Fil d'Ariane
Yaya Dillo Djérou, principal opposant à la junte au Tchad, tué le 28 février dans l'assaut par l'armée du siège de son parti, a été "exécuté à bout portant" par les militaires, a affirmé à l'AFP le secrétaire général de son mouvement, Robert Gamb. Les autorités tchadiennes réfutent cette accusation.
En partie détruit, le bâtiment abritant le siège du Parti socialiste sans frontières (PSF) de Yaya Dillo, tué lors de l'assaut par l'armée de ces mêmes locaux, est en cours de démolition vendredi 1er mars 2024, N'Djamena, Tchad.
"C'est une exécution, ils ont tiré à bout portant sur lui pour l'exécuter car il était devenu gênant", a assuré M. Gamb, secrétaire général du Parti socialiste sans frontières (PSF), à deux mois de l'élection présidentielle à laquelle Yaya Dillo Djérou voulait se présenter. Le principal opposant à la junte au Tchad est mort le 28 février dans l'assaut par l'armée du siège de son parti à N'Djamena.
Le ministre de la Communication Abderaman Koulamallah a immédiatement réfuté cette accusation. Il a assuré à l'AFP que l'opposant, recherché par les forces de l'ordre, "avait refusé de se rendre et tiré lui-même sur les militaires" lors de cet assaut qui a fait quatre morts dans les rangs de l'armée et trois dans le camp de M. Dillo. Il était recherché par les forces de l'ordre pour avoir fomenté une présumée "tentative d'assassinat" du président de la Cour suprême il y a dix jours et une attaque du siège des tout-puissants services de renseignement mardi.
"Nous n'avons exécuté personne", a assuré M. Koulamallah par téléphone à l'AFP. "Il s'est opposé à son arrestation, il y a eu des échanges de balles, il n'y a pas eu d'exécution", a ajouté le ministre, également porte-parole du gouvernement nommé par M. Déby.
"On ne peut pas attaquer avec tout un arsenal de guerre un opposant seul dans un bureau" et "qui n'avait pas d'armes", a protesté M. Gamb.
Depuis jeudi, une photo circule dans des groupes de réseaux sociaux proches de la famille de M. Dillo, mais non authentifiée à ce stade, montrant un gros plan sur la tête de la dépouille mortelle d'un homme ressemblant trait pour trait à M. Dillo, un petit orifice très net entouré d'un halo noir en plein milieu de la tempe.
Depuis jeudi, le PSF et les autres responsables des principaux partis d'opposition assurent que M. Dillo a été victime d'un "assassinat" pour l'écarter de la présidentielle prévue le 6 mai.
Le siège du parti du principal opposant à la junte au Tchad, tué mercredi dans l'assaut par l'armée de ce bâtiment à N'Djamena, est en cours de démolition vendredi, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Le bâtiment abritait le Parti socialiste sans frontières (PSF) de Yaya Dillo Djérou, cousin du général Mahamat Idriss Déby Itno, proclamé président de la République de Transition par une junte militaire en 2021. M. Djérou a été tué dans l'assaut, qui a fait au total sept morts selon le gouvernement, quatre militaires et trois dans les rangs de M. Dillo.
Une grosse pelleteuse démolit le bâtiment de trois étages, rapportent deux journalistes de l'AFP dans l'après-midi, tenus à distance par un épais cordon de sécurité de l'armée, dont on aperçoit de loin des véhicules blindés tout autour de l'immeuble.
Dans un message audio à l'AFP quelques heures avant sa mort, l'opposant de 49 ans démentait fermement et accusait en retour la junte d'une "mise en scène" destinée à l'écarter de la présidentielle à laquelle Mahamat Déby ne fait pas mystère de son intention de se présenter.
Ce dernier, alors jeune général de 37 ans, avait été proclamé par l'armée Président de transition à la tête d'une junte de 15 généraux le 20 avril 2021, à l'annonce de la mort de son père, le maréchal Idriss Déby Itno. Le patriarche dirigeait alors d'une main de fer ce vaste pays sahélien depuis plus de 30 ans.
Mahamat Déby promettait aussitôt de rendre le pouvoir aux civils par des élections après une transition de 18 mois mais, ce terme échu, il l'avait prolongée de deux ans. L'opposition dénonçait une "succession dynastique" des Déby.
M. Dillo était l'un de ses plus farouches opposants et celui que le clan Déby, dont il fait partie, redoutait le plus, selon les politologues: parce qu'issu de la famille et de son ethnie des Zaghawa qui, bien que très minoritaire au Tchad, monopolise depuis plus de 33 ans les plus hautes positions dans l'appareil militaire et de l'Etat.
Car le clan Déby et l'ethnie Zaghawa se fissurent chaque jour un peu plus ces dernières années, et même ouvertement aujourd'hui, estiment experts de la région et diplomates qui y voient un risque de coup d'Etat.
M. Dillo pouvait entraîner derrière lui une frange importante d'officiers zaghawas hostiles à Mahamat Déby, selon eux.
Dernière défection en date: un frère du défunt maréchal, le général Saleh Déby Itno, a rallié le PSF de Yaya Dillo le 10 février. Il a été arrêté dans l'assaut mercredi.
"Avec l'assassinat de Yaya Dillo, le pouvoir montre qu'il faut frapper très fort avant les élections, pour que tout le monde rentre dans le rang. C'est un message très fort envoyé à l'opposition, à sa propre famille et au Zaghawas", analyse pour l'AFP un expert africain de la région, qui souhaite rester anonyme parce qu'il est diplomate.
Mahamat Déby, selon lui, "veut court-circuiter toute éventuelle opposition".
"Il n'y a pas aujourd'hui un opposant qui peut représenter une menace dans la course pour la présidence", renchérit pour l'AFP Enrica Picco, directrice du centre d'analyse International Crisis Group (ICG) pour qui "la réponse au cas de Yaya Dillo ne laisse pas d'espace à l'interprétation".
"Mais sa mort et l'arrestation de Saleh Déby pourraient alimenter des volontés de vengeances pour une partie du clan", prévient-elle.