Tunisie : le FMI accorde un prêt contesté

Le FMI a accepté de débloquer un plan d’aide de 1,7 milliard de dollars en faveur de la Tunisie. Cette aide s’accompagne de réformes strictes censées stabiliser l’économie en crise d'un pays en proie aussi à une forte instabilité politique et sociale. Engagée dans une transition depuis la chute du président Ben Ali en janvier 2011, la Tunisie pourrait voir la colère du peuple gagner à nouveau la rue.
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Tunisie : le FMI accorde un prêt contesté
Le 14 janvier 2013, les Tunisiens célèbrent les deux ans de leur révolution /Photo AFP - FETHI BELAID
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Une bouée de sauvetage pour éviter la noyade de la Tunisie. C’est ce à quoi ressemble le plan d’aide de 1,7 milliard de dollars (soit 1,3 milliard d’euros) débloqué vendredi 7 juin par le Fonds Monétaire international (FMI) en faveur de la Tunisie. Le pays craint une situation de cessation de paiement. Un premier versement de 150,2 millions de dollars (soit environ 114 millions d’euros) sera effectué rapidement. Ce programme d’assistance financière tiendra sur deux ans et sera remboursable en cinq ans. Un vrai défi pour la Tunisie en pleine crise économique.  Ce prêt du FMI, qui doit servir de réserve d’urgence à l’État tunisien,  est accordé sous certaines conditions : des réformes drastiques. Objectif ? Stabiliser l’économie. « Le FMI, c’est pour moi l’urgence, ce n’est pas un choix optimal », souligne Moez Joudi, universitaire et expert en gouvernance économique et financière. Il préside  l’Association Tunisienne de Gouvernance (ATG). «  Certainement les prêts du FMI sont à des taux tout à fait convenable entre 1 et 1,5% mais ils sont conditionnés avec un certain nombre de directives, de recommandations, de suivi, de réformes imposées et cela, ça peut toucher la souveraineté nationale d’un pays. » Mais le pouvoir politique de transition nie de son côté le caractère obligatoire des réformes liées à ce prêt : «[Ces réformes] ne sont pas imposées par le FMI. L'institution ne fait qu'accompagner les efforts du gouvernement », affirme Ferjani Doghmane, député du parti majoritaire Ennahda et président de la commission des Finances de l'Assemblée nationale constituante.
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Photo AFP
Pain, carburant, électricité C’est la troisième fois que le pays lance un appel à l’aide au FMI. En 1964, l’intervention du fonds international avait conduit à une dévaluation de 20% du dinar, un prêt de 14 millions de dollars et la promesse jamais tenue de supprimer le déficit des finances. Idem en 1986, un Plan d’Ajustement Structurel est mis en place et finalement renforce encore les besoins d’investissements étrangers. « La troisième fois ressemble aux deux premières mais en plus dramatique : la Tunisie révolutionnaire fait face à nouveau à une crise de ses finances extérieures », écrit Jean-Pierre Séréni dans son article du Monde diplomatique du 23 avril 2013. Selon lui, trois groupes vont être touchés par ces réformes demandées par le FMI : les fonctionnaires, les consommateurs et les usagers, enfin les débiteurs de banque. Avec la révolution, le nombre d’emplois de fonctionnaires et leur salaire ont considérablement augmenté (la masse salariale a augmenté de 40% en deux ans). Ils seront les premiers touchés par les réductions du déficit budgétaire à cause des gels des embauches et des coupes budgétaires notamment. Les réformes vont aussi toucher à un point très sensible : la caisse de compensation. Elle sert à maintenir le pouvoir d’achat des Tunisiens les plus démunis grâce à des subventions de l’État sur des produits de consommation de base : pain, pâtes, carburant, électricité, transports, … Aujourd'hui, même les riches bénéficient de ces subventions. A terme, un système d’allocation ciblant les ménages les plus nécessiteux devrait être mis en place. Cette réforme comporte un fort risque politique. En 1984, la hausse du prix du pain avait provoqué des émeutes qui ont failli renverser le président Habib Bourguiba. La Tunisie doit aussi revoir son code d’investissement pour attirer de nouveaux investisseurs, en baissant notamment les impôts sur les sociétés. Enfin, le secteur des banques va lui aussi subir une restructuration. Les établissement bancaires ont trop prêté sans faire suffisamment attention aux conditions de remboursements. A terme, trois banques publiques pourraient être privatisées.
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Manifestation à Tunis le 9 avril 2012 en hommage aux martyrs / Photo AFP FETHI BELAID
2013 s’annonce pire Avec une situation économique difficile, des réformes strictes à venir, la situation devient pesante pour les Tunisiens qui souffrent. Une vague de désaccord s’est levée au sein de la population. Dans une récente enquête réalisée du 28 mai au 2 juin 2013 par l’institut Tunisie Sondage , il apparaît que 66% des Tunisiens ne sont pas favorables à la demande de prêt faite par le gouvernement tunisien au FMI. Un tiers de la population considère la situation économique « grave », selon le sondage :« 85% sont conscients de l’ampleur croissante du taux d’endettement et du déficit budgétaire de la Tunisie et 88% d’entre eux éprouvent de l’inquiétude à ce sujet. » Et pour cause, la Tunisie se porte mal. Si 2012 était très difficile pour le pays, 2013 s’annonce pire. Aujourd’hui, le chômage atteint près de 17% et touche surtout les jeunes, la dette dépasse les 45% du PIB et l’inflation officielle s’élève à 6,5%. « Nous avons un recul assez net dans les réserves de devises, une activité économique globale tout à fait morose en ce qui concerne les investissements étrangers, l’industrie, le tourisme, le commerce en général », explique l’expert Moez Joudi. 80% des échanges commerciaux de la Tunisie se font avec l’Europe, elle-même victime de la crise.
