Tunisie : l'espoir d'un prêt du FMI de plus en plus improbable

La dernière fois qu'il a évoqué le FMI, le président tunisien, Kaïs Saïed, a eu des mots cinglants. Selon des économistes et des sources proches du dossier, l'octroi par cette institution d'un crédit crucial pour la Tunisie, étranglée financièrement, paraît de plus en plus compromis. 

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Le président tunisien Kais Saied s'exprime lors d'une conférence de presse au sommet de l'UE sur l'Afrique à Bruxelles, vendredi 18 février 2022.

Le président tunisien, Kaïs Saïed, s'exprime lors d'une conférence de presse au sommet de l'Union européenne sur l'Afrique à Bruxelles, le 18 février 2022.

Johanna Geron (AP)
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Le 16 juillet, il a d’abord évoqué une "malédiction antique" pesant sur le Fonds monétaire international (FMI). Dimanche 23 juillet, dans un discours lors du sommet international sur les migrations, à Rome, il a appelé à "créer une nouvelle institution financière mondiale" pour "établir un nouvel ordre humain où l'espoir remplace le désespoir."

Malgré un premier feu vert de Washington en octobre 2022, les négociations avec Tunis pour un nouveau crédit de 1,9 milliards de dollars de la part du FMI piétinent depuis la fin de l’année dernière. Un accord apporterait une bouffée d'oxygène au pays. Il déclencherait également d'autres financements étrangers. 

Les difficultés croissantes auxquelles il fait face inquiètent l’Europe et les États-Unis. Endettée à hauteur de 80 % du PIB, la Tunisie a un besoin criant d'argent pour régler les salaires des fonctionnaires (680.000 dans l'administration centrale) et ses dépenses courantes.

Mais Kaïs Saïed s'oppose aux "diktats" du FMI que sont, à ses yeux, deux mesures prévues pour obtenir le crédit : une levée graduelle des subventions étatiques aux produits de base, surtout sur les carburants, et la restructuration d'une centaine d'entreprises publiques criblées de dettes.

"L'accord est bloqué à cause de Kais Saied qui rejette des réformes proposées par son gouvernement (au FMI), en particulier pour les subventions, explique Aram Belhadj, enseignant-chercheur à l'Université de Carthage. Si d'ici fin août, il n'y a pas de clarification de la position de la Tunisie, l'accord FMI sera enterré une fois pour toute."

"Les négociations sont complètement à l'arrêt, c'est Tunis qui bloque", confirme l'économiste, Ezzedine Saidane. Il souligne Kaïs Saïed "a vu dans ces réformes des choses qui le pénaliseraient politiquement."

"Il ne se passe plus rien"

L’économie tunisienne est marquée par de faibles salaires. Dans les années 70, le pays a instauré une "Caisse de compensation" à travers laquelle l'Etat achète des produits de première nécessité pour les réinjecter à bas prix sur le marché.

Le directeur du département régional du FMI, Jihad Azour, a indiqué, à la mi-avril, n'avoir reçu "aucune demande de Tunis pour la révision de son programme." "Depuis, il ne se passe plus rien", confie une source proche du dossier.

Début juin, l’occupant du palais de Carthage a de nouveau exclu de toucher aux subventions. Il a annoncé à la place des taxes "pour prendre l'excédent d'argent aux riches et le donner aux pauvres." Plus simple à dire qu'à réaliser. En 2022, le déficit public (8% du PIB) provenait en totalité des "compensations" étatiques, et aux deux tiers des subventions énergétiques après l'invasion russe de l'Ukraine qui a fait flamber les cours du pétrole. "Il n'y a pas grand chose qui puisse remplacer le relèvement progressif des prix à la pompe prévu par le programme du FMI", estime la source informée.

« Pression fiscale la plus élevée d’Afrique »

Ezzedine Saidane déconseille une hausse des taxes alors que le pays, "avec la pression fiscale la plus élevée d'Afrique", est déjà "à la limite." Si la Tunisie décide de se passer du FMI, peut-elle tenir ou fera-t-elle défaut en cessant de rembourser ses dettes ?

Sur cette photo fournie par la présidence tunisienne, le président tunisien Kais Saied, au centre, à droite, serre la main du Premier ministre néerlandais Mark Rutte, à gauche, de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et du Premier ministre italien Giorgia Meloni, à droite, au palais présidentiel de Carthage, en Tunisie, le dimanche 16 juillet 2023.

Sur cette photo fournie par la présidence tunisienne, le président tunisien, Kaïs Saïed (au centre à droite), serre la main du Premier ministre néerlandais, Mark Rutte (à gauche), en compagnie de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, (au centre à gauche) et de la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, au palais présidentiel de Carthage, en Tunisie, le 16 juillet 2023.

AP

Pour 2023, le pays peut faire face à des échéances estimées à 21 milliards de dinars dont douze en devises (environ 4 milliards d'euros). Il peut pour cela compter sur le tourisme, les envois de la diaspora, les exportations de phosphates et la baisse du coût de l'énergie, selon les économistes. "Mais en l'absence d'accord, la situation va devenir de plus en plus difficile. Le risque de défaut sera très grand en 2024 et 2025", juge Aram Belhadj. Pour Ezzedine Saidane, l’État tunisien "semble avoir fait le choix de privilégier le remboursement de sa dette. Mais aux dépens de l'approvisionnement en produits de base."

Ces derniers mois ont déjà été marqués par des pénuries sporadiques de farine, de riz, de sucre ou d'essence. Par conséquent, les Tunisiens ont constaté des rayons vides ou de longues queues devant certains magasins.

Cette crise financière a d'autres conséquences néfastes. L’État ne peut pratiquement financer aucun nouvel investissement, ce qui condamne la Tunisie à stagner, avec une croissance faible (environ 2%) et un chômage supérieur à 15%.

Pour financer ses dépenses, il sollicite aussi de plus en plus les banques locales et mine leur réputation à l'international. Quatre d'entre elles ont vu leur note dégradée en début d'année par l'agence Moody's.