Tunisie : Essebsi, le succès d’un patriarche

Le candidat anti-islamiste Béji Caïd Essebsi devance de dix points son adversaire et sortant Moncef Marzouki. Cet octogénaire à la longue carrière politique est le favori du second tour prévu fin décembre
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Tunisie : Essebsi, le succès d’un patriarche
Béji Caïd Essebsi, bientôt 88 ans, a obtenu 39,46 % des voix lors du premier tour de la Présidentielle devant Marzouki (33,43 %)
(AFP)
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Retour à la stabilité ? Il fêtera samedi ses 88 ans. Malgré son âge avancé, Béji Caïd Essebsi est apparu, aux yeux d’une large part des électeurs, comme le meilleur choix pour l’avenir de la Tunisie. Les résultats officiels du premier tour de l’élection présidentielle de dimanche ne sont pas encore connus, mais les premières estimations laissent penser qu’il devance son adversaire, le sortant Moncef Marzouki. Les deux hommes, opposés à bien des égards, s’affronteront dans un second tour, fin décembre. Dimanche, à la sortie des urnes, les électeurs de «Bajbouj», comme on le surnomme, mettaient souvent en avant son «expérience», pour motiver leur choix. «C’est un homme d’Etat», apprécie Walid, qui a voté à Manar 2, quartier plutôt cossu de la capitale. «Il est rodé, il sait parler et il présente bien», abonde Sonia, femme au foyer, habitante de Bab Souika, cité plutôt populaire. «On n’a plus de temps à perdre. Lui a une équipe compétente, qui connaît le fonctionnement de l’Etat. Il représente la stabilité et la reprise économique», juge Samir, un agent immobilier. «C’est l’homme de la période actuelle, au moins pour mettre le pays sur les rails, lutter contre le terrorisme, relancer l’économie et retrouver notre image auprès des Occidentaux», argumente Lamia, employée de banque. Béji Caïd Essebsi apparaît ainsi comme le garant d’un retour à l’ordre et à la stabilité. Il «connaît son meilleur score chez les 40-60 ans et surtout chez les plus de 60 ans», relève une note de l’institut de sondage Sigma, qui le crédite de dix?points d’avance sur Marzouki, à 42,7% des voix. Le candidat du parti anti-islamiste Nidaa Tounes, observe encore Sigma, «cartonne au Sahel et dans la région du cap Bon», deux régions plutôt développées, parmi les principales pourvoyeuses d’élites depuis l’indépendance. Ses sympathisants apprécient le chemin parcouru au côté de Habib Bourguiba, le père de l’indépendance, une figure qui rassure beaucoup de Tunisiens dans ces temps d’incertitude. Ils apprécient aussi sa verve: bon tribun, «Bajbouj» parsème ses discours de versets du Coran, de proverbes typiquement tunisiens et de blagues railleuses à l’égard de ses adversaires politiques. Ses détracteurs lui reprochent au contraire son implication dans «l’ancien régime». Issu d’une famille de la notabilité tunisoise, cet avocat de formation a fait ses classes politiques avec le combat pour la décolonisation. Après l’indépendance, il est devenu conseiller de Bourguiba, puis intègre le Ministère de l’intérieur, à l’époque du conflit avec son rival Salah Ben Youssef, dont les partisans ont été lourdement réprimés. Il poursuit ensuite l’essentiel de sa carrière ministérielle aux Affaires étrangères. En 1972, il quitte son poste d’ambassadeur en France pour marquer son désaccord avec la ligne du parti unique, plaidant pour une ouverture. «Il a toujours prôné le libéralisme politique, mais à l’intérieur du parti. Pour lui, la démocratisation ne peut venir que de l’intérieur du système», explique le politologue Larbi Chouikha. Au début du règne de Ben Ali, il assure pendant un an la présidence du parlement, avant de prendre ses distances. Béji Caïd Essebsi est rappelé à la rescousse aux lendemains de la révolution, pour prendre le relais du premier ministre Mohamed Ghannouchi, contesté par la rue. Il parvient à calmer la situation et dirige tant bien que mal le pays jusqu’aux élections du 23 octobre 2011. Il jure alors qu’il va prendre sa retraite politique. Mais la lourde défaite du camp moderniste le convainc de reprendre du service. Autour de sa personnalité et du credo de l’anti-islamisme, il parvient à rassembler un large éventail: anciens opposants de gauche, syndicalistes, indépendants, mais aussi beaucoup de militants du parti de Ben Ali. Essebsi affrontera au deuxième tour un candidat qui apparaît comme son antithèse: originaire du sud délaissé, Moncef Marzouki est apprécié pour sa simplicité, sa proximité avec le peuple, lui qui n’a jamais porté de cravate en trois ans au palais de Carthage. Avec son parcours d’opposant au régime, Marzouki se veut, lui, une incarnation de la révolution. Cet article est paru dans le journal Le Temps du 25 novembre

