De quelle nature est ce conflit ?
C'est un flou au niveau de l'interprétation du règlement intérieur de l'Assemblée, mais il y a aussi certains constituants qui estiment que ce comité mixte ne peut toucher en aucun cas au fond des travaux des commissions constituantes, alors que d'autres constituants pensent que le comité mixte, de par son rôle central, peut toucher au fond. Ces retouches seront un simple toilettage ? Je pense que cela va aller au delà d'un simple toilettage, dans la mesure où il y a eu un dialogue national entre les différents partis politiques. Et la teneur de ces débats et discussions a porté sur les points conflictuels qui subsistent toujours dans le dernier brouillon de la constitution. Mais ce brouillon est-il en accord avec les aspirations de la révolution tunisienne, selon vous ? Non, on ne peut pas l'affirmer. Il y a certains points positifs, comme un certain niveau de décentralisation, et cela faisait partie des réclamations des jeunes, notamment en région et qui ont été en avant pendant la révolte. Mais il y a de nombreux points qu'il va falloir modifier, supprimer, particulièrement tout ce qui a trait à une lecture idéologique de ce projet de constitution. On ne peut pas rédiger une constitution qui est censées rassembler l'ensemble des Tunisiens, dans une phase de transition, après une révolution, en y ajoutant des tampons très idéologiques. Justement, sur l'aspect idéologique, le préambule présente les droits universels de l'homme en les conditionnant à l'islam et la spécificité tunisienne. C'est là que se situe l'idéologie, il semble ? Tout à fait, et c'est ça qui est reproché à certains constituants qui veulent mettre en avant la notion de spécificité culturelle, identitaire, des droits universels. Et cela renvoie à un conflit qui se joue à l'échelle mondiale entre les pays arabes et musulmans d'un côté et les autres pays de l'autre, dans leur interprétation pour les premiers de l'universalité des droits humains. C'est d'ailleurs un débat qui a ponctué les débats de l'Assemblée depuis les débuts de ses travaux. Jusqu'où peut-on aller sur la notion de l'universalité des droits de l'homme ? Il semble que leur [ceux qui défendent des droits universels spécifiques] lecture de cette spécificité culturelle renvoie à l'idée de "nous peuples arabes et musulmans nous aurions une conception, une définition propre à nous-mêmes des droits humains". Un peu comme la Chine ? Exactement. Sur les aspects inquiétants du projet actuel de constitution, il semble que l'article 22 permette la peine de mort ? Oui, c'est un article très contradictoire : il garantit le caractère sacré de la vie mais permet une atteinte à ce caractère par la loi. Il y a aussi la question de l'avortement qui peut être mise en cause : aujourd'hui l'avortement est légiféré et pratiqué exactement comme en France. Avec cet article qui stipule le caractère sacré de la vie, on peut se demander ce que le droit à l'avortement peut devenir… Ces dispositions contradictoires, du caractère légal mettent en cause l'aspect constitutionnel du texte ? Bien entendu et c'est le point qui a été le plus souligné par les experts en droit constitutionnel : ce texte va façonner la vie des Tunisiens pour les 50 ou 100 prochaines années, on ne peut pas conditionner des articles de la loi fondamentale par ses dispositions légales, puisque par nature, le législateur peut faire évoluer en permanence ces dispositions !