Retour à la stabilité ? Il fêtera samedi ses 88 ans. Malgré son âge avancé, Béji Caïd Essebsi est apparu, aux yeux d’une large part des électeurs, comme le meilleur choix pour l’avenir de la Tunisie. Les résultats officiels du premier tour de l’élection présidentielle de dimanche ne sont pas encore connus, mais les premières estimations laissent penser qu’il devance son adversaire, le sortant Moncef Marzouki. Les deux hommes, opposés à bien des égards, s’affronteront dans un second tour, fin décembre. Dimanche, à la sortie des urnes, les électeurs de «Bajbouj», comme on le surnomme, mettaient souvent en avant son «expérience», pour motiver leur choix. «C’est un homme d’Etat», apprécie Walid, qui a voté à Manar 2, quartier plutôt cossu de la capitale. «Il est rodé, il sait parler et il présente bien», abonde Sonia, femme au foyer, habitante de Bab Souika, cité plutôt populaire. «On n’a plus de temps à perdre. Lui a une équipe compétente, qui connaît le fonctionnement de l’Etat. Il représente la stabilité et la reprise économique», juge Samir, un agent immobilier. «C’est l’homme de la période actuelle, au moins pour mettre le pays sur les rails, lutter contre le terrorisme, relancer l’économie et retrouver notre image auprès des Occidentaux», argumente Lamia, employée de banque. Béji Caïd Essebsi apparaît ainsi comme le garant d’un retour à l’ordre et à la stabilité. Il «connaît son meilleur score chez les 40-60 ans et surtout chez les plus de 60 ans», relève une note de l’institut de sondage Sigma, qui le crédite de dix?points d’avance sur Marzouki, à 42,7% des voix. Le candidat du parti anti-islamiste Nidaa Tounes, observe encore Sigma, «cartonne au Sahel et dans la région du cap Bon», deux régions plutôt développées, parmi les principales pourvoyeuses d’élites depuis l’indépendance. Ses sympathisants apprécient le chemin parcouru au côté de Habib Bourguiba, le père de l’indépendance, une figure qui rassure beaucoup de Tunisiens dans ces temps d’incertitude. Ils apprécient aussi sa verve: bon tribun, «Bajbouj» parsème ses discours de versets du Coran, de proverbes typiquement tunisiens et de blagues railleuses à l’égard de ses adversaires politiques. Ses détracteurs lui reprochent au contraire son implication dans «l’ancien régime». Issu d’une famille de la notabilité tunisoise, cet avocat de formation a fait ses classes politiques avec le combat pour la décolonisation. Après l’indépendance, il est devenu conseiller de Bourguiba, puis intègre le Ministère de l’intérieur, à l’époque du conflit avec son rival Salah Ben Youssef, dont les partisans ont été lourdement réprimés. Il poursuit ensuite l’essentiel de sa carrière ministérielle aux Affaires étrangères. En 1972, il quitte son poste d’ambassadeur en France pour marquer son désaccord avec la ligne du parti unique, plaidant pour une ouverture. «Il a toujours prôné le libéralisme politique, mais à l’intérieur du parti. Pour lui, la démocratisation ne peut venir que de l’intérieur du système», explique le politologue Larbi Chouikha. Au début du règne de Ben Ali, il assure pendant un an la présidence du parlement, avant de prendre ses distances. Béji Caïd Essebsi est rappelé à la rescousse aux lendemains de la révolution, pour prendre le relais du premier ministre Mohamed Ghannouchi, contesté par la rue. Il parvient à calmer la situation et dirige tant bien que mal le pays jusqu’aux élections du 23 octobre 2011. Il jure alors qu’il va prendre sa retraite politique. Mais la lourde défaite du camp moderniste le convainc de reprendre du service. Autour de sa personnalité et du credo de l’anti-islamisme, il parvient à rassembler un large éventail: anciens opposants de gauche, syndicalistes, indépendants, mais aussi beaucoup de militants du parti de Ben Ali. Essebsi affrontera au deuxième tour un candidat qui apparaît comme son antithèse: originaire du sud délaissé, Moncef Marzouki est apprécié pour sa simplicité, sa proximité avec le peuple, lui qui n’a jamais porté de cravate en trois ans au palais de Carthage. Avec son parcours d’opposant au régime, Marzouki se veut, lui, une incarnation de la révolution. Cet article est paru dans le journal
Le Temps du 25 novembre