Le traditionnel index couvert d'encre, signe d'une fraiche participation électorale, se montre encore fièrement sur les réseaux sociaux. Mais dans les bureaux de vote, il n'y a pas eu foule. A la mi-journée, le taux de participation était de 36,8% sur le territoire tunisien et 21,8% à l’étranger, selon l'Instance supérieure indépendante pour les élections.
C'était pourtant une journée historique dans ce pays du Maghreb berceau des révolution arabes. Les Tunisiens étaient appelés à élire directement et librement leur chef de l'Etat. Une première depuis l'indépendance en 1956.
Campagne tendue entre les finalistes
Après un premier tour qui s'était tenu le 23 novembre, les électeurs avaient le choix entre le président sortant Moncef Marzouki et Bej Caïd Esebi, ancien homme de Bourguiba et Ben Ali. Entre les deux finalistes, la campagne a été houleuse et le ton agressif.
Donné Favori, Caïd Essebsi, s'est posé en homme providentiel à même de réparer les dégâts causés par Ennahda, au pouvoir de 2012 à début 2014, et leur allié M. Marzouki. Il a qualifié son concurrent "d'extrémiste" et lui a prêté le soutien des jihadistes. De son côté, Moncef Marzouki s'est posé en défenseur de la révolution face au retour des tenants de l'ancien régime en, accusant son adversaire de préparer des fraudes tout en l’égratignant sur son âge (88 ans !). "Le jeu démocratique nécessite que chacun de nous accepte le résultat du vote avec un esprit sportif", a cependant souligné après avoir voté Moncef Marzouki.
Sécurité
Des dizaines de milliers de militaires et policiers ont été déployés pour assurer le bon déroulement du scrutin alors que la Tunisie a été confronté à de multiples attaques, notamment le long de la frontière avec l'Algérie, attribuées à la mouvance jihadiste depuis la révolution de 2011.
Une unité a été attaquée par un "groupe armé" dans la nuit devant une école de la région de Kairouan (160 km au sud de Tunis) où du matériel destiné aux élections était stocké, mais les autorités se sont refusé à évoquer la piste jihadiste. La riposte a "entraîné la mort d'un homme armé d'un fusil de chasse et l'arrestation de trois suspects", selon le ministère de la Défense qui note qu'"en général, les terroristes n'utilisent pas des fusils de chasse".
Envie de démocratie et de stabilité
Il n'empêche, dans les bureaux de vote, l'ambiance était détendue. Les Tunisiens ont surtout exprimé leur impatience de voir s'achever la transition démocratique et de voir naitre une démocratie stable. "C'est un grand jour! Je suis très fier de vivre ces moments dans mon pays et je savoure cette étape historique. J'ai longtemps rêvé d'exercer ce droit et de choisir librement mon président", déclare Béchir Ghiloufi. Ce directeur de banque de 54 ans se félicite que les électeurs "bâtissent les structures d'un État démocratique".
Quel que soit le vainqueur, "l'important est que le pays progresse dans son processus démocratique", juge M. Ghiloufi devant un bureau de vote du centre de Tunis, placé sous surveillance policière et militaire.
Comme lui, de nombreux électeurs disent apprécier le pluralisme inédit de la campagne, bien qu'elle ait été tendue, après des décennies d'un discours politique verrouillé.
"Malgré des lacunes, malgré l'échange d'invectives entre les deux finalistes, le peuple a montré une maturité exemplaire" en n'allant pas vers la violence comme dans d'autres pays du Printemps arabe, se félicite Mohamed Boughanmi, 48 ans, animateur à la radio tunisienne. Pour les Tunisiens, ce scrutin reste la clé pour une sortie par le haut de la transition post-révolutionnaire, à l'inverse de pays comme la Libye, la Syrie ou l'Egypte.
21.12.2014Notre correspondant à Tunis, Thibaut Cavaillès - JT TV5MONDE