Tunisie : que faire des milliers de djihadistes de Daech revenant de Syrie ?

Alors que l‘offensive sur le réduit de Baghouz contrôlé par Daech en Syrie se poursuit, le nombre d’évacués, djihadistes ou membres d’une famille de djihadistes, s'accroît. Dans tous les pays du monde se pose la question du rapatriement de ces soldats perdus. La Tunisie est particulièrement concernée par le problème. 
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comabttante tunisienne de daech
Sur cette photo datant du 24 juillet 2017, une Tunisienne épouse d'un combattant de Daech qui s'est échappée de Raqqa  en Syrie. Que vont devenir ces femmes, ces enfants et les combattants tunisiens après la chute de Daech ? 
©AP Photo/Hussein Malla
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Ils seraient entre 3000, selon les chiffres officiels, et 5000, selon une estimation de l’ONU. Les ressortissants tunisiens partis se battre aux côtés de d’organisations djihadistes en Syrie, en Irak et aussi en Libye constituent un contingent particulièrement important. C’est l’un des taux par habitant les plus élevés au monde.

Un vrai problème pour les autorités qui ont dû faire face à des attaques terroristes particulièrement meurtrières dans le pays et qui n’ont aucune envie de voir rentrer des combattants expérimentés. L’opinion publique n’y est pas favorable non plus. 
Face à ces retours pourtant prévisibles, le gouvernement tunisien semble temporiser et donne l’impression de vouloir éviter tout rapatriement même des femmes et des enfants.
 

200 enfants et 100 femmes détenus à l'étranger

« Les préoccupations légitimes portant sur la sécurité ne donnent pas aux gouvernements le droit d’abandonner leurs ressortissants, notamment les jeunes enfants, détenus à l’étranger sans inculpation, dans des prisons et des camps sordides », estime pourtant Letta Tayler, chercheuse à Human Rights Watch.

L’organisation de défense des droits de l’homme a publié en février un rapport dénonçant le sort réservé aux enfants. Selon ce document, « environ 200 enfants et 100 femmes se réclamant de la nationalité tunisienne sont détenus à l’étranger sans inculpation, parfois depuis deux ans, en tant que membres de la famille de combattants de l’EI, essentiellement en Syrie et dans la Libye voisine, et pour certains en Irak », a déclaré à Human Rights Watch, le ministère tunisien de la Femme et de l’Enfance. 
 

Retour des combattants

Si les autorités se déclarent ouvertes concernant le sort des femmes et enfants, elles sont en revanche catégoriques sur le cas des combattants : pas question de faciliter leur retour. Selon des sources gouvernementales, en 2016, au moins 800 étaient déjà revenus par leurs propres moyens et se trouvaient alors détenus ou sous haute surveillance. 

« S'il y a des combattants tunisiens (...) qui veulent rentrer en Tunisie, la Constitution prévoit qu'on doit accepter tous les citoyens, mais il faut qu'ils passent par la justice et éventuellement la prison », a réitéré le président Béji Caïd Essebsi récemment.
 

Ces gens-là sont des bombes à retardement, il faut les neutraliser, et cela se fait avec des programmes de déradicalisation. Mohamed Iqbel ben Rejeb de l’association de sauvetage des Tunisiens bloqués à l’étranger Ratta. 


Une stratégie que déplore l’association de sauvetage des Tunisiens bloqués à l’étranger Ratta : « Ceux qui rentrent doivent être emprisonnés ou encadrés par la société civile pour un processus de déradicalisation. La plupart des gens qui sont rentrés sont soit en prison, soit en préventive dans l’attente de leur procès. Seule une toute petite minorité est en liberté, soit disant avec un contrôle mais je suis certain que c’est un peu imaginaire », nous explique par téléphone son dirigeant Mohamed Iqbel ben Rejeb. « Il y a une loi qui condamne les gens qui rentrent à un maximum 12 ans de prison mais en moyenne, ils écopent de 4 et 7 ans, s’ils n’ont pas tué. Après la prison classique, la personne restera embrigadée, voire même il sortira en héros. Ces gens-là sont des bombes à retardement, il faut les neutraliser et cela se fait avec des programmes de déradicalisation. D’après notre expérience, si la personne a une famille, elle peut aider à diminuer cette emprise mais malheureusement en Tunisie il n’y a pas de centre de déradicalisation. »

Déradicalisation et prévention

L’association Ratta insiste aussi sur la prévention de la radicalisation. Avec très peu de moyens, elle a mené une expérience pilote dans la région de Tunis. Mais là encore, son président déplore la passivité du gouvernement. « Le gouvernement tunisien ne fait rien. Il n’y a aucun programme de prévention pour les jeunes sinon quelques publicités… Les djihadistes eux ont été recrutés par contact direct », relève Mohamed Iqbel ben Rejeb. 

Si les djihadistes tunisiens aujourd’hui retranchés en Syrie décidaient de rentrer en nombre, la Tunisie devrait donc affronter un grand problème. D’autres, craignant la prison, pourraient aussi essayer de se replier sur la Libye divisée et contrôlée par endroits par des groupes djihadistes armés. Mais là encore, il s’agit d’un pays voisin de la Tunisie et la frontière est poreuse…