Au Togo, la nouvelle Constitution a été adoptée une nouvelle fois ce 19 avril au soir à l'Assemblée nationale. Elle ferait passer le pays d'un régime présidentiel à un système parlementaire. Ce nouveau texte devrait, selon ses partisans, permettre une meilleure répartition des pouvoirs. Mais cette Loi fondamentale suscite toujours de fortes critiques, allant jusqu’à dénoncer un “coup d’État constitutionnel.”
Sous les applaudissements, les accolades, entonnant même l’hymne national, les députés togolais ont adopté à 100% des voix la nouvelle Constitution, vendredi 19 avril, aux alentours de 19h30 au Togo.
87 des 91 députés ont participé à ce vote dans une Assemblée dominée par le parti au pouvoir.
Cette Constitution, qui ferait passer le Togo à un régime parlementaire et à une Ve République, avait été adoptée une première fois le 25 mars dernier.
Mais face à la levée de boucliers suscitée par ce premier vote, le président de la République, Faure Gnassingbé, n'a pas promulgué le texte. Il l'a renvoyé devant l’Assemblée pour une “relecture.” C’est après avoir observé le texte en Commission des lois que l’Assemblée s’est réunie en une nouvelle séance plénière pour le vote du 19 avril.
Principal changement par rapport au premier texte : le président de la République ne sera plus élu pour un mandat unique de six ans, mais pour un mandat de quatre ans renouvelable une fois.
Le président du Conseil des ministres reste lui le garant du pouvoir exécutif. Il sera issu de la majorité à l’Assemblée nationale ou d’un parti minoritaire dans une coalition. Il n’aura pas de limitation de mandat mais pourra être démis de ses fonctions par le parlement.
Cette nouvelle Constitution, une fois définitivement promulguée par le président togolais, acterait donc la fin du suffrage universel direct pour élire le chef de l’Etat au Togo. Il serait désormais élu par l'Assemblée nationale.
Pour saluer l’action des députés, Pacôme Yawovi Adjourouvi, ministre des Droits de l'Homme du Togo, a eu ces mots à l'Assemblée nationale le 19 avril : "Les incompréhensions, les invectives, la délation sans preuve, le mensonge, les quolibets fusent et fusent de partout, mais l’avenir vous donnera raison, et la Nation vous en sera reconnaissante.”
Le président du Togo, Faure Gnassingbé Eyadéma, au centre, lors d'un sommet de la Cédéao le 24 février 2024 à Abuja
Pour les défenseurs du régime parlementaire, cette Constitution permet un meilleur équilibre des pouvoirs.
“La désuétude de notre régime semi présidentiel méritait une rupture”, affirme Innocent Kagbara, joint par TV5MONDE, député PDP (opposition centriste). Ce défenseur de la Constitution, qui parle d’un meilleur “équilibre des pouvoirs” avec des “moyens de contraintes réciproques.”
Par exemple, ”le président du Conseil peut mettre à l'épreuve sa confiance en recourant à l'arbitrage du peuple. Disposant également d'une prérogative de dissolution de l'Assemblée nationale, ce dernier peut être révoqué de ses fonctions par une motion de censure.”
“Nous avons la conviction que le nouveau régime politique parlementaire va favoriser une gouvernance et une gestion beaucoup plus concertée, décentralisée et partagée des responsabilités. On a un président de la République qui assume une partie des prérogatives que le président de la République assume actuellement (comme une représentation diplomatique). On a un président du Conseil qui va développer une plus forte proximité avec la population dans le suivi et l’exécution des politiques publiques. Les députés auront un poids beaucoup plus important,” expliquait le Ministre du Travail togolais, Gilbert Bawara, sur le plateau de TV5MONDE à Paris le 17 avril.
Les députés rappellent que cette Constitution est avant tout une proposition de 21 députés de l’Assemblée nationale et non pas du gouvernement.
Du 8 au 10 avril, les députés ont parcouru le Togo pour des “consultations” devant des chefs traditionnels et des “groupes organisés,” à savoir des associations ou des partis invités via les préfectures.