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Capture d'image du clip du site Nawaat
Économie à l’arrêt Au niveau international, la Tunisie est perçue comme un pays à risque. « La Tunisie a vu ses notations souveraines baissées de façon tout à fait alarmante par les trois agences de notation », analyse l’expert Moez Joudi. « La Tunisie n’a plus cette capacité de sortir sur les marchés financiers internationaux pour emprunter. On a une croissance négative, il n’y a plus de ressource. La Tunisie n’a pas de richesses naturelles. Ce n’est pas  un pays pétrolier, on n’a pas de gaz. Nous avons de la productivité, notre modèle économique est basé sur les investissements directs étrangers ou les investissements locaux, sur le service. Si ces secteurs sont à l'arrêt, c’est toute l’économie qui est à l'arrêt. » Depuis la révolution de 2011, les partis ont voulu faire table rase du passé, s’imposer au détriment de l’économie qui s’est enfoncée. « Avant la révolution, la situation n’était pas aussi dramatique », explique Moez Joudi. « Ce n’est pas grâce à Ben Ali, au contraire il a retardé la relance et le développement économique du pays par sa mauvaise gouvernance. Mais il y avait quelques équilibres qui étaient gardés, une croissance entre  5 et 6 % enregistrée chaque année. » Les universitaires et experts ont eu beau mettre en garde le pouvoir de transition, rien n’a changé. Le pays a attendu que la situation s’envenime et que le FMI lui demande de mener des réformes structurelles de fond. En réponse à cette situation et au recours d’urgence au FMI, des collectifs se créent et le site internet Nawaat a même diffusé un clip en ligne (voir encadré) dans lequel le site écrit "nous mettrons 40 ans à rembourser ce prêt. Ne mettons pas deux générations en hypothèque".
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Le parlement tunisien censé représenté la voix du peuple /photo AFP
Gouvernement sur la sellette Si elle doit être salvatrice, cette aide met à nouveau le gouvernement provisoire sur la sellette. Son objectif devrait être de favoriser l’élaboration d’une constitution par l’Assemblée nationale constituante et organiser des élections.  Le gouvernement provisoire ne peut pas prendre des mesures qui engagent le pays sur trois à cinq ans. Moez Joudi est très pessimiste quand à son rôle dans le redressement de l’économie : « L’objectif  de ce gouvernement n’est pas de mener des réformes. Il n’a ni les aptitudes, ni le consensus  politique, ni la légitimité, ni le temps imparti pour conduire des réformes en profondeur. Donc on se demande à quoi elles vont servir, comment on va les entreprendre, par quels moyens, par quel climat politique et social, dans quelle échéance ? » Dans ce climat politique, économique et social fragile, la colère du peuple peut à nouveau gronder. « Si on continue ainsi, avec la question sécuritaire et terroriste, on est dans une situation qui risque en effet d’exploser à tout moment », souligne Alaa Talbi, membre du Forum Tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES). « Pour le gouvernement, c’est suite à la lutte sociale que le pays est obligé d'emprunter au FMI (voir le cas des mines de phosphates en encadré). Je ne parle pas de chantage mais le gouvernement sous entend que "si tu ne veux pas du FMI, il faut arrêter la lutte sociale, les grèves," mais il ne cherche pas de solutions concrètes. » Ce prêt du FMI révèle une nouvelle fois les failles d’un pays encore très fragile économiquement, socialement et très divisé politiquement. Le peuple tunisien est prêt à voir son pays se relever mais pas sans avoir son mot à dire.

Un exemple de mauvaise gestion de l'Etat : les mines de phosphate

TV5Monde : Dans le cas des extractions de phosphate, les mouvements sociaux ont-ils réellement freiné ce marché ? Alaa Talbi, membre du Forum Tunisien pour les droit économiques et sociaux (FTDES) : Oui, il y a eu une baisse. Mais le problème ce n’est pas l’action de la grève seulement. Sur les quatre villes qui produisent du phosphate, le transport est assurée par la société tunisienne des chemins de fer, grande compagnie étatique. Il y a eu des blocage des chemins de fer aussi. L’Etat au lieu de chercher les solutions et le dialogue, ils ont cherché ailleurs. Et cela reflète la corruption d’Etat qui existe de puis Ben Ali. Ils ont cherché un marché privé de transport. Le coût des transports d’une tonne de phosphate est passé de 3 euros à 13 euros. La société tunisienne des chemins de fer a enregistré une baisse des revenus en 2012 de 30% à cause du transport. Le blocage était plutôt politique que social. Il n’y a pas de volonté politique de résoudre les problèmes dans le bassin minier.