Vous participez aux manifestations actuelles avec d'autres artistes tunisiens... Mardi 11 janvier nous avons voulu faire
un sit-in silencieux devant le théâtre à Tunis, pour montrer notre solidarité avec nos frères et soeurs qui meurent. Il y avait des artistes célèbres comme Fadhel Jaibi, Sana Daoud ou Raja Amari. On n'avait ni slogan ni banderoles. Pourtant la manifestation a été réprimée. Des centaines de policiers sont arrivés et nous ont frappé. Sept ou huit policiers m'ont frappé à coups de pied et de matraques. Un cinéaste a le bras et la jambe cassés, une dramaturge est grièvement blessée... Mais la mobilisation continue. Nous avons lancé une pétition et préparons d'autres actions.
Quelles sont selon vous les raisons de cette vague de révolte ? C'est avant tout un mouvement social, qui a démarré en réaction après le suicide d'un jeune totalement désespéré. La première raison de ce mouvement pour moi c'est le chômage, les milliers de chômeurs diplômés qui ne trouvent pas de boulot. Ensuite, en plus du droit au travail, les manifestants demandent la fin de la corruption et plus de liberté d'expression... Le problème c'est que ce mouvement reste uniquement contestataire, sans proposer d'alternative au pouvoir actuel.
Que réclament les artistes tunisiens ? La chute de Ben Ali est le dernier de nos soucis. On n'est pas des politiciens mais des citoyens et des artistes. On veut un pays libre, une expression et des médias libres. On refuse cette violence et on veut que ça change. On demande une enquête sur les événements, l'ouverture d'un dialogue national, pour que ce qui s'est passé ces dernières semaines soit un tournant dans l'histoire de la Tunisie. Si rien ne change après ce qui s'est passé, c'est catastrophique ! J'ai vu des gens qui n'ont jamais manifesté descendre dans la rue, j'ai vu des artistes pro-gouvernement dénoncer le gouvernement, j'ai vu les gens oublier leur peur et arrêter de s'autocensurer, j'ai vu des choses que je n'avais jamais vues en 23 ans de régime Ben Ali. C'est une vraie prise de conscience politique et sociale.
Comment voyez-vous la suite des événements ? Franchement, personne ne peut imaginer ce qui va suivre. Il y a quinze jours on pensait que ça allait se calmer ! Finalement, on est passé en trois semaines de 1 à 30 morts [21 morts de source officielle, plus de 50 morts de source syndicale, bilan au 12 janvier, NDLR], on ne comprend plus rien à ce que fait le gouvernement, qui vient seulement de limoger le ministre de l'Intérieur pour le remplacer par un homme politique plus modéré [ le 12 janvier, NDLR ].