Lors de ces séances de quelques heures, un panel de députés expliquait le projet de la Constitution devant des citoyens.
“Nous croyons que le souhait de la population à l’issue de nos consultations est de voir ce texte aboutir”, confiait Sénou Soklingbe à TV5MONDE vendredi 19 avril.
Ces consultations ont permis la rédaction “d'un rapport” qui “a “permis à l'hémicycle d'adopter une Constitution qui fait l'assentiment de la majorité des Togolais”, affirme le député Innocent Kagbara.
Cette nouvelle lecture de la Constitution “vise à prendre en compte les suggestions et contributions formulées par les différents acteurs et les populations pour défendre les "intérêts du peuple togolais,” déclarait Pacôme Yawovi Adjourouvi lors de son discours à l’Assemblée.
Du côté d’une grande partie de la société civile et des partis d’opposition, le projet de Constitution ne passe pas. Et ces “consultations” étaient un “jeu joué d’avance.”
“Qui ont-ils consulté? Les chefs traditionnels, les gens qu’ils ont coopté eux-mêmes… ça s’arrête là ! Et à quoi cela sert d’avoir des consultations de trois jours pour modifier une Constitution? C’était pour vendre un produit !“ dénonce Eric Dupuy, porte-parole de l’ANC, parti de l’opposition plus radicale.
L’ANC ajoute ne pas avoir été invitée aux consultations, même si TV5MONDE a pu constater que le nom de ce parti figurait sur la liste des invités à la consultation de Lomé. “De toute façon, nous ne serions pas venus,” affirme M. Dupuy.
Nombre de membres de l’opposition et de la société civile parlent donc d’un “coup d’Etat constitutionnel” au Togo. Ces partis d’opposition, vent debout contre la Constitution, ne sont d’ailleurs pas présents à l’Assemblée. Ils avaient boycotté les dernières législatives.
Ils dénoncent une Assemblée “illégitime” car leur mandat se terminait normalement en décembre.
Les députés répondent que l’article 52 de la Constitution dit que : “les membres de l’Assemblée nationale et du Sénat sortants, par fin de mandat ou dissolution, restent en fonction jusqu’à la prise de fonction effective de leurs successeurs.”
Pour les opposants à la Constitution parlementaire, le poste de président du Conseil, chef de l’exécutif, sans mandat limité, est une façon de faire sauter le verrou de la limitation des mandats du régime présidentiel.
L'actuel chef de l'Etat, Faure Gnassingbé, convoiterait donc ce poste, selon eux.
“Nous n’allons pas rentrer dans ce jeu-là. Dans 50 ans, si l’on ne fait pas attention, les Gnassingbé seront encore au pouvoir,” tempête Eric Dupuy.
“Nous avons tous compris que c’est une manœuvre qui a été orchestrée pour permettre la perpétuation d’un système qui régente le Togo depuis 57 ans. Et je rappelle que le Togo est le seul pays membre de la Cedeao qui n’a jamais fait l’expérience de l’alternance démocratique,” explique à TV5MONDE David Dosseh, coordinateur de l’ONG "Tournons la page" au Togo et porte-parole du "Front Citoyen Togo Debout".
“Nous n’avons jamais compris pourquoi on a voulu faire de ce changement de Constitution une priorité, alors que nous avons tellement de problèmes d’ordre social, d’ordre économique, dans notre pays. Si certains ont voulu en faire une priorité, c'est certainement à dessein”, analyse M. Dosseh.
“Il faut être de mauvaise foi pour penser que la nouvelle constitution est taillée sur mesure pour une personne” rétorque le député Innocent Kagbara, ajoutant que désormais “toute formation politique doit rechercher la majorité pour espérer diriger le pays.”
Depuis fin mars, de nombreuses tentatives de l’opposition ou de la société civile pour protester contre la Constitution ont été empêchées par les forces de l’ordre.
Dès le 27 mars, deux conférences de presse ont été perturbées par l’arrivée de la gendarmerie ou de la police.
