Fil d'Ariane
Le 13 mars 2016, un attentat terroriste a emporté la vie de 19 personnes, dans la station balnéaire de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire. Cinq ans après, la menace terroriste continue à planer sur la région, symbole d’une expansion dijhadiste vers le golfe de Guinée.
Il y a cinq ans, l’attentat de Grand-Bassam a secoué le monde. Le lieu est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Une attaque qui sonnait comme la concrétisation d’un changement de stratégie, de la part des mouvements terroristes, notamment présents au Sahel. Car si Al Qaïda est présent un peu plus au nord, ses ambitions ne s’arrêtent pas à la zone dite des trois frontières entre Mali, Niger et Burkina Faso. En ligne de mire : le golfe de Guinée. Une zone géostratégique importante pour ceux qui veulent asseoir, un peu plus, leur présence en Afrique de l’Ouest. Entretien avec Seidik Abba, journaliste et analyste de l’actualité africaine.
TV5MONDE : Cinq ans après l’attentat de Grand-Bassam, quelle a été la réponse apportée par les autorités à la menace djihadiste ?
Seidik Abba : On constate que la menace terroriste est toujours présente. Elle est intimement liée à la situation au Sahel. Il y a cinq ans, la situation de certains pays comme le Burkina Faso n’était pas aussi grave qu’aujourd’hui. On constate une extension de la menace vers le golfe de Guinée, à travers plusieurs actions des groupes djihadistes, tels que des enlèvements, des prises d’otage ou encore des attaques meurtrières.
À partir du moment où cette menace s’est pleinement incrustée dans un pays comme le Burkina Faso, frontalier du Bénin, du Togo, du Ghana et de la Côte d’Ivoire, les terroristes peuvent envisager d’avoir un ancrage dans les pays du golfe de Guinée.
On observe d’ailleurs de nombreuses attaques aux frontières qui existent entre ces pays. La menace est donc là, elle est présente et elle gagne même du terrain.
Cette évolution a mené à une prise de conscience de la part des pays du golfe de Guinée, qui ont longtemps considéré cette affaire comme étant une affaire sahélienne.
Le Ghana, le Bénin et la Côte d’Ivoire ont, par exemple, redoublé de vigilance et tentent de s’organiser. La CEDEAO a, par exemple, décidé de mobiliser un milliard de dollars, en 2019, afin de lutter contre la présence djihadiste.
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TV5MONDE : Lorsqu’on vous entend, on a l’impression que le Burkina Faso est un territoire-clé dans la stratégie des terroristes
Seidik Abba : En effet, le Burkina Faso a une position géostratégique importante car il permet d’accéder aux pays du golfe de Guinée. L’autre élément, c’est qu’au Burkina Faso, il y a un groupe djihadiste à l’ancrage local, Ansarul Islam, qui recrute des burkinabés. Il est le symbole de la stratégie des djihadistes qui veulent une endogénéisation du terrorisme au Sahel. Du chef aux exécutants, les acteurs sont des locaux.
Je pense également que le Burkina Faso n’était pas préparé à une menace d’une telle ampleur, car jusqu’en 2015 et la chute de Blaise Compaoré, le pays n’a pas fait l’objet de grandes attaques. Pour finir, le pays, par volonté souverainiste, a été réticent à collaborer avec les forces étrangères.
C’est donc cet ensemble de facteur qui explique la situation dans laquelle le Burkina Faso se trouve et en fait une rampe de lancement pour les djihadistes qui veulent se rendre dans les pays dits du golfe de Guinée.
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TV5MONDE : On évoque souvent l’aspect opérationnel, mais ces derniers temps, de nombreux scrutins ont eu lieu dans les pays concernés. N’y a-t-il pas une réponse politique à apporter également ?
Seidik Abba : Il y a résolument une réponse sur le plan de la gouvernance démocratique à apporter. Un des facteurs sur lesquels capitalisent les groupes terroristes est l’absence de légitimité, d’autorité, mais également sur l’impunité. Il faut donc asseoir la gouvernance démocratique, mais il faut écouter les populations qui veulent pouvoir choisir leurs dirigeants, plutôt que des personnes parachutées, à l’occasion des différents scrutins. Les pays du golfe de Guinée sont plutôt épargnés sur ce plan là, mais on l’a vu en Côte d’Ivoire, l’équilibre est encore fragile.
TV5MONDE : Si le contexte sahélien affecte les pays du golfe de Guinée, n’y a-t-il pas, néanmoins, des distinctions à opérer entre les deux zones ?
Seidik Abba : Au Sahel, le terrorisme a prospéré sur la pauvreté des gens. Dans les pays du golfe de Guinée, il y a un cadre et un niveau de vie relativement plus favorable. Au Sahel, avec 100 euros, il est possible de recruter un Malien qui souffre de la pauvreté, n’a aucune perspective, subit le changement climatique ou encore de la mauvaise gouvernance. Cela, on ne le voit pas dans le golfe de Guinée.
Également, que ce soit au Niger ou encore au Mali, les terroristes se sont appuyés sur des composantes musulmanes bien plus importantes que dans les pays du golfe de Guinée. Même si au Ghana ou encore au Togo, il y a une présence musulmane, elle n’est pas comparable à l’ancrage de l’islam dans les pays du Sahel.
C’est sur ce terreau islamique qu’un certain discours a aussi pu avoir une réponse favorable, notamment depuis les années 1980 et les wahabbites qui ont investi des sommes colossales pour propager leur islam radical.
Les contextes sociaux, économiques, politiques mais aussi religieux sont donc différents et expliquent le fait que, même si le danger djihadiste guette la zone du golfe de Guinée, il n’y a, pour le moment, pas de prise.
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TV5MONDE : Cela vous rend-il plus optimiste quant à l’avancée djihadiste dans la zone ?
Seidik Abba : Oui, mais il faut clairement une meilleure coordination et une meilleure coopération entre les pays non sahéliens et les pays sahéliens. Je pense qu’il faut qu’elle soit mise en place dès maintenant.
Le G5 Sahel ne doit pas être le seul acteur de la lutte contre le terrorisme dans la région. Il faut que sur le plan de la contribution à l’effort de lutte, il faut que les pays du golfe de Guinée s’impliquent davantage.
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La clé, c’est l’anticipation. Pour l’instant, des groupes djihadistes tentent d’asseoir leur présence dans le golfe de Guinée, mais il ne faut pas attendre qu’ils réussissent pour réagir. Il faut une meilleure coopération entre le Ghana et le Burkina Faso, une meilleure coopération entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso.
Ce n’est pas encore perdu ! Il faut organiser la réponse, la menace est réelle, elle est aux portes de ces pays, mais elle n’a pas encore vraiment pris. Il faut donc agir vite, car il est plus difficile d’empêcher l’endogénisation de la menace djihadiste que d’empêcher sa progression.
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