Critique virulent du président Kaïs Saïed, le juriste Jawhar Ben Mbarek, a été arrêté dans le cadre d'un coup de filet contre l'opposition. C'est l'opposant le plus en vue à être interpellé dans le cadre d'une campagne d'arrestations sans précédent depuis que le président Saied a accaparé les pouvoirs en juillet 2021.
"Il a été arrêté tard dans la nuit et nous n'avons pas encore eu accès au dossier d'arrestation," indique à l'AFP ce 24 février sa œur, l'avocate Dalila Msaddek.
Leader du mouvement
"Citoyens contre le coup d'État", Jawhar Ben Mbarek, est également l'un des principaux dirigeants du Front de salut national (FSN), la principale coalition de l'opposition qui a vu le jour après que le président Saïed s'est arrogé les pleins pouvoirs en Tunisie, faisant vaciller la jeune démocratie issue de la première révolte du Printemps arabe en 2011.
Voir : Tunisie : Jawhar Ben Mbarek, un opposant de la première heure
Figure de la gauche tunisienne, Jawhar Ben Mbarek est un spécialiste en droit constitutionnel et ancien conseiller à la présidence du gouvernement.
"Une chasse aux sorcières"
Une vingtaine de personnalités ont été arrêtées en Tunisie depuis début février, une campagne décrite par Amnesty International comme une
"chasse aux sorcières motivée par des considérations politiques".
L'activiste politique Khayam Turki, l'homme d'affaires Kamel Eltaïef, très introduit dans les milieux politiques, l'ex-ministre Lazhar Akremi, l'ex-responsable au mouvement Ennahdha Abdelhamid Jelassi et le directeur de la radio privée Mosaïque FM Noureddine Boutar ont également été arrêtés.
(RE)lire : Tunisie : arrestation d'un chef du parti Ennahdha et du directeur de Mosaïque FMKaïs Saied a qualifié les personnes arrêtées de
"terroristes" et affirmé qu'elles étaient impliquées dans un
"complot contre la sûreté de l'État".Avant Jawhar Ben Mbarek, deux autres opposants, Issam Chebbi et Chayma Issa avaient été interpellés le 22 février.
"Ce traitement infligé à des figures politiques de premier plan n'entamera pas notre détermination", a réagi auprès de l'AFP ce 24 février le chef du FSN, Ahmed Néjib Chebbi.
"Les agissements du pouvoir prouvent qu'il patauge et traduisent son échec à gérer le pays sur tous les niveaux: politique, économique, social et diplomatique", a-t-il ajouté.
Solidarité d'Ennahdha
Une autre composante du FSN, le parti islamo-conservateur Ennahdha, a fait part dans un communiqué de
"sa solidarité avec Jawhar Ben Mbarek et sa famille" et condamné
"les arrestations arbitraires qui ont ciblé les militants politiques de l'opposition, les syndicalistes, les journalistes et les hommes d'affaires".
(RE)voir : Tunisie : le chef d'Ennahdha convoqué au pôle anti-terrorisme
Ennahdha, qui était la principale force politique dans le Parlement dissous par Kaïs Saïed lors de son coup de force, l'a accusé de
"chercher à pourrir la situation pour cacher son échec et sa responsabilité dans la dégradation de la situation dans le pays sur tous les plan et l'imputer à l'opposition".
"Le message de ces arrestations est que si vous osez vous exprimer, le président peut vous faire arrêter et vous dénoncer publiquement pendant que ses affidés tentent de constituer un dossier contre vous sur la base des remarques que vous avez faites ou des personnes que vous avez rencontrées", estime dans un communiqué la directrice du bureau de Tunis de l'ONG Human Rights Watch (HRW), Salsabil Chellali.
Voir : Tunisie : décret- 54, véritable mise en danger de la liberté d'expression
Les arrestations surviennent alors que le pays traverse une grave crise économique marquée par des pénuries récurrentes de produits de base, que Kaïs Saïed ne cesse d'imputer à des hommes d'affaires cupides au service de politiciens cherchant à provoquer des troubles sociaux pour l'affaiblir.
La "préoccupation" de la France
La France, par le biais du porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a exprimé
"sa préoccupation face aux récentes vagues d'arrestations en Tunisie" et appelé les autorités à
"veiller au respect des libertés individuelles et des libertés publiques, notamment la liberté d'expression".
"La Tunisie a fait des progrès considérables en matière d'État de droit et de libertés publiques depuis 2011. Ces acquis démocratiques doivent être préservés", a ajouté le porte-parole.
Outre ses opposants, Kaïs Saied s'en est pris cette semaine aux migrants en situation irrégulière originaires d'Afrique subsaharienne, qu'il a présentés comme une source de criminalité et une menace démographique pour la Tunisie, s'attirant un flot de critiques d'ONG qui ont dénoncé un discours
"raciste et haineux".