Tidjane Thiam s’est longtemps plaint du «plafond de verre» auquel il s’est heurté en France.
Ingénieur sortant major de sa promotion de la prestigieuse Ecole des Mines, polytechnicien, diplômé d’un master de l’école de commerce Insead, il avait toutes les qualités pour trouver un emploi de très haut niveau. Mais cet Ivoirien de naissance, qui a la double nationalité franco-ivoirienne, dit avoir longtemps buté sur un racisme fait de non-dits qui lui a bloqué les plus hautes marches des entreprises françaises. A tel point que quand un chasseur de têtes l’a démarché pour rejoindre le groupe britannique d’assurance Aviva en 2002, il a commencé par lui préciser au téléphone: «Je suis Noir, francophone et je mesure 1m93.»
Tidjane Thiam aura finalement réussi à briser le plafond de verre, non seulement en France, mais aussi parmi les élites de la finance mondiale. Nommé mardi directeur général de Credit Suisse, il n’est que le deuxième Noir à arriver à la tête d’une grande banque internationale, après Stanley O’Neal qui a dirigé Merrill Lynch jusqu’en 2007.
Partout où il va, l’homme impose le respect. Assez direct, parlant de façon très simple et relativement douce, qui tranche avec son imposant physique, Tidjane Thiam a réussi une carrière spectaculaire. Ça n’a pourtant pas du tout été un long fleuve tranquille.
Né en 1962, ce père de deux enfants est issu d’une grande famille de la politique ivoirienne. Son père, Amadou Thiam, avait épousé une nièce du président Félix Houphouët-Boigny. Nommé ministre de l’Information alors que Tidjane avait 1 an, il est ensuite écarté du pouvoir, puis nommé ambassadeur au Maroc, avant de redevenir ministre à la fin des années 1970.
Après une scolarité en Côte d’Ivoire, Tidjane Thiam réussit des études brillantes supérieures en France. C’est à sa sortie des études, après avoir défilé en 1984 comme polytechnicien sur les Champs-Elysées le 14 juillet, qu’il se heurte au plafond de verre. C’est un cabinet de consultants américain, McKinsey, qui le recrute. Il travaille pour eux à Paris puis à New York. Mais quand le président ivoirien Henri Konan Bédié l’invite en 1994 à revenir à son pays natal, il n’hésite pas longtemps. Il devient le responsable du Bureau national d’études techniques et de développement. Quatre ans plus tard, il est promu pour devenir ministre du Plan. Quand arrive le coup d’Etat de 1999, Tidjane Thiam se retrouve sans emploi, sans carrière et sans plan de secours.
Il rejoint le cabinet McKinsey, où il est promu associé, et il reprend son travail de conseil auprès de compagnies d’assurance et de banques. Trois ans plus tard, quand il est approché par le britannique Aviva, il hésite pourtant. «J’étais prudent, raconte-t-il dans l’émission de la BBC Desert Island Disc. C’est difficile de travailler dans une langue qui n’est pas la vôtre.» Son ami Richard Harvey, qui dirigeait alors Aviva, le convainc.
L’immigré ivoirien qui travaillait en France devient alors un immigré français à la City. «J’avais dit à un ami: «Quand même, être Noir dans ce milieu, ce n’est pas facile.» Il m’a répondu: «Ne t’inquiète pas, tu es Français, et à la City, c’est bien plus handicapant. Ton accent est français.»
Devenu directeur financier d’Aviva, où il est pressenti pour prendre la tête du groupe, il surprend tout le monde en rejoignant Prudential en 2008, dont il devient le directeur général l’année suivante. Tidjane Thiam tente alors un coup qui a failli lui coûter sa carrière. Il trouve un accord avec le géant américain AIG pour lui acheter sa filiale asiatique, AIA. Objectif: devenir le leader de l’assurance vie dans cette région d’avenir. Le pari financier, à 35 milliards de dollars, est gigantesque. A tel point que c’est un échec retentissant: les actionnaires de Prudential s’y opposent.
Stoïque dans l’adversité, Tidjane Thiam fait face à une assemblée générale houleuse en juin 2010, où de nombreux actionnaires réclament publiquement sa tête. Il tient bon, reconnaît son échec et tourne la page.
Cinq ans plus tard, il est salué de tous. Le cours de bourse de Prudential a triplé, après une période d’expansion très agressive. Le bénéfice opérationnel du groupe a augmenté de 14% en 2014, dont un tiers est réalisé en Asie, un deuxième gros tiers aux Etats-Unis et le reste au Royaume-Uni. «Il n’y a pas de meilleur moment (pour quitter l’entreprise)», assure-t-il.
Une interrogation revient cependant régulièrement à propos de son transfert à Credit Suisse: Tidjane Thiam n’est pas un banquier. Il n’a jamais travaillé pour une banque. Le pari à la tête de l’institution suisse est risqué. Mais le Franco-Ivoirien a l’habitude de briser les plafonds de verre.