Tunisie : comment expliquer le départ de Najla Bouden ?

La cheffe de gouvernement tunisienne Najla Bouden a été limogée sans explications le 1er août par le président Kaïs Saïed. Quelles en sont les raisons et quels risques pour un pays surendetté, en quête d'aides étrangères ?

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La Première ministre Najla Bouden remerciée par le président Saïed

La Première ministre Najla Bouden remerciée par le président Saïed le 2 août 2023.

© Slim Abid/ Palais présidentiel tunisien via AP
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Le président Kaïs Saïed était mécontent, selon des médias, de sa gestion d'une pénurie de farine, et donc de pain, dans les boulangeries subventionnées.
"L'ensemble de ce gouvernement, ce sont des fusibles, l'important pour le président, c'est que rien ne soit jamais de sa faute", explique à l'AFP l'essayiste Hatem Nafti, dénonçant "un régime qui vit de boucs émissaires : juges, prisonniers d'opinion et dernièrement migrants subsahariens".

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Selon les économistes, la pénurie de baguette subventionnée est due à une insuffisance d'approvisionnements en céréales parce que les fournisseurs ne font plus crédit à la Tunisie, endettée pour 80% de son PIB.

Depuis les années 70, c'est l'État qui centralise l'acquisition de nombreux produits de base (farine, huile, sucre, lait, essence) pour les réinjecter à des prix abordables sur le marché.
Selon Hatem Nafti, la Première ministre Bouden, nommée en octobre 2021, était devenue "très impopulaire dans l'entourage du président" et même dans l'opposition car considérée comme une simple "vitrine rassurante pour les Occidentaux".

Face à la crise du pain, à l'économie qui se détériore, "ce sont curieusement le gouvernement et l'opposition qui font les frais de la colère populaire alors que le régime est hyper-présidentialiste", estime le politologue Youssef Cherif du Columbia Global Centers. Changer de Premier ministre peut servir à "montrer que le président écoute les revendications populaires", selon lui.

Élu démocratiquement en octobre 2019, Kaïs Saïed s'est octroyé tous les pouvoirs le 25 juillet 2021 et gouverne par décrets. Depuis ce coup de force, il a déjà limogé une demi-douzaine de ministres.

Quelles sont les intentions de Kais Saïed ?

Certains experts pronostiquaient la nomination d'un profil politique pour aider le président à préparer la présidentielle de l'automne 2024.
Mais le nouveau chef de gouvernement Ahmed Hachani, un ex-cadre de la Banque centrale retraité "n'est pas du tout un politique. C'est un ancien camarade du président à la Faculté de droit", souligne l'essayiste tunisien Hatem Nafti. Son nom et son parcours n'ont "pas d'importance". Il n'est là que pour appliquer "les désidératas du président".

"Kais Saied ne croit pas à l'indépendance du gouvernement ou des ministres", abonde le politologue Slaheddine Jourchi.

Il est probable, selon Youssef Cherif, que "les ministères régaliens ne seront pas touchés et (que) le changement se limitera aux ministres qui ont eu des problèmes ces derniers mois". Le ministre de l'Économie, Samir Saïed, en première ligne de pourparlers avec le FMI pour un nouveau crédit de 2 milliards de dollars pourrait être sur la sellette.

"Avec Kaïs Saïed, ils sont sur deux lignes irréconciliables, ce serait logique", souligne Hatem Nafti.

Quelles conséquences sur le plan international ?

Difficile d'imaginer une poursuite des discussions avec le FMI que conteste le président tunisien en proposant "un nouveau cadre financier mondial".
Kaïs Saïed martèle son refus des "diktats" du Fonds que sont, à ses yeux, la levée des subventions sur les produits de base et la restructuration de la centaine d'entreprises publiques criblées de dettes, deux mesures proposées par le gouvernement Bouden en échange du prêt.

Kaïs Saied assure chercher des financements ailleurs. "Cela s'inscrit dans son discours tiers-mondiste et populiste et contribue à consolider sa popularité", selon le chercheur Youssef Cherif.

Peut-il y arriver avec l'aide des Européens et de quelques pays arabes, comme l'Arabie saoudite qui a récemment annoncé un prêt et un don pour 500 millions USD ?

L'UE a conclu à la mi-juillet un "partenariat stratégique" avec Tunis qui prévoit le versement de 255 M EUR cette année dont 150 M de contribution directe au budget.

Bruxelles pourrait aussi apporter à l'avenir une "assistance macro-financière" de 900 M EUR, censée être conditionnée à des réformes politiques et au respect des droits humains qui ont régressé dans le pays, selon les ONG.

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"Ce qui compte le plus pour l'Europe, c'est que Kais Saied continue de garder ses frontières et de retenir les migrants subsahariens", explique Hatem Nafti.
Ces aides, ainsi que les recettes touristiques et les envois de la diaspora "vont donner un répit aux finances publiques jusqu'à l'hiver", selon Youssef Cherif mais "il faudra d'autres fonds pour la suite" et le risque de "défaut de paiement continuera d'être une option".