Tunisie : les dates-clés (2010-2014)

--2010--                    - 17 déc: Un jeune vendeur ambulant, Mohamed Bouazizi, excédé par la misère et les brimades policières, s'immole par le feu à Sidi Bouzid (centre-ouest), déclenchant un mouvement contre la pauvreté et le chômage. Les émeutes vont prendre un tour politique et s'étendre à tout le pays. 338 morts (officiel).                                    --2011--                   - 14 jan: Ben Ali part en Arabie saoudite sous la pression populaire. De nombreux membres de sa famille et de celle de sa femme, accusées d'avoir placé le pays sous coupe réglée, fuient aussi.                   - 25 fév: Des manifestations et des heurts avec la police forcent Mohamed Ghannouchi, dernier Premier ministre de Ben Ali, à la démission. Le 27, il est remplacé par Béji Caïd Essebsi, vétéran de la vie politique tunisienne.                   - 1er mars: Légalisation du mouvement islamiste Ennahda.                   - 23 oct: Premières élections libres de l'histoire du pays, Ennahda remporte 89 des 217 sièges de l'Assemblée constituante.                   - 12-14 déc: Moncef Marzouki, militant de gauche et opposant à Ben Ali, est élu chef de l'Etat par la Constituante. Hamadi Jebali, n°2 d'Ennahda, est chargé de former le gouvernement. -2012--                   - 11-12 juin: Vague de violences impliquant des groupes de salafistes et de casseurs.                   - 14 sept: Des centaines de manifestants dénonçant un film islamophobe sur internet, dont de nombreux salafistes jihadistes présumés, attaquent l'ambassade américaine. Quatre morts parmi les assaillants.                   - 27 nov-1er déc: Heurts à Siliana, au sud-ouest de Tunis: 300 blessés. Les mouvements sociaux dégénérant en violences se sont multipliés les mois précédents.                                                      --2013--                   - 6 fév: L'opposant Chokri Belaïd est tué à Tunis. L'assassinat, attribué à la mouvance jihadiste, provoque une crise politique qui conduit à la démission du gouvernement et à un nouveau cabinet dirigé par l'islamiste Ali Larayedh.                   - 25 juil: Mohamed Brahmi, opposant nationaliste de gauche, est assassiné près de Tunis, plongeant le pays dans une nouvelle crise politique.                   - 29 juil: Huit soldats sont tués sur le mont Chaambi, à la frontière algérienne, où les forces tunisiennes traquent depuis décembre 2012 un groupe lié à Al-Qaïda.                                                     --2014--                   - 26 jan: Après des mois de négociations pour sortir de la crise politique et des débats houleux, une Constitution est adoptée, avec plus d'un an de retard.                   - 29 jan: Un gouvernement apolitique dirigé par Mehdi Jomaa prend ses fonctions et les islamistes se retirent du pouvoir en vue d'élections législatives et présidentielle en fin d'année.                   - 16 juil: 15 soldats sont tués dans une attaque attribuée à des jihadistes sur le mont Chaambi, pire assaut du genre de l'histoire de l'armée. Des dizaines de militaires, policiers et gendarmes ont été tués dans des attaques impliquant des groupes armés depuis 2011.                   - 4 oct: La Tunisie entre en campagne pour les législatives du 26 octobre.                
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