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©TV5MONDE / Commentaire : K.G. BARZEGAR - Montage : G. Longo
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Tensions inter-ethniques en Ethiopie : au moins 58 morts, selon Amnesty International

Au moins 58 personnes ont été tuées au cours des violences entre communautés ethniques survenues la semaine dernière en périphérie de la capitale Addis Abeba, selon l'ONG Amnesty international et une source éthiopienne participant à l'enquête. Près de 900 personnes ont été déplacées dans la capitale après les attaques.
Ils ont trouvé refuge dans ce centre d'Addis Abeba... Depuis une semaine, ils sont devenus des "déplacés", dans leur propre ville... Ces familles vivaient à Burayu, Kolfe et Ashewa Meda, des banlieues de la capitale. Entre jeudi et dimanche derniers, ils ont été pris pour cibles par des groupes de jeunes, armés de bâtons et de machettes: des attaques d'une violence inouïe... 

Askale Adacha, 63 ans, vivait de travaux de tissage à Ashewa Meda. Désormais, elle a perdu le peu qu'elle possédait. Jeudi 13 septembre 2018, des jeunes ont accosté sa fille de 15 ans devant leur maison. L'un d'eux a sorti un couteau et menacé de couper les seins de l'adolescente. 
 
Quand ils ont voulu découper la poitrine de ma fille, j'ai sorti la mienne et je les ai suppliés de découper ma poitine à la place, alors ils ont arrêté, mais ils ont pris son père.Askale Adacha, personne déplacée

Le jeune homme s'est ravisé mais le groupe a pénétré dans la chambre et, frappant le lit à coups de bâtons, en a fait sortir le fils terrifié de la sexagénaire. Le garçon a été enlevé. Depuis, elle est sans nouvelles. "Je ne sais pas à présent s'il est vivant ou mort", explique Askale, désormais réfugiée dans un centre de jeunesse d'Addis Abeba reconverti pour l'accueil des victimes de la dernière flambée de violences. "Nous vivions avec ces gens, nous nous faisions confiance mutuellement", explique la sexagénaire entre deux sanglots. "Je ne comprends pas pourquoi ils ont fait ça". 

Après avoir vu son fils emporté de force, Askale a assisté de loin au pillage en règle de son modeste logis alors qu'elle prenait la fuite. Elle s'est ensuite cachée dans un abri avec une vingtaine d'autres habitants terrorisés qui étouffaient de la main les cris des enfants pour ne pas trahir leur présence, puis a finalement réussi à gagner la capitale samedi, avec l'aide de militaires déployés pour restaurer l'ordre. A présent, encore sous le choc, elle ne demande qu'une seule chose aux autorités: savoir où ont été enterrés les corps des victimes.

Flou autour du bilan des attaques

Selon les autorités, les attaques ont fait 23 morts dans la ville de Burayu, située en région oromo, près d'Addis Abeba. Mais pour l'ONG Amnesty International, le bilan est bien plus lourd : au moins au 58 morts...

Fisseha Tekle, un chercheur de l'ONG Amnesty International, a assuré avoir parlé à des résidents ayant dénombré 58 morts de vendredi à lundi à Burayu. "Ces gens ont indiqué à Amnesty International avoir vu 8 corps vendredi, 21 le samedi, ils en ont vu environ 11 dimanche et le nombre de cadavres était de 18 le lundi", a-t-il détaillé.

Mais un responsable participant à l'enquête sur les violences et qui a vu les corps des personnes tuées a assuré mercredi à l'AFP que le nombre de personnes tuées dans le cadre de ces violences est non seulement plus élevé, mais que ces violences ont eu lieu dans  une zone géographique plus grande qu'annoncé par les autorités, jusque dans le centre d'Addis Abeba. "Il y a 65" morts à Burayu, Ashewa Meda et Kolfe, villes situées à l'ouest d'Addis Abeba, ainsi qu'à Kirkos, un quartier du centre de la capitale, a-t-il dit sous couvert de l'anonymat.  Le gouvernement n'était pas joignable dans l'immédiat.