Début avril, sur un marché local, six opposants de la coalition de partis la DMK voulaient sensibiliser la population contre le changement de régime. Six d'entre eux avaient été brièvement emprisonnés le 5 avril. Ils avaient été relâchés le 9 avril et déclarés non coupables.
Enfin, la grande marche contre la Constitution, prévue les 12 et 13 avril, avait été interdite par les autorités et les forces de l'ordre.
Selon le gouvernement, ce rassemblement ne respectait pas la loi sur les manifestations. Les autres réunions avaient été empêchées pour de potentiels troubles à l’ordre public.
On nous a “imposé une nouvelle Constitution qui n’a jamais été débattue. Il n’y a aucune transparence, car nous n’avons pas eu le texte final”, dénonce David Dosseh.
Les opposants de l’ANC avaient d’ailleurs révélé au grand public le projet de changement de Constitution, lors d’une conférence de presse le 15 mars.
“Nous sommes en colère car le contenu de cette nouvelle Constitution n'a pas été rendu public. Certains députés et ministres affirment ne pas avoir eu accès au texte,” affirmait en conférence de presse, le 20 avril, le front “Touche pas à ma Constitution,” une coalition composée d’opposants politiques et de membres de la société civile.
“Cette nouvelle Constitution a été massivement rejetée par le peuple togolais et suscite toujours la controverse dans l'opinion publique. Malgré cela, les députés ont choisi d'ignorer la volonté du peuple,” ajoutait en conférence de presse “Touche pas à ma Constitution.”
Depuis fin mars, est apparu le slogan “Sans nous consulter” qui a même été repris comme mot-dièse sur X.
La nouvelle Constitution a été adoptée au sein de l’Assemblée et sans référendum. Les députés ont appliqué l’article 144 de la Constitution disant que “le projet ou la proposition de révision est considéré comme adopté, s'il est voté à la majorité des quatre cinquièmes (4/5) des députés composant l'Assemblée nationale. “
Mais les opposants ont crié au scandale mettant en avant l’article 59 de cette même Constitution qui dit que “le Président de la République est élu au suffrage universel, libre, direct, égal et secret pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. Cette disposition ne peut être modifiée que par voie référendaire.”
“Nous demandons à tous les Togolais de poursuivre le combat. Ce sont ces Togolais qui sont souverains (...) Vous avez au contraire, dit haut et fort, que vous ne voulez pas de cette modification,” expliquait, au lendemain du vote à l'Assemblée, Brigitte Adjamagbo-Johnson coordinatrice du parti d’opposition DMP et membre de “Touche pas à ma Constitution.”
“La Cédéao doit prendre ses responsabilités” et “les politiques de la Cédéao” doivent dire aux autorités que “cette Constitution ne passera pas car elle viole les textes de la Cédéao”, ajoute Mme Adjamagbo-Johnson, dénonçant ce qu’elle considère être un “coup d’État constitutionnel”.
La Cédéao a séjourné du 15 au 20 avril au Togo pour une mission préélectorale où elle a rencontré l’opposition, la société civile et le pouvoir.
“La Cédéao est venue, l’ANC l’a rencontrée et nous leur avons dit exactement ce que nous pensons : ce qui se passe au Togo est pire qu’au Niger. On s’interroge sur ce coup d’Etat constitutionnel”, explique Eric Dupuy de l’ANC à TV5MONDE.
Le 17 avril, une dizaine de partis politiques et trois associations de la société civile ont même déposé un recours contentieux devant la Cour de justice de la Cedeao, via cinq avocats en France et au Togo, pour demander le retrait “pur et simple” de la loi portant changement de la Constitution. “L’Etat togolais a reçu notification le 18 avril et a un mois pour répondre à cette demande,” a appris TV5MONDE auprès de Me Raphaël Kpandé-Adzaré, l’un des avocats.
C’est dans ce contexte que le Togo attend pour le 29 avril un double scrutin : des élections régionales et législatives.