Tchad : que sait-on des violences qui ont conduit à la mort du principal opposant du régime ?

Le principal opposant au gouvernement du général Mahamat Idriss Déby Itno au Tchad, son cousin Yaya Dillo Djerou, a été tué mercredi 27 février dans l'assaut par l'armée du siège de son parti, le PSF. Que sait-on des violences qui ont eu lieu pendant deux jours dans la capitale tchadienne ? Analyse de Roland Marchal, spécialiste du Tchad.

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Yaya Dillo

Images d'archives du principal opposant au pouvoir militaire Yaya Dillo, chef du Parti socialiste sans frontières (PSF).

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Les militaires continuent de patrouiller dans les rues de la capitale tchadienne ce jeudi 28 février. Le pouvoir militaire estime avoir déjoué une tentative de renversement du président Mahamat Idriss Déby Itno. Que s'est-il passé les 27 et 28 février à N'Djamena. Chaque jour bruissait un peu plus la rumeur d'un possible coup d'Etat menée par une frange d'officiers et caciques, autant par hostilité à Mahamat Idriss Déby Itno. que par fidélité à Yaya Dillo.

A-t-on assisté à une tentative de coup de force ? Roland Marchal, spécialiste du Tchad n'en est pas certain.

On a le sentiment que le régime a surréagi. Cela démontre une forme de fébrilité du régime.

Roland Marchal, professeur à Sciences-Po Paris et spécialiste du Tchad.

"Il n'y a pas eu réellement de combats ou d'affrontements entre des forces de sécurité . Il n'y a pas eu réellement de tentative de prise de pouvoir. Des rumeurs couraient au sein du pouvoir que Yaya Dillo opposant au pouvoir avaient des relais au sein de l'armée. Ce n'est pas le cas. En tous cas ses relais ont manqué. Il se peut très bien que dans le cadre d'un différend politique entre les deux la tension soit montée au delà du raisonnable. On a le sentiment d'un affrontement personnel qui a monté de manière folle", estime Roland Marchal, professeur à Sciences-Po Paris et spécialiste du Tchad.

Accusations de tentatives d'assasinat

L'opposant était accusé d'avoir mené, dans la nuit de mardi 27 février à mercredi 28 février, une attaque contre les locaux des services de renseignements à la suite de l'arrestation d'un de ses militants pour "tentative d'assassinat contre le président de la Cour suprême". Yaya Dillo est mort "là ou il s'était retranché, au siège de son parti. Il n'a pas voulu se rendre et a tiré sur les forces de l'ordre", a précisé Abderaman Koulamallah, porte-parole du gouvernement et ministre de la communication. 
 
Interrogé par l'AFP, quelques heures avant sa mort, Yaya Dillo avait farouchement nié et dénoncé "un mensonge" et une "mise en scène" destinée à écarter sa candidature contre le général Déby à la présidentielle prévue le 6 mai prochain.
 
C'est dans l'après-midi, après avoir fait couper l'internet dans toute la ville face à l'afflux d'appels à venir "défendre" l'opposant, que les militaires ont attaqué le siège, au fusil d'assaut voire à l'arme lourde à en juger par les stigmates de l'affrontement sur la façade de l'immeuble et les tirs sporadiques entendus par les correspondants de l'AFP.
 
Selon Roland Marchal, le pouvoir a donc surréagi. Et cette surréaction est le signe "d'une forme de fébrilité" du régime. "Yaya Dillo n'était pas un opposant capable de mettre à mal le régime", estime le chercheur. Le régime ces dernières semaines s'est durci. "On note que un des opposants qui dirigeait une Commission sur les droits humains a été démis de ses fonctions. Le message envoyé n'est pas celui d'une grand ouverture vers plus de démocratie", note Roland Marchal. 
 
Le pouvoir militaire est aux main d'un clan. L'ethnie des Zaghawa, très minoritaire dans le pays, monopolise les rouages essentiels de l’État.
Roland Marchal, professeur à Sciences-Po Paris et spécialiste du Tchad.
Mahamat Idriss Déby Itno selon Roland Marchal a su écarter toute concurrence pour la prochaine élection présidentielle du 6 mai. Mais l'homme de 37 ans sait que son pouvoir est contesté. "Son père Idriss Déby qui était bien plus expérimenté militairement n'a pas cessé de lutter pour se maintenir au pouvoir. il a dû faire face à des tentatives de coup d’État", explique Roland Marchal. 
 
 
"Le pouvoir militaire est aux main d'un clan minoritaire dans le pays. L'ethnie des Zaghawa, très minoritaire dans le pays monopolise les rouages essentiels de l’État et de la toute puissante armée depuis l'arrivée au pouvoir en 1990 d'Idriss Déby, à la suite d'un coup d’État. Mais il n'y a pas de solidarité ethnique au sein des Zaghawa et au sein du clan. La rumeur qui court et qui est infondée à mon sens dit que Idriss Déby a été exécuté par des membres du clan Zaghawa. Idriss Déby Itno a été tué au front en 2021 lors d'une offensive d'un groupe rebelle. Les contestations du pouvoir peuvent venir du clan des Zaghawa", explique Roland Marchal.

 

Yaya Dillo était ainsi issu du même clan familial Déby et de la même ethnie Zaghawa. Ex-rebelle armé devenu ministre puis opposant politique, il était le neveu du défunt maréchal Idriss Déby Itno, qui régna d'une main de fer sur ce vaste pays sahélien 30 années.

Le clan des Zaghawa un des rouages de l'armée

Mahamat Idriss Déby Itno, son fils, s'est emparé du pouvoir après la mort de son père en 2021. L'opposition parle alors de "coup de force constitutionnel".
Le 20 octobre 2022 le pouvoir a réprimé des manifestations dans la capitale tchadienne. Plus de 60 personnes ont trouvé la mort.
 
Le président Mahamat Idriss Déby Itno exerce "un pouvoir solitaire mais contesté" selon le chercheur. Moins expérimenté que son père, "le jeune président a su manœuvrer et se montrer habile politiquement" pour se maintenir au pouvoir pour l'instant. "Il a su s'imposer. Il va à marche forcé vers la présidentielle. Et pour l'instant les Français ne disent rien. Et l'Union africaine ne réagit pas."