Lundi 13 décembre au soir, Kaïs Saïed, le président de la République tunisienne, a prolongé d'un an la suspension du Parlement. Les opposants de celui qui s'est arrogé les pleins pouvoirs en juillet dénoncent un coup de force anti-démocratique.
Les opposants du président tunisien Kaïs Saïed sont vent débout ce mardi après sa décision de prolonger d'un an le gel du Parlement, y voyant une nouvelle dérive autoritaire, à trois jours du 11ème anniversaire de la révolte ayant renversé la dictature.
Excluant tout "retour en arrière" quatre mois et demi après avoir suspendu le 25 juillet le Parlement dominé par le parti d'inspiration islamiste Ennahdha, sa bête noire, Kaïs Saïed a procédé à une dissolution qui ne dit pas son nom de l'assemblée en prolongeant son gel jusqu'au nouveau scrutin législatif dont il a fixé la date au 17 décembre 2022.
Le chef de l'Etat a aussi annoncé, dans un discours lundi soir, un référendum pour le 25 juillet sur des amendements de la Constitution, qu'il veut plus présidentielle, et de la loi électorale qui régira les législatives.
En pleine crise socio-économique et sanitaire et après des mois de blocage politique, M. Saïed, élu au suffrage universel fin 2019, a invoqué en juillet dernier un "péril imminent" pour limoger le Premier ministre soutenu par Ennahdha, suspendre les activités du Parlement et reprendre en main le pouvoir judiciaire.
L'opposition dénonce un monopole du pouvoir
Les ambassadeurs des pays membres du G7 et de l'Union européenne (UE) en Tunisie ont appelé vendredi à un retour "rapide" aux institutions démocratiques.
Si M. Saïed, qui se targue d'un important soutien au sein d'une opinion publique exaspérée par les blocages et la corruption, conçoit le calendrier dévoilé lundi comme une feuille de route pour tourner la page de cette crise, ses opposants l'accusent de chercher à prolonger son monopole du pouvoir.
"Son discours peut se résumer ainsi : je suis l'Etat, je suis le président, je suis le gouvernement, je suis la justice, je suis la commission électorale, je suis le peuple, je suis le prophète infaillible", a réagi sur sa page Facebook le député d'opposition Hichem Ajbouni.
"Ceux qui (...) ont eu l'honneur de se battre pour faire échec au coup d'Etat continueront sur cette voie", a pour sa part affirmé sur le même réseau
social, Jaouhar ben Mbarek, l'un des opposants le plus en vue au président Saied.
Un "refus d'écouter qui que ce soit"
Kaïs Saïed a fait savoir que les amendements qu'il entend soumettre à référendum seraient la synthèse de propositions élaborées à la faveur de "consultations populaires" à mener à partir du 1er janvier sur des plateformes électroniques dédiées.
Pour le député Samir Dilou, ex membre d'Ennahdha, "Saied va lancer un référendum électronique susceptible de faire de la Tunisie un objet de risée". "L'allocution de Saied traduit l'état de déni dans lequel il vit et son refus d'écouter qui que ce soit", a-t-il ajouté dans une interview au quotidien Assabah.
Le gros problème réside dans le fait qu'il va continuer à gouverner par décrets. Slaheddine Jourchi, analyste politique.
Pour l'analyste politique Slaheddine Jourchi, le président Saïed "semble déterminé à mener à bien son projet politique, faisant fi des pressions à la maison et de l'étranger". "Il essaye de couper l'herbe sous les pieds de ses opposants en annonçant un calendrier avec des dates précises", a déclaré M. Jourchi à l'AFP.
"La tension va perdurer"
Son discours est intervenu en effet quelques jours avant des manifestations prévues par ses opposants, mais aussi ses partisans, le 17 décembre, jour de célébration du 11ème anniversaire de la révolte contre le régime de Zine el Abidine Ben Ali, qui a donné le coup d'envoi au Printemps arabe.
"Le gros problème réside dans le fait qu'il va continuer à gouverner par décrets. Son conflit politique avec ses opposants va s'aggraver et la tension va perdurer", ajoute M. Jourchi
Le discours présidentiel a suscité des réactions mitigées dans la rue. "C'est important de mettre les choses sur la voie constitutionnelle et juridique et de les lier à un calendrier. Mais en ce qui concerne les sujets actuels tel que l'emploi, la pauvreté, la marginalisation et la poursuite en justice de ceux qui ont commis des crimes contre le pays, son discours en est encore loin", confie à l'AFP Nizar ben Ahmida, un professeur de 37 ans.
"J'ai retenu le fait qu'il y aura des élections le 17 décembre 2022. Je pense que c'est trop loin. Il est en train de gagner du temps", estime un autre Tunisois, Nidhal, 35 ans.