Tunisie : des manifestants protestent contre la dissolution annoncée du Conseil Supérieur de la magistrature
Quelques centaines de magistrats se sont rassemblés jeudi 10 février à Tunis, pour s'opposer à la dissolution annoncée du Conseil Supérieur de la magistrature. Les conditions de cette dissolution par le président sont encore floues. Et l'organisme ne fait pas l'unanimité, y compris en dehors du camp des partisans de Kaïs Saïed.
Le Conseil supérieur de la magistrature en Tunisie a pour mission de garantir l'indépendance des magistrats. Une mission pour laquelle il a échoué, selon le président Kaïs Saïed. AP/Hassene Dridi.
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Des magistrats et des avocats ont manifesté jeudi 10 février sur les marches du Palais de Justice à Tunis, pour protester contre la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) évoquée par le président Kaïs Saïed.
"Une violation des droits et libertés"
Plus de 200 manifestants se sont rassemblés devant le bâtiment en soutien à la grève observée mercredi 9 et jeudi 10 par les magistrats à l'appel de l'Association des magistrats tunisiens (AMT), selon des journalistes de l'AFP.
"Restaurez le CSM", "le peuple veut une justice indépendante", "à bas le coup d'État", ont notamment scandé les protestataires, encadré par un dispositif policier.
Sur les marches du Palais de Justice, des magistrats en robe noire ont brandi des affiches sur lesquelles on pouvait lire: "la destruction du CSM est une violation aux droits et libertés", "pas de liberté et de démocratie sans un pouvoir judiciaire indépendant".
Après avoir suspendu le Parlement élu et limogé le gouvernement en juillet, le président Saïed a annoncé samedi 5 février la dissolution du CSM. Il s'agit d'une instance supposée indépendante créée en 2016 pour nommer les juges, qu'il accuse de "partialité" et d'être sous l'influence du parti islamo-conservateur Ennahdha.
Mais Kaïs Saïed semble avoir partiellement retropédalé depuis, comme le relatent des médias locaux. À l'issue d'une réunion avec le président, la ministre de la Justice Leïla Jaffel a indiqué mercredi 9 qu’un conseil provisoire serait mis en place pour prendre en charge les affaires urgentes, en attendant l’installation d’un nouveau CSM. Selon elle, la loi régissant le conseil sera révisée "afin de préserver les droits des juges". Le président aurait "assuré que le processus serait démocratique et inclusif, permettant de garantir la justice". Les prérogatives et la composition du CSM seraient visées, à travers un "décret provisoire", et non l'organisme en lui même.
Organisme controversé
Le CSM est un organe controversé, y compris en dehors du camps des partisans de Kaïs Saïed. Il est accusé de conflits d'intérêts et de proximité avec le parti islamiste Ennadha. Par ailleurs, des membres du Comité de défense des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi (deux militants de gauche assassinés en 2013) ont accusé le président du CSM d'avoir participé à bloquer les enquêtes sur leur mort. Le Conseil national de l’ordre des avocats a de son côté jugé illégitime la grève des magistrats.
Dans un communiqué publié mercredi 9 février, 45 associations et ONG, dont Avocats Sans Frontières et l'Organisation mondiale contre la Torture (OMCT), ont cependant condamné la dissolution du CSM et rejeté "toute interférence de l'exécutif dans le fonctionnement de la justice". "Malgré des lacunes, le CSM reste la seule structure qui garantisse l'indépendance institutionnelle de la justice en conformité avec la Constitution", avaient-ils souligné.