Fil d'Ariane
Le président tunisien Kaïs Saïed a remplacé dimanche le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qu'il a dissout il y a une semaine, par un autre organe "temporaire" et s'est donné le pouvoir de limoger des juges et de leur interdire de faire la grève.
Quelques heures après la publication de cette décision, plus de 2.000 manifestants se sont rassemblés dans le centre de Tunis pour protester contre les nouvelles mesures du président tunisien et exprimer leurs craintes quant à l'indépendance du système judiciaire."Libertés, libertés, l'état policier est fini", ont scandé certains protestataires.
Le décret, instituant un nouveau "Conseil supérieur temporaire de la magistrature" en partie nommé par le président, lui donne également le pouvoir de révoquer "tout juge qui manque à ses devoirs professionnels".
En outre, "il est interdit aux magistrats de tous grades de faire grève ou de tenir toute action collective organisée qui pourrait perturber ou retarder le fonctionnement normal des tribunaux", selon le texte.
Ce dimanche, de nombreux magistrats ont manifesté dans les rues du pays pour protester contre ce qu'ils considèrent comme une atteinte à l'indépendance de la justice.
Après avoir suspendu le Parlement élu et limogé le gouvernement en juillet, le président Saïed a dissous le 5 février le CSM, une instance indépendante créée en 2016 pour nommer les juges, qu'il accuse de "partialité" et d'être sous l'influence du parti islamo-conservateur Ennahdha, sa bête noire.
D'ailleurs, plusieurs anciens cadres d'Ennahdha comme Nouredinne Bhiri, ex-ministre de la Justice, sont toujours en prison. Le 9 février, l'ONG Human Right Watch a publié un communiqué dans lequel elle a dénoncé des "détentions secrètes".
Le président Saied a essuyé un flot de critiques dans son pays mais aussi des Occidentaux après sa décision controversée de dissoudre le CSM, vue comme un revers démocratique dans le berceau du Printemps arabe.
Mais il avait assuré "travailler sur un décret provisoire" pour réorganiser le CSM, estimant que "la magistrature est une fonction et non pas un pouvoir et que tous les juges sont soumis à la loi".
Ce nouveau décret "consolide les pouvoirs entre les mains du président et met fin à un semblant d'indépendance judiciaire", a indiqué dimanche la Commission internationale de juristes (CIJ) dans un communiqué. "Cela rappelle les jours noirs de la Tunisie, quand les juges étaient démis de leurs fonctions selon les caprices de l'exécutif", a ajouté l'ONG basée à Genève.