Des milliers d'opposants ont manifesté samedi à Tunis contre la concentration des pouvoirs aux mains du président Kaïs Saïed une grogne amplifiée par des pénuries et une crise économique, 12 ans exactement après la chute du dictateur Ben Ali.
Le mot d'ordre de la principale manifestation, organisée par le Front de salut national (FSN), était la dénonciation d'une
"dictature" instaurée par Kaïs Saïed après un
"coup d'État" le 25 juillet 2021.
Mais beaucoup de manifestants sur la très centrale avenue Bourguiba -- estimés à plusieurs milliers par des observateurs, à 1.300 par des sources officielles -- entendaient aussi protester contre la dégradation de la situation économique.
"Le coup d'État nous a amené la famine et la pauvreté. Hier, l'épicier m'a donné juste 1 kilo de macaronis et un litre de lait. Comment je peux nourrir ma famille de 13 personnes avec ça", a dénoncé à l'AFP Nouha, 50 ans, femme au foyer, qui manifestait avec le FSN.
Lire : : 2023 sera "compliquée" sans un accord avec le FMI selon le gouverneur de la banque centrale"Le peuple veut ce que tu ne veux pas. À bas Kaïs Saïed. Dégage, dégage", scandaient les militants parmi lesquels beaucoup de sympathisants du parti d'inspiration islamiste Ennahdha, qui dominait le Parlement avant que ne Kaïs Saïed s'empare de tous les pouvoirs à l'été 2021.
"Il nous a trahis"
Jugeant le pays ingouvernable, Kaïs Saïed avait alors limogé son Premier ministre et gelé le Parlement. Depuis, il a nommé un gouvernement mais dirige le pays par décrets.
Il a aussi réformé la Constitution cet été pour renforcer ses pouvoirs au détriment du Parlement. Un scrutin législatif décrié est en cours pour élire une Assemblée qui sera dénuée de vrais pouvoirs.
Malgré des objectifs similaires, les partis d'opposition ne faisaient pas du tout front commun samedi, avec trois rassemblements séparés dans la capitale.
Après avoir forcé des barrières de sécurité et un face à face tendu avec d'imposantes forces policières, les milliers de personnes mobilisées par le FSN se sont dispersées dans le calme en début d'après-midi, selon l'AFP.
Lire : les Tunisiens élisent un Parlement inoffensif dans l'ombre du président Kaïs SaïedDans la manifestation du FSN, Omar, un chômeur de 27 ans s'est présenté comme un électeur déçu du président Saied, un juriste constitutionnaliste novice en politique, élu à près de 73% en 2019.
"Il nous a trahis. Voilà le résultat: une crise économique. Une pénurie insupportable, pas de lait dans notre réfrigérateur", a-t-il dit.
"Ca suffit, on en a marre": Thouraya Chtiba, médecin, demande des comptes à Kais Saied face à la "flambée des prix" et la cherté de la vie: "en un an et demi il a accaparé toutes les instances et institutions et il n'a rien fait".
Les Tunisiens, qui avaient en grande partie soutenu le coup de force de M. Saied, se montrent de plus en plus mécontents de la détérioration de leurs conditions de vie, avec une inflation supérieure à 10%, et la pauvreté qui touche 20% des 12 millions d'habitants.
Comme l'État très endetté a dû mal à financer l'importation de produits de base dont il a le monopole, les pénuries de lait, sucre, café et récemment de pâtes sont chroniques.
"Sauver le pays"
Dans une manifestation de partis de gauche au centre-ville, certains militants brandissaient des baguettes tout en dénonçant une "dérive autoritaire" de M. Saied, tandis que d'autres reprenaient l'un des slogans de la Révolution de 2011, réclamant du "travail" face à un taux de chômage supérieur à 15%.
Un troisième cortège a manifesté dans plusieurs quartiers de Tunis à l'appel d'Abir Moussi, la cheffe du Parti destourien libre, un mouvement anti-islamiste qui se revendique des héritages de Ben Ali et du président Bourguiba, le héros de l'indépendance (1956).
La société civile, jusqu'à récemment plutôt timide, s'est aussi mobilisée devant le siège du syndicat des journalistes SNJT, qui s'inquiète d'une nouvelle loi réprimant les
"fausses nouvelles". Des dizaines de militants d'ONG de défense des droits (humains et économiques) étaient présents.
En marge de ces protestations auxquelles elle ne participait pas, la puissante centrale syndicale UGTT a fait entendre sa voix via son chef Noureddine Taboubi: "l'heure cruciale approche" pour la présentation d'une initiative pour "sauver le pays".