Fil d'Ariane
TV5MONDE : Où en est-on de la transition politique annoncée par Mahamat Déby ?
Kelma Manatouma, chercheur en sciences politiques à l’université des Antilles : Nous sommes à six mois des élections qui devront mettre fin à dix-huit mois de transition. Aujourd’hui, il ne reste que vingt jours pour tenir le "dialogue inclusif", qui doit marquer la fin de la première phase de cette transition. Dans son dernier discours à la veille de l’anniversaire de la mort de son père, le président Mahamat Idriss Déby confirme que ce dialogue doit se tenir le 10 mai prochain. Un communiqué du gouvernement valide également cette date.
Mais les choses sur le terrain ne montrent pas qu'il va avoir lieu à cette date. Mahamat Déby est censé réunir tous les Tchadiens, incluant ceux qui ont dû quitter le pays pour des raisons politiques ou même les groupes des politico-militaires tchadiens à la frontière libyenne. Or, aucune information concernant l’organisation du dialogue, les représentants censés être présents ou le nombre de participants n’a encore été diffusée.
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Au-delà de ces questions, des discussions doivent être menées en amont avec les opposants politiques. Je prends l’exemple du groupe de Waki Tama, (mouvement composé d'une trentaine de partis d'opposition, organisations de la société civile et des jeunes, ndlr).
Ils ont plusieurs revendications. Ils réclament l’interdiction pour les membres du Conseil militaire de transition (CMT) à se présenter à l'élection présidentielle. Ils veulent aussi que la charte de la transition soit modifiée sur deux points. Elle donne pour le moment un pouvoir plein au président de la République. D’autre part, elle stipule qu’il est possible que la transition soit prolongée. Si le gouvernement de Mahamat Déby ne discute avec ces représentants en amont, alors le "dialogue inclusif" que veut organiser le CMT risque d’être compliqué à mettre en place.
On ne peut pas comparer le pouvoir de transition de Mahamat Déby avec celui de son père, qui était dans son fonctionnement normal.
Kelma Manatouma, chercheur en sciences politiques à l’université des Antilles.
TV5MONDE : Quel espace Mahamat Déby laisse-t-il à cette opposition en comparaison à son père ?
Kelma Manatouma : On ne peut pas comparer un pouvoir de Mahamat Déby avec celui de son père, qui était dans son fonctionnement normal. Le pouvoir actuel, lui, est dans une phase de transition, cela veut déjà dire qui est dans une période d'incertitude.
Mahamat Déby a besoin d’argent. Il doit adopter une position plus souple s’il souhaite que la communauté internationale accompagne cette transition.
Kelma Manatouma, chercheur en sciences politiques à l’université des Antilles.
Si Mahamat Déby était trop fermé, cela pourrait pousser le peuple à de plus grandes contestations. C’est pour cette raison qu’il a autorisé des manifestations. Elles auraient été totalement interdites sous le régime de son père. Il a également accepté le retour de beaucoup de militants, qui n’étaient pas venus depuis trente ou quarante ans. Aussi, Mahamat Déby a besoin d’argent. Il doit adopter une position plus souple s’il souhaite que la communauté internationale accompagne cette transition.
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Il a aussi l’image d'un homme ouvert, prêt à aller discuter avec des gens qui ne partagent pas sa position.
Kelma Manatouma, chercheur en sciences politiques à l’université des Antilles.
TV5MONDE : Mahamat Idriss Déby a-t-il les épaules pour gérer cette période de transition ?
Kelma Manatouma : En tant que militaire, il connaît les acteurs de l’appareil administratif. Il connaît bien l’armée car il a été le directeur de la garde républicaine ( qui regrouperait quelque 7 000 hommes chargé, notamment, de la protection du chef de l’Etat, ndlr). En même temps, il a aussi un rapport important avec la famille de son père, issue de la tribu des Zaghawas et il connaît bien les Goranes (ethnie souvent rivale voire ennemie des Zaghawas, ndlr).
Il a aussi l’image d'un homme ouvert, prêt à aller discuter avec des gens qui ne partagent pas sa position. Le fait qu’il ait rencontré des gens qui sont restés trente ou quarante ans en exil n’est pas anodin.
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Mais son jeune âge (trente-sept ans) lui permet de s’assumer et inquiète certains citoyens. Dans l’imaginaire de certains Tchadiens, son pouvoir pourrait devenir monarchique.
TV5MONDE : Si cette transition ne se passe pas comme prévu, qu’en est-il de l’avenir du régime ?
Kelma Manatouma : La tension et l’insécurité risque de monter d’un cran. Il ne faut pas oublier l’arrivée sur la scène politique du jeune Succès Matra, président du parti les Transformateurs, lui-même inclus dans Waki Tama. Succès Matra est prêt à mobiliser les gens sur le terrain et le peuple est prêt à manifester.
Si l’accord est conclu, si on a une transition apaisée, on ne peut pas prédire aujourd’hui ce qu’il se passera. On risque de retomber dans la même situation qu’ avant la transition. Nous sommes dans une zone d’incertitude.