Tortures, séquestrations et exactions : révélations sur les prisons de Wagner au Mali

Forbidden Stories, Le monde et des médias partenaires révèlent comment le groupe paramilitaire russe Wagner a séquestré, torturé et tué des centaines de civils maliens pendant trois ans. Six bases militaires auraient été utilisées à cet effet, de manière secrète.

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Trois mercenaires russes, à droite, dans le nord du Mali

Cette photographie non datée distribuée par l'armée française montre trois mercenaires russes, à droite, dans le nord du Mali. Au cours des cinq dernières années, la Russie s'est engagée dans des opérations militaires discrètes dans au moins une demi-douzaine de pays d'Afrique en utilisant une force mercenaire obscure que les analystes considèrent comme loyale au président Vladimir Poutine. Les analystes affirment que le groupe de mercenaires Wagner est également un élément clé des ambitions de Poutine de réimposer l'influence russe à l'échelle mondiale.

Armée française via AP
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Des coups de bâtons et de câbles électriques, des simulations de noyades et des brûlures… au moins plusieurs centaines de citoyens maliens auraient été arrêtés de manière arbitraire avant d’être torturés par la société militaire privée russe, Wagner, au cours des trois dernières années. 

Le réseau de journalistes qui poursuit les enquêtes de reporters réduits au silence, Forbidden Stories, avec Le Monde et un consortium de journalistes révèlent l’utilisation de plusieurs camps militaires maliens comme des centres de détention et de torture par Wagner, dans l’enquête « Tortures et disparitions forcées : plongée dans les prisons secrètes de Wagner au Mali », parue jeudi 12 juin.

L’enquête s’appuie sur des témoignages de plusieurs victimes du groupe paramilitaire qui expliquent avoir été arbitrairement arrêtés puis séquestrés, hors de tout cadre légal et sans que les autorités maliennes puissent intervenir. Certains ont été détenus quelques jours, d’autres quelques semaines, d’autres encore quelques mois. 

« Les hommes de Wagner mènent leurs opérations de manière autonome et arrêtent eux-mêmes les gens sur le terrain. Les FAMa [Forces armées maliennes] n’ont pas leur mot à dire, explique un officier malien aux journalistes, sous couvert d’anonymat. Quand ils en ont fini avec leurs prisonniers, ils les libèrent ou les remettent aux FAMa qui prennent le relais, soit en les gardant et en judiciarisant leur statut, soit en les libérant. »

 À chaque fois, ils mettaient leur musique à fond pour empêcher les cris de résonner.

Wangrin, séquestré par Wagner

Ceux qui ont été libérés relatent des exécutions dont ils ont été témoins, des tortures diverses et variées qu’ils ont subi. « Ils frappaient au ventre, au visage. On aurait dit qu’ils étaient en train de battre des chiens », raconte Wangrin (nom d’emprunt), victime de Wagner, au sein de l’enquête. Il explique que lors des séances de torture, « à chaque fois, ils mettaient leur musique à fond pour empêcher les cris de résonner ».

Certains disent s’estimer chanceux de ne pas avoir subi le même sort que les habitants de Moura, un village du centre du Mali qui avait été le théâtre d’un grand massacre. Pendant cinq jours en 2022, les paramilitaires russes et l’armée exécutent au moins 500 de ses habitants, y compris les femmes et les enfants, selon l’ONU.

Mercenaires russes enterrant des corps près d'une base militaire

Cette image extraite d'une vidéo montre des soldats enterrant des corps près d'une base militaire dans le nord du Mali. L'armée française affirme disposer de vidéos montrant des mercenaires russes enterrant des corps près d'une base militaire dans le nord du Mali. 

Armée française via AP

L’enquête révèle que Wagner maintient ses victimes en captivité dans des bases de l’armée malienne. Forbidden Stories et Le Monde en ont identifié au moins six : Bapho, Kidal, Nampala, Niafounké, Sévaré, et Sofara. 

À Kidal et à Niafunké, les prisonniers sont entassés dans des conteneurs dont on a percé quelques trous dans le toit pour laisser passer un peu d’air et de lumière. Ces caissons métalliques étaient autrefois utilisés par la Minusma, mission onusienne qui a été poussée hors du territoire peu après l’armée française. 

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Le groupe de mercenaires russe débarque au Mali en 2021. Officiellement, le pouvoir militaire malien leur fait appel pour épauler ses forces armées dans la lutte contre le djihadisme et l’insécurité dans le pays. 

Des pillages et rançons en guise de salaire

Mais le régime du général Assimi Goïta peine à rémunérer les mercenaires russes au cours des premiers mois. Ils décident alors de se rémunérer directement sur le terrain en pillant et en organisant ces kidnappings, contre lesquels ils demandent des rançons. D’après des sources concordantes dans le nord du Mali, l’enquête de Forbidden Stories et du Monde rapporte que les paramilitaires de Wagner peuvent demander jusqu’à 5 millions de francs CFA (environ 7 600 euros) en échange d’une personne arrêtée.

Le 6 juin 2025, Wagner annonce son départ du pays. Plusieurs facteurs motivent cette décision. D’abord, le groupe a officiellement été démantelé puis restructuré après la mort de son chef, Evgueni Prigojine, en août 2023. L’ancien proche de Vladimir Poutine disparaissait alors dans un mystérieux accident d’avion, après s’être rebellé contre le pouvoir russe. 

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Les défaites militaires de Wagner ont aussi précipité son retrait du Mali. En juillet 2024, une opération conjointe entre le groupe russe et l’armée malienne, contre les combattants du Cadre stratégique et permanent pour une défense du peuple de l'Azawad, avait fait 84 morts chez Wagner et 47 chez les militaires maliens.

Avec le départ de Wagner, la présence russe ne disparaît pas pour autant du Mali : le groupe est remplacé par Africa Corps, un dispositif affilié au ministère russe de la Défense. Il a été fondé en 2023 « afin d'étendre la présence militaire russe sur le continent africain et au Moyen-Orient », d’après sa chaîne Telegram. Contrairement à Wagner, Africa Corps a pour premier objectif de « garantir les succès diplomatiques » de la politique étrangère russe.

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Sur ses trois ans et demi d’action dans le pays d’Afrique de l’ouest, Wagner aurait commis un grand nombre d’exactions et de tueries sur les civils. Si aucun bilan précis n’a pu être établi, les auteurs de l’enquête assurent qu’au moins plusieurs centaines de Maliens ont été tués, et en particulier des membres des communautés touareg et peule.