Tunisie : Rached Ghannouchi, chef islamiste à l'image écornée

Faiseur de rois dans la Tunisie post-Printemps arabe, le chef islamiste Rached Ghannouchi, arrêté lundi 17 avril, pâtit d'une image  dégradée par les intrigues politiques. Il apparaît aux yeux de nombreux Tunisiens comme le coupable idéal de tous les maux du pays. Portrait.
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GHANNOUCHI en meeting
Images de Rached Ghannouchi lors d'un rassemblement politique à Tunis le 3 octobre 2019.
 
AP Photo/Hassene Dridi,
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Son parti islamo-conservateur, Ennahdha, a joué un rôle de premier plan sur la scène politique après la révolution de 2011 qui a renversé la dictature de Zine el Abidine Ben Ali, avant d'entrer en collision avec le président Kaïs Saïed, qui lui a ôté tout pouvoir en suspendant en juillet 2021 le Parlement dirigé par Rached Ghannouchi et en limogeant le gouvernement qu'il soutenait.

Pendant cette période, une décennie "noire" selon ses détracteurs, Rached Ghannouchi, 81 ans, s'est taillé la réputation d'habile manœuvrier, s'arrangeant pour qu'Ennahdha soit incontournable, au point même de conclure des alliances parfois contre nature avec les libéraux ou des partis laïcs.

Inspiré par les frêres musulmans dans les années 70


Ce "cheikh" aux cheveux blancs et au physique frêle se voit aussi reprocher une certaine ambiguïté face à la montée du djihadisme après la chute de la dictature.

Auteur de prêches enflammés réclamant l'application de la charia dans les années 1970, il s'est d'abord inspiré des Frères musulmans égyptiens, avant de se réclamer du modèle islamiste turc de Recep Tayyip Erdogan.

Il a ensuite fait muer Ennahdha en mouvement civil, censé depuis 2016 n'être consacré qu'à la politique, et s'affiche depuis comme un "démocrate musulman" défendant des valeurs conservatrices sans dogmatisme.

Ses concessions ont divisé son camp. Certains partisans lui ont reproché d'avoir soutenu une loi controversée qui proposait d'amnistier les responsables accusés de corruption sous Ben Ali.

Lire : avec l'arrestation de Rached Ghannouchi "la parenthèse démocratique tunisienne est en train de se refermer "

Né à El Hamma, petite ville de la côte sud, au sein d'une famille modeste, Rached Ghannouchi a étudié la théologie, puis la philosophie, notamment au Caire et à Damas. De retour en Tunisie à la fin des années 1960, il fonde en 1981 le "Mouvement de la tendance islamique", rebaptisé en 1989 Ennahdha - "La renaissance".

Une entreprise clandestine qui lui a valu deux séjours en prison dans la Tunisie du père de l'indépendance, Habib Bourguiba, qui réclamait qu'il soit "pendu".

 "Boucs émissaires"

Gracié par Ben Ali en 1987, puis de nouveau persécuté après une percée électorale, l'opposant s'exile en Algérie, puis en 1991 à Londres où il cultivera une image de penseur réformiste de l'islam.  Il revient en Tunis en 2011 après la chute de Ben Ali. Son parti présente des candidats aux élections des députés de la constituante. C'est un indéniable succès alors. Ennahdha avec 40% des suffrages exprimés devient la première force politique du pays.


Voir : Rached Ghannouchi, chef du parti Ennahda, a été arrêté
 
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Depuis le coup de force de Kaïs Saïed, il a été fortement contesté en interne, avec une vague de démissions de cadres l'accusant d'une hypercentralisation des décisions et d'un manque de réformes.

Rached Ghannouchi a été interpellé lundi à son domicile après avoir affirmé que la Tunisie serait menacée de "guerre civile" si l'islam politique était éliminé.
"On s'attendait à l'arrestation de Rached Ghannouchi" après celle d'une vingtaine d'opposants depuis début février, estime auprès de l'AFP le politologue Selim Kharrat.

Selon Selim Kharrat, elle confirme que le chef d'Ennahdha et ses alliés sont devenus "la bête noire et des boucs émissaires" pour le président Saïed, car ses partisans "en veulent beaucoup à Ennahdha et ses alliés de la manière dont ils ont gouverné le pays pendant 12 ans jusqu'à l'été 2021". Ali Larayedh, secrétaire général du parti, a été ainsi même Premier ministre en 2013. Sous la pression de la rue et de l'UGTT, il demissionnera au bout d'un an d'exercice du pouvoir.

"Kaïs Saïed a profité de la faiblesse politique d'Ennahdha, de cet impopularité pour faire arrêter Reached Ghannouchi", confirme de son côté l'essayiste Hatem Nafti.

De 40% des voix en 2011 à la plus grande impopularité


Douze ans après la révolution de 2011 qui avait marqué le début du Printemps arabe, une forte portion de la population "a le cœur gros" face aux multiples crises, politique, économique et sociale, que traverse le pays, selon lui.

Depuis le coup de force à la faveur duquel le président Saied s'est arrogé les pleins pouvoirs, Rached Ghannouchi a été entendu au moins 10 fois dans différentes enquêtes, notamment pour corruption et blanchiment d'argent présumé et incitation présumée à l'envoi de djihadistes en Irak et Syrie, ressortant à chaque fois des postes de police avec un grand sourire et en faisant le V de la victoire.

Selim Kharrat ne s'attend pas "à des protestations massives dans la rue" contre l'arrestation de Rached Ghannouchi, tant Ennahdha et ses alliés sont devenus impopulaires.

Pourtant à la chute de Ben Ali en 2011, des milliers de personnes avaient célébré son retour de Londres après 20 ans d'exil.