Tchad: la "transition" prolongée de Mahamat Idriss Déby braque l'opposition et embarrasse à l'étranger

Le maintien au Tchad du général Mahamat Idriss Déby Itno à la tête d'une "transition" prolongée de deux ans, et avec tous les pouvoirs, achève de braquer les oppositions politique et armée. La communauté internationale l'avait adoubé il y a 18 mois à la condition de la tenue "d'élections libres et démocratiques".
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Le général Mahamat Idriss Deby, à gauche sur la photo, pose avec le président du Nigeria Muhammadu Buhari lors d'une visite officielle à Abuja en mai 2021.
Le général Mahamat Idriss Deby, à gauche sur la photo, pose avec le président du Nigeria Muhammadu Buhari lors d'une visite officielle à Abuja en mai 2021.
© Sunday Aghaeze/Nigeria State House via AP)
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Samedi 8 octobre, un Dialogue National Inclusif et Souverain (DNIS) a entériné deux ans de plus avant la tenue d'élections mais, surtout, l'éligibilité du nouvel homme fort de N'Djamena pour la présidentielle dans deux ans, malgré une promesse contraire en 2021.

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Ce forum était considéré comme l'émanation du pouvoir par une très grande partie de l'opposition politique, de la société civile et des plus puissants des mouvements rebelles armés, qui dénoncent la perpétuation de la "dynastie Déby".

Le 20 avril 2021, quand son père Idriss Déby Itno était tué au front contre des rebelles après 30 années de règne sans partage sur ce vaste pays sahélien, le général Mahamat Déby, 37 ans, était proclamé Président à la tête d'une junte de 15 généraux. Et il promettait des "élections libres et démocratiques" après une "transition" de 18 mois, renouvelable une fois.

Mais surtout, Mahamat Idriss Déby Itno s'engageait devant la communauté internationale à être inéligible après la transition, conformément aux dispositions de la Charte de l'Union africaine (UA) sur les changements inconstitutionnels de gouvernements.

"Désobéissance civile"

C'est fortes de ces engagements que l'UA, l'Union européenne et la France - un allié-clé -, avaient alors adoubé le nouvel homme fort de N'Djamena. Au moment où elles condamnaient et sanctionnaient des militaires putschistes au Mali, au Burkina Faso, en Guinée et au Soudan. Mais aussi et surtout parce que l'armée tchadienne est un pilier de la guerre contre les djihadistes au Sahel au côté de l'opération française Barkhane.

Le DNIS, "taillé sur mesure", "n'avait pour seule finalité que la légitimation de la dévolution monarchique du pouvoir du père au fils", assènent dans un communiqué des mouvements, organisations et personnalités l'ayant boycotté, dont Wakit Tamma, une plateforme regroupant l'essentiel des partis politiques et organisations de la société civile de l'opposition. Ils appellent les Tchadiens à "la désobéissance civile" et aux "manifestations pacifiques" à partir du 20 octobre.

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Quant à la rébellion armée, elle avertit que le pouvoir devra "assumer toutes les conséquences de sa fourberie" dans un communiqué signé par 18 mouvements rebelles, certains représentant les plus fournis en combattants, dont le Front pour l'Alternance et la Concorde au Tchad (FACT), qui a tué Idriss Déby en 2021.

Lundi 10 octobre, son fils a été investi "Président de Transition", après avoir troqué son habituel uniforme de général 5 étoiles contre le boubou traditionnel. Mais l'UA, ainsi que les nombreux chefs d'État africains invités, ont boudé la cérémonie, à l'exception du président nigérian. L'UE et la France - qui se sont dites "préoccupées" par la remise en cause de "la durée de la transition et de la clause d'inéligibilité" -, n'étaient représentées que par leurs ambassadeurs.

Ouverture ?

Mais lundi 10 octobre, le chef de l'État a promis d'oeuvrer à un "retour à l'ordre constitutionnel" en deux ans et de nommer "dans les tout prochains jours" un "gouvernement d'union nationale". Et répété que le DNIS avait intégré "toutes" les composantes de la société et une partie des rebelles.

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Avec la nomination du gouvernement et d'un parlement de transition, le général Déby "dispose désormais de pouvoirs élargis", analyse Enrica Picco, directrice Afrique centrale pour le centre de réflexion International Crisis Group (ICG). Le gouvernement "d'union nationale" sera peut-être "un signe d'ouverture", veut croire la chercheuse, tout en prévenant: "en cas de fermeture totale aux partis, aux groupes armés et à la société civile qui n'ont pas pris part au dialogue, tout est envisageable: des manifestations, ou que les groupes armés reprennent les armes".

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La prolongation de la transition et l'éligibilité de Mahamat Idriss Déby Itno ont "fait sauter un verrou mis en place par l'UA" et plongent la communauté internationale dans l'embarras, estime Roland Marchal, chercheur spécialisé sur l'Afrique subsaharienne à Sciences Po Paris.

Il y a trois semaines, l'UA exigeait encore de la junte de limiter à 18 mois la transition et lui rappelait "sans équivoque, qu'aucun" de ses membres "ne pourra être candidat aux élections".

Signe de son embarras depuis la clôture du DNIS, sollicitée plusieurs fois par l'AFP, l'UA est restée mutique, elle qui, depuis 2020, a suspendu de ses instances le Mali, le Soudan, la Guinée et le Burkina Faso.

La communauté internationale "va sans doute se plier à la doctrine de l'UA" pour le Tchad, anticipe Roland Marchal, qui écarte cependant l'hypothèse de sanctions: "le réalisme prévaudra et on reviendra à un soutien au régime tel qu'il existe depuis 1990".