par la prise de position française, mais aussi européenne, d’absence de critique". Un discours français et européen qui consiste à ne pas remettre en question la légitimité de la junte militaire et à réclamer une "transition pacifique" plutôt que de parler de démocratie.
Selon Roland Marchal, "cela ne fait que souligner l’hypocrisie des pays démocratiques. Surtout, le discours que l’on nous sert sur la stabilité du Tchad oublie de dire que c’est Idriss Déby, lui même, qui produisait les rébellions armées, cette instabilité, qu’il combattait ensuite, avec l’aide de la France. L’histoire de ce régime est une histoire de rébellions qui sont battues ou cooptées à l’intérieur du pouvoir".
Indépendamment de savoir qui doit être au pouvoir, il y aurait dû y avoir une "réserve de la part de la France": "Que Macron aille aux funérailles est une chose, mais qu’il légitime le fils d’Idriss Déby et le CMT qui sort d’on ne sait pas où, en est une autre", ajoute-t-il.
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"Quand la France utilise le terme pacifique, elle met en garde contre un scénario qui verrait les différentes factions au sein de l’armée et de la garde présidentielle s’affronter. La France n’a évidemment pas à imposer le cours politique au Tchad, mais elle doit rappeler la Constitution et indiquer qu’il est hors de question de voir un régime militaire être mis en place, car c’est de cela dont on parle actuellement. Nous avons affaire à quelques hommes, guidés par le fils de l’ancien président. Le Tchad n’est pas une monarchie et les Zaghawa n’en sont pas les dépositaires", affirme Roland Marchal.
Pour le spécialiste, il était possible de mettre en place un gouvernement d’union nationale, sous la conduite du président du parlement et de civils, "même avec les militaires en toile de fond".