Fil d'Ariane
Un groupe d'avocats et de militants des droits humains ont déposé un pourvoi en cassation pour faire annuler deux condamnations pour "homosexualité". En Tunisie, être homosexuel est encore puni de peines de prison.
Le militant tunisien LGBT, Badr Baabou, tient une photo de lui-même après avoir été victime de violences, le 27 octobre 2021.
"Un moment historique pour la Tunisie". Il s'agit du tout premier pourvoi en cassation contre la loi sur l'homosexualité (punissable jusqu'à 3 ans de prison). Ses promoteurs -un groupe d'avocats, de militants des droits humains et de membres de la communauté LGBT- espèrent qu'il sera suivi d'autres recours qui feront jurisprudence.
Jeudi 16 décembre, ils ont déposé un pourvoi en cassation pour faire annuler deux condamnations pour homosexualité, dans un pays où elle est encore punie de peines de prison.
Après leur condamnation en juillet 2020, deux hommes ont purgé un an de prison ferme. Leur avocate, Hassina Darraji, a annoncé qu'ils iront en cassation pour s'opposer à "une sentence cruelle et qui va à l'encontre des standards internationaux."
"Notre but c'est faire tomber l'article 230 (du code pénal datant de l'époque coloniale qui criminalise l'homosexualité, NDLR). Il s'agit d'une bataille judiciaire et humaine", a-t-elle renchérit. Même si cela pourrait prendre "plusieurs mois", ses clients veulent "créer un précédent en faisant annuler leur condamnation".
À propos de cette affaire appelée "l'affaire du Kef", région du nord-ouest où se sont produits les faits, Mme Darraji a fustigé un "dossier complètement vide" et a dénoncé une condamnation prononcée à cause de leur refus de se voir pratiquer un test anal. Le refus a été considéré comme une preuve de leur culpabilité.
Notre position claire et ferme est le refus du test anal et sa condamnation comme une forme de torture.
Lotfi Ezzedine, responsable de l'Instance nationale pour la prévention de la torture
L'avocat Lotfi Ezzedine, un responsable de l'Instance nationale pour la prévention de la torture (INPT), a apporté le soutien de cet organisme indépendant, au recours en Cassation qu'il a qualifié d'"affaire emblématique et stratégique pour la Tunisie".
"Notre position claire et ferme est le refus du test anal et sa condamnation comme une forme de torture", a-t-il déclaré, rappelant que la Tunisie s'est engagée en 2017 à l'abolir devant le Conseil des droits de l'homme de l'ONU.
En soutenant le pourvoi en cassation, l'INPT souhaite "l'ouverture d'un débat", et à terme, l'abolition de l'article 230 qui criminalise "un choix sexuel entre adultes". "Le jour où nous aurons un Parlement, ce sera un des premiers points à réviser", a-t-il dit, notant qu'un projet de réforme du code pénal existe "depuis cinq ans".
Selon Lotfi Ezzedine, une décision favorable de la Cassation permettrait de "réhabiliter les deux personnes" et contribuerait "aux efforts menés pour abolir l'article 230"sachant que selon lui,"un arrêt de la Cassation aiderait énormément à l'ouverture d'un dialogue".
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Badr Baabou, président de Damj, une association qui défend la communauté LGBT depuis 20 ans, s'est dit "très ému de ce moment historique" et a salué "le courage des deux hommes" qui, à cause du procès, "ont perdu leur vie, n'ont plus ni travail ni logement".
À propos du test anal, il a estimé que "la Tunisie fait partie des sept derniers pays au monde à suivre cette pratique moyenâgeuse et rétrograde qui ne respecte pas la dignité humaine". Selon M. Baabou citant des statistiques officielles, "il y a 150 personnes incarcérées pour homosexualité" et "les chiffres réels sont sans doute plus élevés".
Depuis 2008, "plus de 2.600 personnes ont été incarcérées en vertu de l'article 230", selon Damj et le Collectif civil pour les libertés individuelles. Une représentante du Collectif a souligné le coût pour l'État : "plus de 25 millions de dinars" (plus de 7,5 millions d'euros) qui pouvaient "être investis dans des hôpitaux et autres infrastructures".
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Badr Baabou a dit espérer "un débat dépassionné, juridique et sérieux" pour dépénaliser l'homosexualité, s'étonnant que la Tunisie malgré le "processus révolutionnaire" lancé en 2011 fasse encore "partie des pays qui condamnent explicitement ou implicitement l'homosexualité".
Réputé conservateur, le président Kais Saied qui a suspendu les activités du Parlement jusqu'à des législatives prévues en décembre 2022, s'était opposé pendant la campagne qui a mené à son élection fin 2019 à une dépénalisation de l'homosexualité.