Fil d'Ariane
Le général Mahamat Idriss Déby Itno, chef des autorités militaires tchadiennes au pouvoir depuis trois ans, a été officiellement déclaré président élu du Tchad. La relation entre le Tchad et la France va-t-elle évoluer après l’officialisation de son élection ?
Le président français Emmanuel Macron reçoit à l'Élysée Mahamat Idriss Deby Itno, président du Conseil militaire de transition au Tchad, Paris, 16 février 2022.
C’est la fin d’une transition militaire ouverte le 20 avril 2021 lorsque Mahamat Idriss Déby Itno a été proclamé par l'armée chef de l'État à la tête de 15 généraux pour remplacer son père, Idriss Déby Itno, mort lors de combats contre les rebelles. Le Conseil constitutionnel confirme son élection avec 61% des voix au premier tour de la présidentielle du 6 mai.
Ce 17 mai, le président français Emmanuel Macron a "félicité" le général pour son élection à la présidence du Tchad. Dans la région du Sahel, les pays gouvernés par des autorités militaires, comme le Mali, le Burkina Faso ou le Niger, ont rapidement pris leur distance avec la France. Le Tchad va-t-il leur emboîter le pas ?
Le maillon clé de la présence militaire française en Afrique
Après le départ forcé des troupes françaises du Mali, du Burkina Faso et du Niger, le Tchad reste le dernier bastion de leur présence au Sahel.
Actuellement, il y a plus d’un millier d’hommes, répartis entre les trois bases de Faya-Largeau (au nord), d’Abéché (à l’est) et la base aérienne 172 de la capitale N'Djamena.
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“Le Tchad est la dernière position que la France a dans la région, souligne Roland Marchal, chercheur au CERI spécialisé dans l’économie et les conflits dans l’Afrique sub-saharienne. Et ils veulent la garder apparemment.” Selon lui, le Tchad a tout intérêt à conserver sa relation avec la France, tout en se diversifiant.
Roland Marchal : Il faut comparer la déclaration du Département d’État des États-Unis à la suite de l’élection avec celle de l’ambassadeur de France au Tchad. Cela permet de comprendre que les Français se sont rapidement mis à l’ordre du jour de la nouvelle réalité. Ils actent l’élection. Il n’y a pas un mot de retenue, à l’inverse de ce que dit le département d’État américain, qui à mon avis actera l’élection mais signale qu’il y avait quelques problèmes dans le processus électoral.
De leur côté, les Français sont absolument sans critique, malgré la mobilisation populaire. Sans doute que le président français aurait préféré que Mahamat Déby n’aille pas à l’élection, mais il y est allé et a été élu. Donc une fois de plus, les Français accepteront cette réalité.
Roland Marchal : Tout le monde parle de l’aspect militaire. Cependant, les Français jouent un rôle important de lobbying vis-à-vis des institutions multilatérales, que ce soit l’Union européenne ou les institutions de Bretton Woods.
(Re)voir Tchad : Mahamat Déby officiellement élu avec 61% des voix
Elles permettent d’obtenir une mobilisation en faveur du Tchad qui touche à la fois la question des réfugiés soudanais, dont le nombre va certainement augmenter très vite en raison des combats dans le Nord Darfour. En même temps, ce lobbying est utile pour les besoins de l’État tchadien, qui reste l’un des pays les plus pauvres au monde en dépit de ressources pétrolières et de ressources en or conséquentes.
C’est plutôt quelqu’un qui essaye de jouer toutes les cartes en même temps et négocie avec les uns et les autres.
Roland Marchal, chercheur au CERI
Roland Marchal : Il y a eu beaucoup de rumeurs sur l’arrivée de soldats russes. Il y a aussi eu beaucoup de rumeurs disant que lorsque Mahamat Déby serait élu, il ferait venir des troupes russes et mettrait les Français dehors. C'est un raisonnement avec une logique de guerre froide. C’est plutôt quelqu’un qui essaye de jouer toutes les cartes en même temps et négocie avec les uns et les autres.
(Re)voir Tchad : la victoire contestée de Mahamat Idriss Déby
Je crois qu’il a bien compris que la Russie lui offrait éventuellement une assurance vie sur lui-même et son régime. Mais elle offre très peu de choses à propos des besoins financiers de son pays. Peut-être également qu’elle ne fournirait pas l’argent politique nécessaire pour calmer les tensions au sein de l’armée. De ce point de vue, les Occidentaux ou les États du Golfe sont meilleurs.
Vous n’allez pas faire de la Russie un ennemi.
Roland Marchal, chercheur au CERI
Je pense qu’il y a une diplomatie multicarte qui est en cours. Elle pourrait sans doute se traduire par une présence russe plus grande au Tchad, notamment dans le domaine minier, où les Russes ont une vraie expertise. Il y a également les contrats liés à l’armement et à la maintenance d’équipements militaires complexes qui est désormais attribuée à une entreprise russe alors qu'auparavant, elle l’était à une entreprise ukrainienne.
(Re)voir Tchad : quel bilan après les résultats de la présidentielle ?
Vu du Tchad, les Russes sont au Soudan, en Centrafrique, au Niger et ils ont renforcé leurs positions en Libye, donc vous n’allez pas faire de la Russie un ennemi. Il y a une volonté au minimum de rendre les relations normales, voire plus. On va le savoir dans les prochaines semaines.
Il ne semble pas impossible que Mahamat Déby décide d’opter pour les Russes comme le Niger l’a fait, parce qu’il y a des liens très forts entre l’armée nigérienne et l’armée tchadienne. Mais d’un autre côté, ce que je vois, ce sont les besoins financiers de ce régime. Et les Russes ne payent pas. Ils prennent de l’argent, des marchés miniers, fournissent des armes, mais ce n’est pas ce qui coûte le plus cher.