Les minorités ciblées par les Oromos 

Selon les victimes de ces attaques interrogées mardi par l'AFP, les violences ont débuté jeudi 13 septembre pour se prolonger jusqu'à dimanche 16 septembre et elles ont été perpétrées par des groupes d'Oromo ciblant des habitants issus de minorités ethniques. 

La capitale elle-même a été le théâtre d'échauffourées entre jeunes partisans du Front de libération oromo (OLF) - un ancien groupe rebelle dont les dirigeants en exil ont été autorisés à rentrer à Addis Abeba - et des habitants non-oromo.

Desta Hailu, habitante sans emploi d'Addis Alem, à environ 50 km à l'ouest de la capitale, raconte à l'AFP avoir été prise à partie par une foule hostile arborant les couleurs rouge et verte de l'OLF alors qu'elle rentrait chez elle chercher des médicaments. "J'en ai entendu parmi eux qui disaient: frappez-la, tuez-la", se souvient Desta, de l'ethnie Dorzé. Elle a trouvé finalement refuge chez un voisin oromo qui s'est interposé entre elle et la foule.

A Burayu, la police de la région oromo est bien intervenue, selon Shino, mais elle n'a pu empêcher la foule de tuer trois personnes sous les yeux des forces de l'ordre. Puis de frapper un vétéran de guerre paralytique à coups de pierres et de bâtons, plus tard emmené à l'hôpital.
 
Les gens de Dorzé et de Gouragué ont été pris pour cible, surtout les Dorzé. Nos voisins disent qu'on doit vivre ensemble, mais ce groupe dit qu'on doit partir.Shibo Shino, déplacé
"Plus jamais je ne leur ferai confiance", explique Shibo Shino, en parlant de ses voisins oromo dans la localité de Burayu, touchée par les dernières violences. "J'y avais plusieurs maisons que je possède depuis 2005 et maintenant, je n'ai plus rien", ajoute-t-il, n'ayant pas la possibilité en l'état de retourner à Burayu.

Manifestation à Addis Abeba

Cette flambée de violences a provoqué la colère de la population. Lundi, des centaines de personnes sont descendus dans la rue et ont bloqué des axes routiers de la capitale 
pour protester contre les attaques et réclamer justice.
 
Les habitants de Gamo et d'Amhara sont attaqués et jetés dans les bois. Nous avons besoin de paix, nous avons besoin de justice. Je suis venue demander justice car nos frères et soeurs se font massacrer. Ils violent nos soeurs et nos mères.Bizuayehu Biyargegne Getahun, manifestante 
Les manifestants pointent du doigt les Oromo, l'ethnie la plus importante du pays.
Le Premier ministre éthiopien a condamné ces attaques et appelé à la paix entre communautés. Mais pour de nombreux manifestants, ses mots ne suffisent pas. D'autant plus qu'Abiy Ahmed est lui-même issu de l'ethnie Oromo.
 
Le gouvernement dit qu'il faut se serrer les coudes, mais nous sommes en train de nous éloigner les uns des autres car il n'y a pas d'État de droit.Zewdu Tinae, manifestant
La manifestation de lundi s'est soldée par cinq nouvelles victimes, cette fois tuées par les forces de l'ordre. La police les a qualifiés de "vagabonds" dangereux. 

Arrestation de 200 suspects après les attaques

Selon les médias locaux, 200 suspects auraient été interpellés à la suite des attaques. Le chercheur d'Amnesty International, Fisseha Tekle a appelé le gouvernement à enquêter sur le comportement de la police régionale oromo, qui n'a selon lui rien fait pour empêcher les violences, et celui de la police fédérale, qui affirme qu'elle n'avait pas la permission d'intervenir.
 
Ils doivent enquêter sur les raisons pour lesquelles ils n'ont pas répondu à temps, les raisons pour lesquelles ils ont échoué à protéger les communautés vulnérables.Fisseha Tekle, chercheur d'Amnesty International
Ces violences ont débuté peu avant le retour samedi en Ethiopie de dirigeants du Front de libération oromo (OLF), un ancien groupe rebelle antigouvernemental que l'actuel gouvernement a enlevé de la liste officielle des organisations "terroristes".
Ce retour s'inscrit dans le cadre d'un ambitieux programme de réformes entrepris par Abiy Ahmed.