
Au nord-ouest du Sénégal, la filiale du groupe minier français Eramet, Grande Côte Opérations (GCO), grande de 445 000 hectares et longue de 100 kilomètres sur le littoral, extrait du zircon et d’autres minerais depuis une décennie. La colère commence pourtant à gronder du côté des maraîchers qui vivent à proximité de la mine mobile. Mais qu’est-ce que le zircon et à quoi sert-il ?
Vue aérienne la drague d'Eramet Grande Côte, filiale du groupe Eramet, pendant la nuit (MAGATTE GAYE / AFPTV / AFP).
Apoli Bertrand Kameni, enseignant à l’université Omar Bongo à Libreville, enseignant-associé à Sciences po Lyon et chercheur au CERDIP (Le Centre d'études et de recherches en droit et en Institutions politiques), spécialiste des minerais stratégiques et auteur de Minerais Stratégiques. Enjeux africains, aux Presses universitaires de France.
Apoli Bertrand Kameni : Le zirconium est principalement extrait à partir du zircon, minerai souvent présent dans les sables littoraux. Il n’existe pas de gisements à forte concentration de zircon, il est le plus souvent disséminé dans les dépôts de sédiments. Pour le prélever, il faut amasser des tas de sable et avoir un système de drague qui aspire, trie et repère ces grains.
À peu près tout ce que nous fabriquons ou consommons est à partir des éléments du tableau de Mendeleïev. Pour rappel, ce tableau périodique classe tous les éléments chimiques selon leur numéro atomique et leurs propriétés chimiques. Il permet d'identifier, d’organiser et de comprendre l’univers chimique. Le zircon fait parti de ce tableau. Etant le dix-huitième élément le plus trouvé sur la croûte terrestre, il n’est pas considéré comme une terre rare. Pourtant, il est stratégique.
Apoli Bertrand Kameni : Tout d’abord, avant son usage industriel et technologique, le zircon est la « roche » de l’âge de la Terre. Il fait en effet partie des matières dont la formation remonte le plus loin dans le temps. Il contribue donc à dater la Terre. L’un des plus vieux fragments de zircon avait été trouvé dans la région de Jack Hills en Australie occidentale en 2014 : elle se serait formée il y a environ 4, 4, milliards d’années.
S’agissant de l’intérêt stratégique associé au zircon, il tient en particulier à ses propriétés physico-chimiques remarquables qui le rendent indispensable dans les domaines de l’énergie nucléaire, de l’industrie chimique, de la médecine et bien d’autres encore. Entre autres, ce qui fait sa spécificité est notamment qu’il est ductile et très résistant à la corrosion, à la chaleur, à la corrosion due aux acides et à l’eau de mer.
Aujourd’hui, environ 90% du zirconium consommé aux Etats-Unis est utilisé dans le domaine du nucléaire. D’après les spécialistes de ce secteur, il sert notamment comme enveloppe protectrice pour les longues tiges cylindriques de combustible insérées dans les réacteurs nucléaires. Plusieurs propriétés en font un matériau idéal pour encapsuler les pastilles d’uranium.
Par ailleurs, il présente une très faible capacité à capter les neutrons générés au cours d’une réaction de fission nucléaire – un processus fondamental qui permet d’enclencher, au cœur du réacteur, la réaction en chaîne indispensable à la production d’énergie.
En dehors du nucléaire, le zirconium est aussi utilisé dans l’industrie chimique, du fait de ses remarquables propriétés anticorrosives. Les composés de zirconium sont utilisés pour la fabrication de céramiques, d’abrasifs, de filaments de lampes, de moteurs à réaction et de pièces pour les navettes spatiales comme certains éléments d’Ariane 5 par exemple. Ariane.
Dans le domaine médical, le dioxyde de zirconium, également appelé « zircone », est un matériau utilisé dans la fabrication d’implants dentaires et chirurgicaux. La zircone est également utilisée en joaillerie comme cristal de synthèse qui peut être un substitut au diamant et à d’autres pierres précieuses.
Les principaux producteurs de zirconium sont l’Afrique du Sud, l’Australie, la Chine, l’Indonésie et l’Ukraine.
TV5MONDE : Quand le zirconium a-t-il été découvert ?
Apoli Bertrand Kameni : Le zirconium a été découvert par le chimiste allemand Martin Klaproth dans un échantillon de zircon provenant du Sri Lanka. Ce n’est qu’en 1925 que le zirconium pur, sous forme métallique non alliée, a été obtenu pour la première fois. Cependant, son utilisation industrielle ne s’est réellement développée qu’à la fin des années 1940, lorsqu’il est devenu un matériau clé dans le domaine de l’énergie nucléaire.
TV5MONDE : Pourquoi est-ce un enjeu pour l’Afrique ?
Apoli Bertrand Kameni : Aujourd’hui, le contexte global est celui du basculement du monopole du pétrole à l’ère de l’électrique : c’est la transition énergétique mais aussi la transition numérique au gré de l’intelligence artificielle. C’est ainsi que, en plus de l’enjeu de la voiture électrique, l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) estime, dans son dernier rapport publié le 10 avril 2025, que la demande d’électricité pour les Data Centers dans le monde devrait plus que doubler d’ici cinq ans pour dépasser la consommation actuelle du Japon.
En raison de ce changement de paradigme, le monde connaît une augmentation du nombre de centrales nucléaires, tout comme on le voit également avec le photovoltaïques et la pile à combustion pour la filière hydrogène. L’utilisation du Lithium, du Cobalt, du Nickel et certaines terres rares va croître de façon exponentielle.
C’est le cas aussi de minerais moins rares, comme le zircon, mais tout aussi stratégiques. La plupart de ces minerais dits stratégiques sont présents en Afrique et, a fortiori, sous-exploités. Or la plupart du temps, les rapports de forces sont tels que le partage de leurs retombées est très souvent inégal et sans transparence, ce qui engendre des conflits.
La question de la gouvernance minière en Afrique, autrement dit la diplomatie des ressources naturelles et des minerais stratégiques en particulier, se pose avec acuité.
Cet enjeu est fondamental avec le zircon au nord du Sénégal, mais aussi au sud, en Casamance, ainsi qu’en Gambie. Ces deux pays, qui partagent le même bassin géologique, sont exploités par les mêmes entreprises, comme en témoigne le projet SeneGambia Mineral Sands project, qui avait été initié par l’entreprise australienne Carnegie Minerals.
La question des minerais est fondamentale parce que contrairement aux matières agricoles, elles ne sont pas renouvelables.